La loi de la gravité

Avant la grève étudiante au Québec, il y a un préalable : la levée de cours.

Exemple ces jours-ci à l’Université de Montréal :

«Levée de cours en histoire de l’art», affichette, 2010

Traduction libre : les étudiants qui ne sont pas dans la classe essaient de forcer ceux qui y sont à en sortir.

Autre levée, philanthropique celle-là : la levée de fonds (anglicisme calqué sur fund raising, pour collecte de fonds ou campagne de financement).

L’Oreille tendue se livrerait à ce genre d’activités qu’elle aurait une légère crainte. Tout ce qui monte doit redescendre, non ?

Les joies du bilinguisme

Cette publicité, dans la vitrine de l’épicerie près de chez l’Oreille tendue, il y a quelques jours :

«Sans gluten free», publicité, Montréal, 2010

Premier réflexe : qu’est-ce que ce «gluten free» qu’il n’y a pas dans le produit en montre («sans gluten free») ?

Deuxième réflexe : voilà ce que c’est que d’habiter une ville bilingue («sans gluten» / «gluten free»).

Toutes les occasions de citer Gaston Miron étant bonnes, saisissons celle-ci :

Dès que j’ai pu me rendre compte du monde extérieur, je trempais dans un environnement linguistique à prépondérance anglaise et bilingue, le français étant réservé à l’usage domestique. Ce chevauchement des deux langues, plus exactement d’une langue sur l’autre, finissait par composer une trame indifférenciée, les mots allaient par couples et ces paires de signes me saisissaient comme un seul signal. Door/porte, pull/tirer, pont/bridge, meat/viande, lundi/monday, péage/toll, men/hommes, address/adresse, merci/thank you, bienvenue/welcome, etc. Et j’étais cerné par l’affichage, l’annonce, la réclame. Le monde était tel, pensais-je (p. 222).

 

Référence

Miron, Gaston, «Le bilingue de naissance», Maintenant, 134, mars 1974; repris dans l’Homme rapaillé. Poèmes, Montréal, Typo, 2005, 258 p. Préface de Pierre Nepveu. Édition originale : 1998.

La vie est belle

En voiture, l’autre jour, l’Oreille tendue tombe, avenue Laurier Ouest, sur cette boutique :

Biotiful, publicité

 

Que de richesses en ce seul mot de Biotiful !

Il y a ce bio qui rassure : on n’imagine pas de bébés phoques éviscérés ici. Vert, un jour; vert, toujours.

On sait qu’on sera là dans le beau, celui de beautiful, grâce aux services qu’offre ce «marchand de vie» : épicerie, naturopathie, ostéopathie, massothérapie, herboristerie, cours de yoga, cours de cuisine «sur l’alimentation vivante», aromathérapie. On peut même s’inscrire à des «ateliers de mieux-être» : «Nous offrons une série d’ateliers sur le bien-être via la respiration, l’utilisation de produits naturels, le sport, la méditation…» Le «bien-être» par la «respiration»; voilà qui inspire — c’est le cas de le dire — confiance.

Le mélange de français (bio) et d’anglais (tiful, à prononcer tifoule) sonne moderne à plein.

À simplement regarder la page web de la boutique, on se sent déjà mieux et on se réjouit de pouvoir profiter de cette «augmentation du goût de la vie».

P.-S. — On ne confondra pas ce biotiful avec un autre, aussi vert («Coton biologique») et aussi moderne linguistiquement («Huit is biotiful»), mais dans un créneau un brin différent.

Biotiful, publicité

 

Un rendez-vous svp

L’Oreille tendue apprend que le Canada a un «agenda», ce «Carnet sur lequel on inscrit jour par jour ce qu’on doit faire, ses rendez-vous, ses dépenses, etc.» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Publicité pour une conférence de Peter Van Loan

Elle imagine qu’il doit être volumineux.

 

[Complément du 20 juin 2024]

Cet emploi, directement emprunté à l’anglais, n’est pas propre au Québec. On le trouve, par exemple, dans la traduction hexagonale d’un roman norvégien : «À l’homme qui suit toujours son propre nez, son propre agenda […]» (le Sauveur, p. 73).

 

Référence

Nesbø, Jo, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2005.

Langue seconde ?

L’Oreille tendue a un faible pour la Thaïlande. Il lui arrive même, à distance, de consulter l’édition électronique du Bangkok Post. Voilà comment elle est tombée récemment sur un article intitulé «Plan to Make English 2nd Language Vetoed» (19 octobre 2010).

On y apprend que le ministère thaïlandais de l’Éducation vient de refuser de faire de l’anglais la seconde langue officielle du pays; il sera plutôt considéré comme la principale des langues étrangères.

Pourquoi cette subtile distinction ? Parce que les Thaïlandais, dont le nationalisme est viscéral, sont fiers de dire qu’ils n’ont été colonisés par personne, ni les Français, ni les Hollandais, ni les Britanniques. Or faire de l’anglais la langue seconde du royaume pourrait donner l’impression qu’il a déjà été une colonie anglaise. Cela est hors de question.

Thaï : homme libre.