Parlons cochon

Soit le tweet suivant, de Les Perreaux :

 

Les deux derniers mots de la dernière phrase paraîtront sibyllins à certains : qu’est-ce que ce «gros jambon» ?

Dans le domaine sportif, le jambon alimente souvent la discussion.

Le mot désigne le boxeur strictement appelé à faire de la figuration devant un adversaire bien plus fort : il arrive donc que des boxeurs aient «une belle fiche contre des jambons» (la Presse, 7 août 2012, cahier Sports, p. 7). Ce n’est pas parce qu’ils ont essayé de les manger.

Au hockey, ce n’est guère plus glorieux. Dans Panache. 1. Léthargie (2009), de Sylvain Hotte, le héros se réjouit à l’idée d’affronter une équipe du Saguenay composée de «quelques jambons à la défensive» (p. 99 et p. 105). On ne confondra pas le jigon et le jambon.

Dans son tweet, Perreaux critique la décision de l’entraîneur Gerard Gallant, des Golden Knights de Las Vegas, d’avoir envoyé un de ses joueurs se battre contre un adversaire des Jets de Winnipeg. C’est, en effet, digne d’un jambon, voire d’un gros jambon.

Le mot n’est pas utilisé que dans le domaine sportif.

Selon Pierre DesRuisseaux, on peut être assis sur son jambon : «Ne rien faire, ne pas réagir» (2015, p. 182). Ce jambon-là est, donc, un steak.

Léandre Bergeron reste dans le registre anatomique : les jambons pourraient être les «Grosses cuisses (d’une femme)» (1980, p. 280) — pourquoi seulement d’une femme ?

Bref, le jambon, dans le français populaire du Québec n’a pas bonne presse. Il vaut mieux ne pas être un gros jambon. Que Gerard Gallant se le tienne pour dit.

P.-S.—Exception qui confirme la règle : les plus vieux se souviendront que «Gros jambon» est une chanson interprétée par Réal Giguère dans laquelle le terme n’est pas connoté négativement.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Hotte, Sylvain, Panache. 1. Léthargie, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 1, 2009, 230 p.

110 %

Guillaume Corbeil, le Meilleur des mondes, 2019, couverture

Il est évidemment arrivé à l’Oreille tendue d’évoquer l’expression «110 %» : c’était le 1er décembre 2010 («Tout juste s’il ne nous dit pas qu’il a donné son 110 %, qu’il travaillait fort dans les coins et que la puck roulait pas pour lui», Voir, 29 mars 2001) et le 4 juin 2013 («J’donne mon 110 %», Zéphyr Artillerie, «Scotty Bowman», chanson, Chicago, 2008).

On le voit : cette expression venue de la langue de puck a migré dans la langue courante. La personne qui donne son 110 % n’économise pas ses efforts, bien au contraire.

Guillaume Corbeil l’utilise à trois occasions dans le Meilleur des mondes, son allègre adaptation théâtrale du roman Brave New World d’Aldous Huxley (1932).

Elle apparaît dans une des capsules de l’«Hypnopédie», cette machine qui vise à conditionner les humains de la dystopie d’Huxley / Corbeil : «Au travail, je donne toujours / mon cent dix pour cent» (p. 88). Le message est bien reçu par Bernard, qui, pour se défendre des accusations portées contre lui, reprend deux fois l’expression à son compte (p. 92, p. 195).

Avoir donné son 110 % lui suffira-t-il pour éviter l’exil ? (Le dramaturge, lui, a donné le sien.)

P.-S.—Oui, une célèbre émission de télévision a eu 110 % pour titre.

P.-P.-S.—Oui, l’Oreille avait apprécié une pièce précédente de Guillaume Corbeil, Unité modèle.

 

Références

Corbeil, Guillaume, le Meilleur des mondes. D’après Aldous Huxley. Théâtre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 139, 2019, 238 p.

Corbeil, Guillaume, Unité modèle, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 07, 2016, 109 p. Ill.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Supplément alimentaire

Soit la phrase suivante, de l’excellent Olivier Bouchard, sur Athlétique Montréal, le 28 juin :

«Caufield a […] des mains de fée dans des gants de soie et un tir du Tonnerre de Zeus. Pardon, des tirs : revers, tir du poignet, tir frappé sur réception… Le Tonnerre de Zeus, la Foudre d’Odin, la Lance d’Athéna, alouette et un chausson avec ça.»

Un non-amateur de hockey — Cole Caufield est un jeune joueur récemment repêché par les Canadiens de Montréal — pourrait avoir du mal avec la variété de ses tirs. C’est de la langue de puck et c’est expliqué ici.

Un non-amateur de mythologie ira voir sur Wikipédia pour Zeus, Odin et Athéna.

Et le «chausson» dans tout ça ?

Dans le Dictionnaire québécois instantané qu’elle cosignait en 2004 et qui vient de paraître en livre de poche, l’Oreille tendue offrait la définition suivante de chausson aux pommes :

Pour des raisons qui se perdent dans la nuit de l’histoire de la boulangerie et de la restauration rapide, le chausson aux pommes est le symbole du superflu et de la demande (jugée) exorbitante. L’expression a quitté le domaine alimentaire pour conquérir le terrain culturel. Emma trompe son bon mari Charles avec Léon Dupuis, puis avec Rodolphe Boulanger. Et elle voudrait être heureuse ! Un chausson aux pommes avec ça ? (p. 38)

Autre exemple (p. 186) : «Aujourd’hui, ils se donnent la main pour promouvoir une culture rave propre, saine et sans drogue. Un chausson aux pommes avec ça ?» (la Presse, 10 juillet 2001)

À votre service.

 

Références

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, éd. de 2019, couverture