Un jour dans la vie de la ville urbaine

Les quotidiens de l’Oreille tendue, samedi dernier, l’ont ravie. Elle y a vu les titres suivants.

«Banlieue urbaine» (la Presse, 2 juin, cahier Maison, p. 1).

«Unique : des vidéocapsules urbaines sur le Web» (le Devoir, 2-3 juin, p. D2).

«Jungle urbaine… et brésilienne» (la Presse, 2 juin 2012, cahier Arts, p. 18).

Même Twitter s’y est mis, toujours samedi, @OursAvecNous rapportant avoir vu une pancarte sibylline durant la manifestation du jour : «Le CFU est fru.» Ce CFU serait le sigle du Cercle des fermières urbaines. Fru ? Frustré, bien sûr.

Ce sera l’urbanité, ou rien.

P.-S. — Quelle est cette «Banlieue urbaine» ? Laval.

Le zeugme du dimanche matin de Kiki de Montparnasse, et une annonce

Kiki de Montparnasse, Kiki : souvenirs, 1999, couverture

Le zeugme

«On l’avait obligé à quitter ma mère, après avoir vécu six ans avec elle, pour épouser une femme qui avait mille francs et un cochon» (p. 66).

Kiki de Montparnasse, Kiki : souvenirs, Paris, Hazan, 1999, 270 p. Introductions d’Ernest Hemingway et de Foujita. Avant-propos et notes de Billy Klüver et Julie Martin. Traductions de Dominique Lablanche.

L’annonce

@zeugme est désormais sur Twitter. Qui l’aime le suive.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Citation québécoise du jour ?

Arnaldur Indridason, la Muraille de lave, 2012, couverture

«Son père fermait les yeux. Il semblait très fatigué, sans doute aurait-il mieux valu qu’il reste un peu plus longtemps à l’hôpital, mais suite à ces éternelles coupes sombres dans les budgets, les patients étaient renvoyés chez eux dès que possible.»

Arnaldur Indridason, la Muraille de lave, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir. Bibliothèque nordique», 2012, 317 p., p. 238. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2009.

Un autre mot vous manque, et tout est dépeuplé

Il y a peu, l’Oreille tendue déplorait l’absence, dans les débats québécois actuels, du mot casuistique (c’est ici). Il en est un autre qu’il serait utile de garder à l’esprit : manichéisme.

Non pas la «Religion syncrétique du Perse Mani (IIIe s.), alliant des éléments du christianisme, du bouddhisme et du parsisme, et pour laquelle le bien et le mal sont deux principes fondamentaux, égaux et an tagonistes» (le Petit Robert, édition numérique de 2010), mais, plus communément, la «Conception dualiste du bien et du mal» (bis).

Ces jours-ci, le mot s’applique sans mal d’un bout à l’autre du spectre politique. Deux exemples.

Un des personnages les plus visibles des manifestations récentes au Québec est Anarchopanda : sous un costume contrasté, un professeur de philosophie dans un cégep montréalais participe aux manifestations, du côté des manifestants, pour offrir des câlins aux policiers qui les encadrent. Il est devenu un personnage public : on le voit sur des pancartes, le Devoir lui consacre un article, il donne des entrevues. Dans l’une de celles-ci, il distingue, deux fois, les «meilleurs étudiants» de «ceux qui ont du fric». Ce n’est pas pour rien que son costume est noir et blanc.

Denise Bombardier est chroniqueuse et romancière (dit-on). Depuis quelques semaines, dans les pages du Devoir, elle ne se peut plus : elle y déverse des tombereaux de bile (noire) contre les manifestants de tout acabit, surtout les leaders des associations étudiantes en grève. Le 26 mai, elle tranche, anaphoriquement : «La rue a gagné.» D’un côté, le désordre de la foule — et sa victoire. De l’autre, symétriquement, l’État de droit — et sa «reddition».

Blanc bonnet et bonnet blanc.

Ne dégagez pas, y a à voir

«Charest dégage.»
Pancarte, Verdun, 24 mai 2012

Laurent d’Ursel est un artiste belge. On lui droit le dégagisme, une «sorte de mouvement qui promeut la manifestation comme forme d’art contemporain», explique le site OWNI.

Afin de parvenir à ses fins, d’Ursel a édicté des «règles très précises : il faut des flics, une autorisation, un slogan et des concepts. Il faut que ça soit un peu chiant, comme toute manif.»

Cela s’applique parfaitement à la situation actuelle au Québec et à sa passion subite pour les casseroles frappées en public.

Les percussionnistes en extérieur sont souvent encadrés de policiers.

En vertu de la loi 78, ils auraient dû donner à ceux-ci l’itinéraire de leur manifestation, afin d’obtenir une autorisation.

Ils ont un slogan : «La loi 78, on s’en câlisse

Ils s’appuient sur des concepts : non-violence, participation populaire, nécessité de se faire entendre (littéralement) de leurs dirigeants, volonté de changer la politique, etc.

Leurs sonorités et leurs déplacements peuvent, à l’occasion, faire chier le badaud.

Cela étant, on casserolerait pour la bonne cause. Pour le dire comme Sartre, le dégagisme — donc le casserolisme — est un humanisme.

P.-S. — C’est, encore une fois, comme pour les verbes et les fleurs de rhétorique, une affaire de fesses. On n’en sort pas.