Divergences transatlantiques 016

En manchette, dans la Presse du 25 avril 2011 : «La réforme du cabaret» (p. A2-A3).

Souhaite-t-on réformer un «Établissement où l’on sert des boissons» ou encore un «Établissement où l’on présente un spectacle et où les clients peuvent consommer des boissons, souper, danser» (le Petit Robert, édition numérique de 2010) ? Que nenni. Il s’agit en fait de rappeler que plusieurs cafétérias scolaires québécoises essaient de chasser la malbouffe de leur menu.

Que vient faire le «cabaret» dans cette histoire ? Il désigne, au Québec, le plateau sur lequel on dépose sa nourriture. Pour le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, ce terme «est un héritage de France; il découle de celui de “petite table ou plateau pour tasses à café, à thé, etc.” aujourd’hui considéré comme vieilli dans les quelques dictionnaires qui le consignent».

Des sources amicobelges assurent l’Oreille tendue que le mot est aussi usité dans les Ardennes.

Le «vieillissement» est affaire bien délicate en matière de langue.

P.-S. — Qu’est-ce alors que le «Cabaret de la Pègre» ?

 

[Complément du 22 février 2016]

Trois compléments littéraires.

L’un du XXIe siècle, dans la Nageuse au milieu du lac (2015) de Patrick Nicol :

J’ai pris le roast-beef; elle, le poulet. Ma mère prend toujours le poulet, croyant que cela lui revient moins cher. Mais hier, elle a pris deux desserts, cachant le deuxième dans son cabaret, derrière deux verres de jus de pêche, s’imaginant que personne ne la voyait. Deux carrés de gâteau des anges au crémage blanc, et la voilà convaincue que c’est vraiment la fête. La fille derrière le comptoir m’a fait un clin d’œil (p. 117).

Les deux autres du XVIIIe, dans les didascalies de la pièce Eugénie (1767) de Beaumarchais :

Dans un des coins est une table chargée d’un cabaret à thé (éd. de 1957, p. 25).

Après avoir rangé les sièges qui sont autour de la table à thé, il en emporte le cabaret et vient remettre la table à sa place auprès du mur de côté (éd. de 1957, p. 36).

 

[Complément du 27 mars 2020]

La pandémie du coronavirus frappe évidemment au Québec. Les personnages âgées sont, ici comme ailleurs, à risque. Réaction de certains centres d’hébergement ? «Plusieurs résidences privées du Québec facturaient jusqu’à 7 $ pour apporter un repas à l’appartement de leurs clients, a révélé La Presse lundi. Or, ces clients de plus de 70 ans devaient rester confinés dans leur chambre selon des directives du gouvernement.» Comment désigner cette somme de 7 $ ? Les «frais cabaret», dixit la Presse+ du jour.

 

Références

Beaumarchais, Eugénie, dans Théâtre. Lettres relatives à son théâtre, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 22, 1957, xvi/855 p. Texte établi et annoté par Maurice Allem et Paul-Courant. Édition originale : 1767.

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.

Belgicismes et québécismes

Dictionnaire des belgicismes, 2009, couverture

Dans une note d’un article paru en 2009, Wim Remysen, s’interrogeant sur l’emploi des mots canadianisme et québécisme, écrivait ceci : «Il serait tout à fait intéressant de comparer la situation canadienne avec celle qui prévaut ailleurs dans la francophonie» (p. 207 n. 2). Il se posait notamment la question du belgicisme. Deux événements se tiendront à Montréal cette semaine, qui devraient permettre d’explorer plus avant le statut des mots «régionaux» du français.

Le 18 novembre, à 19 h, l’Oreille tendue animera une table ronde intitulée «Belgicismes et québécismes : même combat ?». Elle réunira Michel Francard et Marie-Éva de Villers.

Michel Francard est professeur ordinaire à l’Université de Louvain (Belgique), où ses recherches et son enseignement portent principalement sur le français et ses différentes variations. Il a fondé le centre de recherche Valibel et il est actif dans différents réseaux internationaux centrés sur la francophonie. Il vient de publier un Dictionnaire des belgicismes aux éditions De Boeck (2010).

Marie-Éva de Villers est chercheuse agrégée à HEC Montréal, où elle dirige l’équipe qui met en œuvre la politique de la qualité de la communication auprès de l’ensemble des étudiants. Une version numérique de son Multidictionnaire de la langue française (Montréal, Québec Amérique, 2009, cinquième édition) sera mise en ligne à l’automne 2010.

La table ronde se tiendra à la librairie Le port de tête, 262, avenue Mont-Royal Est, Montréal. Elle est organisée par le Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ) et la Délégation Québec Wallonie-Bruxelles au Québec, avec la participation de Radio Spirale. L’entrée est libre.

Le lendemain, le 19 novembre, Michel Francard présentera une conférence au Département de linguistique de l’Université du Québec à Montréal. Intitulée «Québécismes, belgicismes, helvétismes… Et le “bon” français dans tout ça ?», elle débutera à 13 h 30 dans la salle N-M210 du pavillon Paul-Gérin-Lajoie (1205, rue Saint-Denis, Montréal).

 

Références

Francard, Michel, Geneviève Geron, Régine Wilmet et Aude Wirth, Dictionnaire des belgicismes, Louvain-la-Neuve et Paris, De Boeck et Duculot, coll. «Langue française – Ouvrages de référence», 2010. Ill. Préface de Bruno Coppens.

Remysen, Wim, «L’emploi des termes canadianisme et québécisme dans les chroniques de langage canadiennes-françaises», dans France Martineau, Raymond Mougeon, Terry Nadasdi et Mireille Tremblay (édit.), le Français d’ici. Études linguistiques et sociolinguistiques sur la variation du français au Québec et en Ontario, Toronto, Éditions du GREF, coll. «Theoria», 13, 2009, p. 207-231.

Villers, Marie-Éva de, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Québec Amérique, 2009 (cinquième édition), xxvi/1707 p.

Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire de la langue française, cinquième édition, 2009, couverture

 

Causons bruxellois

«Hergé reporter», 2010, couverture

La revue Études françaises vient de faire paraître un dossier intitulé «Hergé reporter. Tintin en contexte.» Rainier Grutman (R.G.) s’y penche sur le contact des langues chez Georges Remi (G.R., Hergé), plus particulièrement dans le Sceptre d’Ottokar, la huitième des «Aventures de Tintin» (1939, en noir et blanc; 1947, en couleurs). R.G. s’est donné pour objectif de repérer et d’interpréter le «substrat linguistique bruxellois» (p. 84) dans cet album, où Hergé met en scène un pays imaginaire, la Syldavie.

Qu’est-ce que le bruxellois ? Un dialecte, «flamand au sens large, brabançon au sens restreint», «contaminé par le français» (p. 94). De «nature germanique» (p. 96), il est essentiellement parlé.

À quoi sert-il dans le Sceptre ? La «langue mystérieuse attribuée aux Syldaves par Hergé» est «le dialecte germanique employé jusqu’il n’y a guère dans la capitale belge» (p. 85). R.G. montre cependant comment, loin d’être rendu de façon strictement réaliste, le «bruxellois travesti» (p. 97) fait partie des «idiomes pseudo-imaginaires» d’Hergé (p. 95).

La démonstration est faite, et bien faite : Hergé était beaucoup plus subtil linguistiquement que ses «adaptateurs» québécois.

 

Référence

Grutman, Rainier, «“Eih bennek, eih blavek” : l’inscription du bruxellois dans le Sceptre d’Ottokar», Études françaises, vol. 46, no 2, 2010, p. 84-99. https://doi.org/10.7202/044536ar

Les français

On voit français standard, français international, français de France, voire français hexagonal, pour désigner le lexique du français réputé le plus général. Dans un tout récent Dictionnaire des belgicismes, on parle plutôt de français dit «de référence», défini comme «celui que décrivent les grammaires et les dictionnaires usuels du français, à l’exclusion de tout ce qui pourrait avoir un caractère marqué, de par son origine régionale ou les restrictions de son emploi».

Voilà qui est nettement mieux.

P.-S. — On trouve un extrait du dictionnaire ici et un quiz, «Parlez-vous belge ?», .

 

Référence

Francard, Michel, Geneviève Geron, Régine Wilmet et Aude Wirth, Dictionnaire des belgicismes, Louvain-la-Neuve et Paris, De Boeck et Duculot, coll. «Langue française – Ouvrages de référence», 2010. Ill. Préface de Bruno Coppens.

Pissons wallon

L’Oreille est tendue internationalement; qu’on se le dise.

Une lectrice attentive a rapporté la photo suivante de ses pérégrinations liégeoises.

Pissotière, Liège, 2010

Question : avait-on bien besoin de dire la pissotière («pihot’reye») ? Une image ne vaut-elle pas mille mots, vers la gauche comme vers la droite ?

P.-S. — Entrez «Pichelotte» et «Pissotière» dans Google, et vous ne trouverez — cas rare — qu’un lien, vers cette page, où tout est dit, mais sans photo.