Autopromotion 776

«Architecture et parties qui en dépendent. Première partie», premier volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1762, planche VI

La 620e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.

La bibliographie existe depuis le 16 mai 1992. Elle compte 73 000 titres.

À partir de cette page, on peut interroger l’ensemble des livraisons grâce à un rudimentaire moteur de recherche et soumettre soi-même des titres pour qu’ils soient inclus dans la bibliographie.

Illustration : «Architecture et parties qui en dépendent. Première partie», premier volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1762, planche VI

Se méfier épistolairement

Enveloppe publicitaire comportant la photo de Maurice Richard

La correspondance, dans sa forme la plus usuelle, suppose une enveloppe contenant une lettre. Cette enveloppe est, en soi, un message, qui incite à lire, ou pas.

Albin de la Simone, dans sa chanson «J’aime lire» (Bungalow !, 2018), sait le potentiel explosif de la lettre reçue.

Mais non
Je ne l’ouvrirai pas
Je la laisserai là
Cachetée silencieuse
Je ne risquerai pas
Je ne la lirai pas
Je la laisserai là
Grenade silencieuse
Je ne risquerai pas

La menace n’est pas moindre grande dans le roman la Classe de madame Valérie de François Blais (2013) :

[Justine Trudel] mit le chandail sur un cintre et le rangea dans le placard. En passant la main dessus pour le défroisser, elle constata qu’il y avait un papier dans la poche kangourou. Une enveloppe, avec son prénom écrit dessus. L’écriture de Noémie. Justine grimaça comme si elle avait mordu dans un citron. Elle avait pourtant insisté dans sa lettre sur le fait qu’elle ne souhaitait aucune réponse, que tout était dit. Pourquoi faire traîner les choses ainsi ? Mais pouvait-on mettre fin à une histoire d’amour comme cela, congédier l’autre sans lui accorder un droit de réplique ? Justine décida que oui. Elle chiffonna l’enveloppe et la lança dans sa corbeille puis, songeant qu’elle ne pourrait pas résister à la tentation d’aller la récupérer dans un moment de faiblesse, elle la déchira plutôt en petits morceaux, qu’elle alla jeter dans la toilette. Elle tira la chasse.

Albin de la Simone et François Blais auraient-ils lu Diderot ?

Le 17 ou le 18 décembre 1772, recevant une lettre de son frère le chanoine et sachant qu’ils ne se trouvent pas, l’un et l’autre, du même côté du bénitier, Diderot entreprend de lui répondre directement sur l’enveloppe, sans même la décacheter :

M. l’abbé, si j’étais sûr de retrouver mon frère dans cette lettre, je l’ouvrirais et je ne la lirais pas sans verser des larmes de joie. Mais j’aime mieux vous la renvoyer toute cachetée, et m’épargner deux peines; l’une, d’entendre et l’autre de répondre des choses déplaisantes (Correspondance, éd. Versini, p. 1152).

Maître herméneute, Diderot épistolier s’arroge le droit de ne pas lire. Sûr de son fait, il fait fi, comme le feront Albin de la Simone et François Blais, d’un des aspects constitutifs de tout pacte épistolaire : reconnaître à l’autre le droit d’exister par l’écriture.

P.-S.—L’Oreille tendue a déjà abordé la question de l’enveloppe, et cité le texte de Diderot, dans un texte de son «Cabinet des curiosités épistolaires» (2016).

 

Références

Blais, François, la Classe de madame Valérie. Roman, Québec, L’instant même, 2013, 400 p. Édition numérique.

Diderot, Denis, Œuvres. Tome V. Correspondance, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1997, xxi/1468 p. Édition établie par Laurent Versini.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», Épistolaire. Revue de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 42, 2016, p. 151-153. [Histoires d’enveloppes]

Les Lumières un dimanche

Benoît Melançon, Nos Lumières, 2020, couverture

Hier, l’Oreille tendue a croisé les Lumières là où elle ne les attendait pas.

À la télévision d’abord. Le capitaine Raymond Holt, dans la série Brooklyn Nine-Nine (septième saison, sixième épisode, «Trying», 2020), discute de philosophie avec le lieutenant Terry Jeffords. Que pense-t-il de l’évolution de la philosophie en France ? «Any French philosophy post-Rousseau is essentially a magazine» (La philosophie après Rousseau n’est rien d’autre qu’un magazine).

Sur la scène ensuite. Dans la version anglaise de la comédie musicale les Misérables, la chanson «Master of the House» (premier acte, 1985) fait aussi allusion à un auteur du XVIIIe siècle, mais de façon beaucoup moins positive :

Master of the house ? Isn’t worth my spit !
Comforter, philosopher and lifelong shit !
Cunning little brain, regular Voltaire
Thinks he’s quite a lover but there’s not much there
What a cruel trick of nature landed me with such a louse
God knows how I’ve lasted living with this bastard in the house !

La Thénardier chante pis que pendre de son mari : il ne vaut pas un crachat, c’est une merde, il ne peut la satisfaire au lit, voilà un pou et un bâtard. Et elle le compare à Voltaire, toujours à l’affût d’une nouvelle ruse médiocre («Cunning little brain»).

Des deux philosophes, l’un est en meilleure compagnie que l’autre.

P.-S.—L’Oreille ne vous apprendra rien : elle collectionne pareilles apparitions de Nos Lumières.

 

Référence

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Autopromotion 775

«Architecture et parties qui en dépendent. Première partie», premier volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1762, planche V

La 619e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.

La bibliographie existe depuis le 16 mai 1992. Elle compte 72 870 titres.

À partir de cette page, on peut interroger l’ensemble des livraisons grâce à un rudimentaire moteur de recherche et soumettre soi-même des titres pour qu’ils soient inclus dans la bibliographie.

Illustration : «Architecture et parties qui en dépendent. Première partie», premier volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1762, planche V

Olympe aux Olympiques

Statut d’Olympe de Gouges, Jeux olympiques de Paris, 2024

Une séquence de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, vendredi dernier, s’intitulait «Sororité». Dix statues de femmes sont sorties des eaux de la Seine, près du pont Alexandre-III, devant l’Assemblée nationale. Parmi elles, Olympe de Gouges.

De qui s’agit-il ? Pourquoi lui accorder pareille importance ?

Marie Gouzes, qui prend le nom d’Olympe de Gouges dans les années 1770, est une femme de lettres née à Montauban en 1748 et morte sur l’échafaud en 1793.

On lui doit plusieurs pièces de théâtre, souvent courtes, les dernières étant fortement liées à l’actualité de la Révolution française, dont une suite du Mariage de Figaro de Beaumarchais — le Mariage inattendu de Chérubin (1786) —, Molière chez Ninon, ou le siècle des grands hommes (1788), l’Esclavage des Noirs, ou l’heureux naufrage (1789), le Couvent, ou les vœux forcés (1790). Mirabeau aux Champs-Élysées (1791) est un dialogue des morts où se côtoient Mirabeau, Rousseau (en fait : «J. Jacques»), Voltaire, Montesquieu, Franklin, Henri IV, Louis XIV, le cardinal d’Amboise, Mme Deshoulières, Mme de Sévigné, Ninon de Lenclos, ainsi qu’«Une multitude d’ombres des quatre parties du monde».

Olympe de Gouges est surtout connue aujourd’hui pour sa «Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne» de septembre 1791. Elle y reprend, en le modifiant, le premier article de la «Déclaration des droits de l’homme et du citoyen» de 1789 : «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune» devient «La Femme naît libre et demeure égale à l’Homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.» Le dixième article de sa «Déclaration» est particulièrement fort (et prémonitoire) : «la Femme a le droit de monter sur l’échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune».

Pendant longtemps, le nom d’Olympe de Gouges a été absent des mémoires. Deux phénomènes ont permis sa réhabilitation. D’une part, les spécialistes de la culture sous la Révolution ont voulu montrer, depuis quelques décennies, que celle-ci n’avait pas été «le tombeau des arts» : il y a des œuvres littéraires à cette époque et il faut les lire. D’autre part, le patrimoine s’est progressivement ouvert — mais encore de façon insuffisante — à la contribution des femmes dans tous les domaines de la vie sociale. Sur ce double plan, Olympe de Gouges pourrait être un cas d’école.

On a commencé à la rééditer et à la commenter de façon plus systématique au moment du bicentenaire de la Révolution, mais c’est surtout depuis une quinzaine d’années qu’elle a été redécouverte et honorée de toutes sortes de façons, tant par la critique savante que dans l’espace public. La Monnaie de Paris a frappé une pièce à son effigie en 2017. Quatre ans plus tard, les Archives nationales de France ont procédé à l’encodage sur ADN de deux textes, la «Déclaration des droits de l’homme et du citoyen» et la «Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne». Son empreinte toponymique s’accroît sans cesse : il y a des dizaines de lieux à son nom en France; une galerie d’art parisienne l’a pris. On lui a consacré une bande dessinée, au moins huit pièces de théâtre et quatre romans, une chanson (par Femmouzes T.), des émissions de télévision.

L’année 2021 a été marquante dans la renaissance éditoriale d’Olympe de Gouges. Le ministère d’Éducation de la France ayant mis son œuvre au programme du baccalauréat général, on a alors publié au moins neuf éditions de poche de son œuvre. Le Québec n’a pas été en reste : le ministère de l’Éducation a proposé la «Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne» parmi ses choix de textes pour l’Épreuve uniforme de français au collégial.

Dans un recueil de textes paru en 2020, l’Oreille tendue s’est penchée sur le processus de «classicisation». Elle y a mis en lumière deux processus par lesquels une œuvre peut aspirer à devenir classique : réduction; accumulation. On condense; on répète. C’est bien ce qui est arrivé à Olympe de Gouges : on l’a réduite à une œuvre, la «Déclaration», et on ne cesse de se concentrer sur cette œuvre — jusqu’aux Olympiques.

P.-S.—Ce texte vous rappelle quelque chose ? Vous avez bonne mémoire. Bravo.

 

Références

Gouges, Olympe de, Théâtre politique, Paris, côté-femmes éditions, coll. «Des femmes dans l’histoire», 1991, 244 p. Préface de Gisela Thiele Knobloch. Le Couvent, ou les vœux forcés (1790-1792), Mirabeau aux Champs-Élysées (1791), l’Entrée de Dumouriez à Bruxelles ou les Vivandiers (1793).

Gouges, Olympe de, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et autres écrits, dans Opinions de femmes de la veille au lendemain de la Révolution française, Paris, Côté-femmes éditions, 1989, 176 p., p. 47-62. Préface de Geneviève Fraisse.

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Pièces de monnaie en l’honneur d’Olympe de Gouges, Monnaie de Paris, 2021