«Jamais on n’a vu telle figure d’homme ! [Le roi de Candavia] est fait comme un et cetera. Il a la jambe gauche à la place du bras droit, et le bras droit lui sort de l’estomac; il a un œil sur chaque épaule, et trois cors aux pieds sur la langue, et qui ne l’empêchent pas de danser parfaitement la pavane des Flibustiers de terre ferme. Ses sujets ont trouvé à propos de placer ainsi ses membres, afin d’avoir un Roi fait tout autrement qu’eux.»
Anonyme, Relations du royaume de Candavia, 1715, cité dans Jean-Christophe Abramovici, «Corps humain», dans Bronislav Baczko, Michel Porret et François Rosset (édit.), avec la collaboration de Mirjana Farkas et Robin Majeur, Dictionnaire critique de l’utopie au temps des Lumières, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, 2016, p. 243-258, p. 249.
«Je commençais à en avoir plein mon maudit casque de courir, de lever des poids ou de planter des arbres» (Attaquant de puissance, p. 21).
«J’en ai mon casse aussi» (les Singes de Gandhi, p. 30).
«Dans les années soixante-dix, les Québécois commencent à en avoir plein leur casque que des rivières et des forêts soient réservés à l’usage de quelques riches hommes d’affaires souvent originaires des États-Unis» (Taqawan, p. 177).
En avoir plein son casque, donc, «maudit» ou pas, prononcé «casse» ou pas. Au Québec, l’expression signifie qu’on en a marre, qu’on est tanné, qu’on en a plein le dos. L’exaspération et le ras-le-bol règnent.
Ce n’est pas agréable.
[Complément du 7 mai 2024]
Explication de François Hébert, dans Holyoke (1978) : «C’est drôle : en France, on dirait ras le bol; au Québec, plein le casque. Les deux ensemble, le bol et le casque, ça fait une sphère, bizarre évidemment : une sorte de tête artificielle…» (p. 41).
Illustration : «Casque à la coquette», gravure de L.F. Labrousse (?), 1798-1799, Rijksmuseum, Amsterdam
La 315e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.
Illustration : gravure de Gilbert Schoute pour Johannes Georgius Graevius, Cohors musarum, sive Historia rei literariæ, nec non historia bibliothecalis, Utrecht, J. van Poolsum, 1715, Rijksmuseum, Amsterdam
Dans son discours du 17 avril à Bercy, Emmanuel Macron, le candidat à l’élection présidentielle française, a cité — ô surprise ! — une lettre de Denis Diderot à Sophie Volland.
C’était à la 48e minute.
Sous les quolibets et les sifflets grivois de la foule — «Mais ne sifflez pas Diderot !» —, Macron évoque, «de mémoire», sourire aux lèvres, sous-entendus à la bouche, la «formidable» lettre du 10 juin 1759 :
Adieu, ma Sophie, bonsoir. Votre cœur ne vous dit-il pas que je suis ici [Diderot est chez Sophie Volland, qui n’y est pas] ? Voilà la première fois que j’écris dans les ténèbres. Cette situation devrait m’inspirer des choses bien tendres. Je n’en éprouve qu’une, c’est que je ne saurais sortir d’ici. L’espoir de vous voir un moment m’y retient, et je continue de vous parler, sans savoir si je forme des caractères. Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime (éd. de 1997, p. 107).
Par souvenir épistolaire interposé, Emmanuel Macron dit à ses électeurs, même les absents («toutes celles et ceux qui ce soir ne sont pas là»), qu’il les aime.
Qui a dit que la culture de la lettre était morte ?
P.-P.-S. — Jeune homme, l’Oreille tendue avait cité cette lettre, mais pas dans un meeting politique (1996, p. 212).
[Complément du 7 mai 2017]
Dans un de ses deux discours de victoire, celui du Louvre, Emmanuel Macron a dit vouloir défendre «l’esprit des Lumières». Par lettre ?
[Complément du 10 juin 2020]
L’Oreille a repris ce texte, sous le titre «Emmanuel Macron, Diderot et Sophie Volland», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.
[Complément du 27 juillet 2024]
Ceci, dans le quotidien le Monde du jour, sous le titre «Macron tente de renouer le fil avec ses députés» (p. 9) :
Faisant acte d’«humilité», aux dires de l’Élysée, Emmanuel Macron écoute aujourd’hui ses députés et s’excuse presque d’avoir été trop pris par sa fonction pour les recevoir plus souvent. Pour justifier ses absences, et parfois ses silences, «le chef de l’Etat évoque souvent la lettre de Diderot à Sophie Volland», dit-on à l’Élysée, celle où, lorsque la bougie s’éteint et que le philosophe écrit dans le noir, Diderot assure à sa bien-aimée : «Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime.»
Ça devient une habitude.
Références
Diderot, Denis, Œuvres. Tome V. Correspondance, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1997, xxi/1468 p. Édition établie par Laurent Versini.
Melançon, Benoît, Diderot épistolier. Contribution à une poétique de la lettre familière au XVIIIe siècle, Montréal, Fides, 1996, viii/501 p. Préface de Roland Mortier. https://doi.org/1866/11382