Fausse économie

Angle Pie-IX et Notre-Dame, à Montréal, il y a un «Entrepôt Public» (majuscules certifiées d’origine) : vous pouvez y louer un espace pour entreposer vos choses.

Ça coûte combien ? L’Oreille tendue ignore le tarif mensuel régulier, mais il y a une promotion pour les nouveaux clients : «1 $ paie votre 1er mois de location.»

«1 $ pour votre 1er mois de location» aurait signifié la même chose, sans l’anglicisme sous-jacent («$1 pays your first month»), non ?

Vie et mort du renard scolaire ?

Soit le tweet suivant, de @caroline_gm :

«Relevé de ses fonctions avec salaire.» Tu me niaises ? C’est l’équivalent adulte d’être suspendu d’école pour avoir foxé un cours.

Foxé un cours ? L’expression est parfaitement limpide pour l’Oreille tendue : sécher icelui.

Est-ce toujours limpide pour la jeune génération ? Après un sondage scientifique auprès de cette jeune génération (n = 1), il semble que non. Le principal sujet sondé, pourtant élève d’une école secondaire montréalaise depuis quatre ans, a regardé le sondeur comme s’il venait de la planète Mars quand il a entendu le verbe foxer.

Le fossé des générations continue de se creuser sous nos yeux.

 

[Complément du 28 mai 2015]

En Acadie, dans le Nord-Est du Nouveau-Brunswick (dixit @TigrouMalin), et chez les Franco-Ontariens (selon @JPatriceMartel), on préférait skipper un cours.

 

[Complément du 10 septembre 2016]

Entendu hier, dans la bouche d’un cégépien montréalais : «J’aurais pu skip mon cours.»

 

[Complément du 8 novembre 2017]

Foxer ne s’utiliserait pas qu’en contexte scolaire si l’on en croit la Catherine Lalonde de la Dévoration des fées (2017) : «Ça va pas s’améliorant, en plus elle foxe l’église, se dit Grand-maman […]» (p. 77).

 

[Complément du 28 avril 2018]

Retour au cadre scolaire avec le Michel Tremblay des Vues animées (1990) :

J’étais convaincu de pouvoir moi aussi jouer les enfants maltraités et il m’arrivait certains matins (je jure que c’est vrai) de foxer l’école pour aller me poster à la porte de Radio-Canada, au coin de Dorchester et Bishop, au cas où «ils» auraient un urgent besoin de jeune talent vierge… (éd. de 2016, p. 115)

 

[Complément du 28 janvier 2019]

En Belgique, dixit Michel Francard, on brosse les cours.

 

[Complément du 28 janvier 2019]

Sur Twitter, Jean-Philippe Payette rappelle l’Oreille tendue à l’ordre (et à juste titre) : au Québec, on peut aussi loafer ses cours.

 

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français classait «Foxer», mis pour «Manquer la classe, faire l’école buissonnière», parmi les anglicismes, au même titre que «Djouquer» (p. 18). Ce dernier verbe manquait au vocabulaire de l’Oreille.

 

[Complément du 31 octobre 2021]

Un lecteur de l’Oreille tendue à l’œil acéré a repéré l’article ci-dessous dans la Revue populaire d’octobre 1908. Tante Pierrette y affirme que foxer, pour signifier faire l’école buissonnière, est alors «le mot courant, le seul compris, le seul accepté». Elle déplore avec force «la quantité de foxage» dont elle est témoin. Pourquoi ? Parce que cette forme d’absence injustifiée est «l’école du vice» pour «les foxeurs».

Merci à lui, merci à elle.

«Les foxeurs», la Revue populaire, octobre 1908

 

[Complément du 5 février 2022]

La même œuvre, par exemple le roman l’Épidémie de VHS (2020), peut évidemment mêler les formes : «Une fois, il m’a fait loafer ma journée du vendredi pour qu’on aille magasiner à Montréal» (p. 40); «La poésie de chez Metatron a gravement empiré son état et il a foxé son examen de conduite pour partir sur le pouce» (p. 73).

 

[Complément du 19 mars 2024]

La question se posait dès 1987, dans un numéro spécial de la revue Liberté :

FAUT-IL

dire, à propos d’un cours, le lôfer, le foxer ou le skiper ? (p. 64)

 

Références

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Lalonde, Catherine, la Dévoration des fées, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 112, 2017, 136 p.

Ratapopoulos, Almanzor, «Du char. Petit manuel à l’usage du FAD1001F», Liberté, numéro spécial «Watch ta langue !», 1987, p. 63-73.

Tremblay, Alexandra, l’Épidémie de VHS. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 104 p.

Tremblay, Michel, les Vues animées. Récits, Montréal, Leméac, coll. «Nomades», 2016, 229 p. Édition originale : 1990.

Détruire disent-ils

Max Pacioretty sur la glace du Centre Bell

Le fils aîné de l’Oreille tendue rentre de l’école pas trop insatisfait de sa performance à son examen de mathématiques.

«J’ai détruit les premières questions.»

Sur Twitter, @PuckTaVie commente le jeu de Max Pacioretty, le joueur des Canadiens de Montréal (c’est du hockey).

«Bordel que je l’aime quand il détruit.»

Employé seul ou avec un complément, détruire désigne, au Québec, ces jours-ci, une forme de réussite, et de réussite triomphante par annihilation. Qui détruit ne fait pas dans la dentelle.

P.-S. — Vous croyez entendre là un écho de l’anglais (destroy) ? Ce n’est pas l’Oreille qui vous contredira.

Le mépris de la STM

Il y a quelques années, l’Oreille tendue s’est abonnée au fil Twitter de la Société de transport de Montréal (STM). Vu le nombre de pannes sur son réseau, ça s’explique facilement.

Depuis, elle reçoit tous les messages de la STM en double, l’un en français, l’autre en anglais. Elle n’a évidemment jamais demandé une chose pareille.

L’Oreille, à plusieurs reprises, a marqué son mécontentement sur Twitter. Elle sait, de sources conjugales proches et généralement fiables, que d’autres ont porté plainte directement à la STM. Conséquences de ces plaintes ? Aucune.

Sans être juriste, on peut affirmer que cela contrevient aux dispositions de la Charte de la langue française sur le bilinguisme dans les services publics. Celle-ci prévoit en effet des dérogations aux communications en anglais avec leurs clients / utilisateurs. Ces dérogations sont précisément encadrées et, sauf erreur, il faut les demander; on ne peut pas se les faire imposer.

Depuis quand la Société de transport de Montréal est-elle bilingue ? Au secours ! Help !

P.-S. — Sur le même sujet, @OursMathieu est plus lapidaire : «Niaiserie.»

 

[Complément du 2 décembre 2013]

Rien n’y fait : ni les tweets, ni les plaintes, ni les entrées de blogue. L’Oreille a donc écrit, par l’intermédiaire du Devoir, au nouveau président du conseil de la STM, Philippe Schnobb. Elle attend une réponse, sans trop y croire.

De l’inégalité des langues

Westmount était une ville sur l’île de Montréal. Brièvement, elle en a été un arrondissement. Elle est aujourd’hui une de ces villes que l’on dit défusionnées.

Des élections s’y tiendront le 3 novembre.

Philip A. Cutler est candidat. Voici une de ses publicités.

Philip A. Cutler, Westmount

On notera la symétrie linguistique : «Votez» / «Vote», «Conseil Municipal» / «City Council».

On notera aussi qu’elle n’est pas complète : la date est présentée à l’anglo-saxonne («Nov. 3 2013») et le nom du groupe Facebook est en anglais (facebook.com/VoteCutler), à moins que le candidat n’ait choisi de s’adresser à ses électeurs à la deuxième personne du singulier.

Le slogan est encore plus intéressant : «Everyone gets a say in OUR city !» Tout le monde a le droit de se prononcer à Westmount. En anglais seulement ?