Glasnost pour tous

Depuis plusieurs mois, la société québécoise est traversée de gros mots, qui commencent tous par la lettre c : corruption, collusion, collusionnaires, cartel, construction, commission, Charbonneau, construction, crime organisé, crosseurs, etc. (Ça ne va pas se calmer : les travaux de la Commission [québécoise] d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction reprennent aujourd’hui.)

Comment mettre fin à la morosité entraînée par pareils mots ? En leur opposant un mot constructif : transparence.

Pourquoi le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, avoue-t-il publiquement avoir fumé de la marijuana ? Par souci de transparence (la Presse, 23 août 2013, p. A2).

Que reproche-t-on à Stephen Harper ? De manquer de transparence. C’est du moins l’avis du commentateur politique Alec Castonguay sur Twitter : «Ça fait un bon moment que le gouv. Harper amène la transparence et les comm. vers le bas fond.» Pourtant, «Ottawa promet des réformes au nom de la transparence» (le Devoir, 11 août 2013, p. A1).

Non seulement, transparence est un mot avec lequel on ne saurait être en désaccord, il a aussi une dimension internationale. Partout dans le monde, on souhaite être transparent.

Le gouvernement américain a espionné ses propres citoyens ? Il est déchiré «Entre transparence et sécurité» (la Presse, 10 août 2013, p. A21).

La Chine fait un procès à un des anciens dirigeants ? «Procès de Bo Xilai, transparence ou propagande 2.0 ?» (la Presse, 27 août 2013, p. A13).

Vous êtes sur Facebook ? «“La transparence et la confiance sont des valeurs fondamentales chez Facebook”, a affirmé l’avocat général du groupe, Colin Stretch» (la Presse, 28 août 2013, p. A13).

Bref, le noir n’est plus la couleur à la mode. Soyez positifs ! Soyez transparents !

P.-S. — Il y a encore des sceptiques : «Les risques de la communication transparente» (la Presse, 29 août 2013, cahier Affaires, p. 4). Ils seront confondus.

 

[Complément du 28 juillet 2015]

Ceci, chez Jean-Marie Klinkenberg, dans la Langue dans la Cité (2015) : «Mais il faut assurément se défier du mot “communication”, un mot qui, avec son compère “transparence”, monte à notre firmament au fur et à mesure que les ténèbres s’épaississent autour de nous» (p. 21).

 

Référence

Klinkenberg, Jean-Marie, la Langue dans la Cité. Vivre et penser l’équité culturelle, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2015, 313 p. Préface de Bernard Cerquiglini.

Danse digressive

L’Oreille tendue a eu quelques occasions de l’écrire : il arrive qu’on lui indique des expressions qui seraient devenues populaires — faire du pouce sur, dans le fond —, alors qu’elle-même ne les a pas repérées.

Merci, lecteurs.

Elle savait que @PimpetteDunoyer en avait contre l’expression pas de côté.

j’entends que vous allez faire un pas de côté pour traiter hors de la boîte la problématique des expressions galvaudées ? (16 mai 2013).

MT @larrysa CHORÉGRAPHIE Sur nouvelle app du Monde on trouve “des pépites qui font faire au lecteur un pas de côté” (sic) (5 avril 2013).

Oh noooooon svp Épargnez vos étudiants et puis ensuite quoi vous allez adopter “Un pas de côté” puis “impacter” ? (27 février 2013).

Puis, en deux jours, l’Oreille tombe deux fois sur l’expression, dans la bouche d’un collègue historien, puis dans les pages du Devoir :

Cette saison, à 82 ans, [Jacques Laurin] s’offre un pas de côté en racontant sa vie dans Chroniques d’un homme heureux (18-19 mai 2013, p. F6).

Merci, lectrice. Bien vu.

 

[Complément du 15 décembre 2018]

Dans Tours & détours le retour. Les plus belles expressions du français de Belgique (2018), Michel Francard consacre un texte à «Faire un pas de côté» (p. 122-124). Il distingue l’emploi hexagonal et l’emploi québécois de l’expression — «Outre-Quiévrain et outre-Atlantique, une personne qui fait un pas de côté décide de prendre des distances avec une situation donnée, avec une routine qui s’est installée; cela, afin d’élargir ses horizons, de renouveler sa pratique, de mieux atteindre l’objectif fixé» (p. 123) — de l’emploi belge — «dans les attestations belges, il marque un arrêt — provisoire ou définitif — dans une carrière, dans l’exercice d’un mandat» (p. 124). Ajoutons encore ceci : «On la retrouve [cette expression] notamment en France et au Québec, où elle est très employée — au point parfois de susciter des commentaires agacés qui la rangent parmi les tics de langage à la mode» (p. 123). En effet.

 

Référence

Francard, Michel, Tours & détours le retour. Les plus belles expressions du français de Belgique, Bruxelles, Racine, 2018, 176 p. Illustrations de CÄät.

Les méandres de la logique narrative

Georges Simenon, Maigret et le client du samedi, 1962, couverture

Soit une phrase tirée de Maigret et le client du samedi :

Depuis la promenade du dimanche dans ce même quartier, [Maigret] avait l’impression de couver un rhume et c’est ce qui lui donna l’idée, au lieu de descendre la rue Lepic pour trouver un taxi place Blanche, de tourner à gauche vers la place des Abbesses (p. 105).

Un lecteur attentif pourra (presque) retrouver la logique qui a mené à la décision de Maigret (il croit être malade et il va donc place des Abbesses). Un lecteur qui ne l’est pas, non.

 

Référence

Simenon, Georges, Maigret et le client du samedi, Paris, Presses de la cité, coll. «Maigret», 37, 1990, 185 p. Édition originale : 1962.

Citations printanières, hors saison

Montréal, 19 mars 2013

Montréal, 19 mars 2013

Officiellement, le printemps commence aujourd’hui. Deux citations de circonstance.

«À cause du printemps, justement, à cause de cet air champagnisé qu’il avait commencé à respirer la veille» (le Voleur de Maigret, p. 9).

«c’est toujours émouvant à observer, le printemps, même quand on commence à connaître le système, c’est une bonne façon de se changer les idées» (14, p. 98).

 

Références

Echenoz, Jean, 14. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2012, 123 p.

Simenon, Georges, le Voleur de Maigret, Paris, Presses de la cité, coll. «Maigret», 44, 1967, 182 p.

Les zeugmes du dimanche matin et de Simenon

Georges Simenon, le Charretier de la «Providence», couverture

 

«Eh oui, patron, on prend de la bouteille, du ventre et du grade» (p. 784-785).

Georges Simenon, Maigret à Vichy, dans Œuvre romanesque, Libre expression et Presses de la Cité, coll. «Tout Simenon», 13, 1990, p. 765-877. Édition originale : 1967.

 

«on vit le matelot […] faire sauter, du pont et d’un geste précis, les amarres de leurs bittes» (p. 53).

Georges Simenon, le Charretier de la «Providence», dans Romans. I, édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 495, 2003, p. 1-103 et 1337-1353. Édition originale : 1931.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)