L’oreille tendue de… Julie Otsuka

Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer, 2022, couverture

«Nous faisions ce que nous avions toujours fait, mais rien n’était plus pareil. “Le moindre bruit m’effraie à présent, disait Onatsu. Lorsqu’on frappe à la porte. Que le téléphone sonne. Qu’un chien aboie. Je tends l’oreille pour écouter les pas des gens.” Et chaque fois qu’une voiture inconnue arrivait dans le voisinage, son cœur battait à tout rompre, car elle était sûre que l’heure avait sonné pour son mari.»

Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 7120, 2022, 176 p. Traduction de Carine Chichereau. Édition numérique.

Accouplements 267

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Au moment de mourir, le film de notre vie défilerait devant nos yeux, dit-on. Avec Woody Allen et Paul Quarrington, les choses sont un peu plus compliquées.

Pour le premier, dans son monologue «Down South», on s’est trompé de film.

 

«And suddenly my whole life passed before my eyes. I saw myself as a kid again, in Kansas, going to school, swimming at the swimming hole, and fishing, frying up a mess-o-catfish, going down to the general store, getting a piece of gingham for Emmy-Lou. And I realise it’s not my life. They’re gonna hang me in two minutes, the wrong life is passing before my eyes.»

Pour le second, dans son roman King Leary (1987), le film est trop long.

«Poppa Rivers was standing down the hallway.
He was as ancient a bugger as I’d ever seen. He looked like God Almighty had forgot to punch his time clock.
“Christ,” I muttered.
“He’s old,” said Manfred. He was wont to say that sort of thing.
“Old ? If his life flashed in front of his eyes there’d have to be an intermission”» (p. 135).

Tout bien considéré, peut-être vaut-il mieux ne pas mourir.

 

Référence

Quarrington, Paul, King Leary. A Novel, Toronto, Doubleday Canada, 1987, 232 p.

Les religions du hockey

Cara Hedley, Twenty Miles, 2007, couverture

On aime beaucoup dire, au Québec, que le hockey y serait une religion.

Le premier à sérieusement réfléchir à cette association a été Olivier Bauer, d’abord en dirigeant, avec Jean-Marc Barreau, un ouvrage collectif, la Religion du Canadien de Montréal (2009), puis en publiant Une théologie du Canadien de Montréal (2011). Dans l’ouvrage de 2011, il concluait ceci :

la religion du Canadien m’apparaît comme une fausse religion qui vénère un mauvais dieu ou, s’il n’y a qu’un Dieu — ce que je crois —, qui l’adore d’une mauvaise façon. Ce qui, je ne me lasserai jamais de le répéter, ne prive pas le Canadien de tout caractère religieux. Car même une fausse religion est encore une religion (p. 126).

On aime aussi dire que cette religion hockeyistique serait propre au Québec. (S’agissant du hockey, l’Oreille tendue a pondu quelques lignes sur d’autres supposées caractéristiques propres à cette province; c’est ici.)

Comme toujours, les choses sont plus compliquées qu’elles ne le paraissent.

Ouvrons Twenty Miles (2007) de Cara Hedley :

I’ve always known about hockey being the Religion of Canadians. But what about the other side : the hockey atheists, the disbelievers, the half-believers ? I played, so I’d never thought to look in that direction. The ones sitting on the fence. Jacob made it sound like I was headed to Hell (p. 116).

S’il existe une religion du hockey, cela suppose la présence d’athées («atheists»), de mécréants («disbelievers»), de demi-croyants («half-believers»), d’indécis («The ones sitting on the fence») et de l’enfer («Hell»). On notera surtout que cette religion serait celle des Canadiens («the Religion of Canadians»), pas seulement celle des Québécois.

L’Oreille est désolée de s’en prendre une fois de plus à un mythe national.

 

Références

Bauer, Olivier et Jean-Marc Barreau (édit.), la Religion du Canadien de Montréal, Montréal, Fides, 2009, 182 p. Ill.

Bauer, Olivier, Une théologie du Canadien de Montréal, Montréal, Bayard Canada, coll. «Religions et société», 2011, 214 p. Ill.

Hedley, Cara, Twenty Miles, Toronto, Coach House Books, 2007, 205 p.

Melançon, Benoît, «Au Québec, c’est comme ça qu’on joue», le Devoir, 4 mars 2025.

Autopromotion 832

Stéphanie Bernier et Michel Biron (édit.), Une écriture en mouvement, 2025, couverture

L’Oreille tendue vient de faire une rechute : elle a encore écrit un texte sur la lettre.

Ça se trouve dans le volume collectif suivant :

Bernier, Stéphanie et Michel Biron (édit.), Une écriture en mouvement. Les correspondances d’écrivains francophones au Canada, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, coll. «Archives des lettres canadiennes», XVIII, 2025, 548 p.

Table des matières

Bernier, Stéphanie et Michel Biron, «Introduction : écrire / à autrui», p. 1-12.

Bartlett-Jeffrey, Lucie, «Vivre le territoire : la Nouvelle-France de Marie Guyart», p. 12-43.

Gill, Louis-Serge, «“Vivre d’abord, écrire ensuite” : matérialité et expérience de la littérature dans la correspondance entre Octave Crémazie et Henri-Raymond Casgrain», p. 45-68.

Livernois, Jonathan, «Arthur Buies, correspondant littéraire ?», p. 69-87.

Hébert, Pierre, «“Un communisme dont le Christ serait l’inspirateur” : dissonance politique dans la correspondance entre Louis Dantin et Jean Bruchési», p. 89-125.

Bernier, Stéphanie, «Écrire en communauté : la correspondance amicale d’Alfred DesRochers», p. 127-154.

Rannaud, Adrien, «“Je me suis fait la plume en vous écrivant” : amour et écriture dans les lettres de Michelle Le Normand à Léo-Paul Desrosiers», p. 155-178.

Biron, Michel, «Saint-Denys Garneau et ses lettres quasi romanesques», p. 179-208.

Watteyne, Nathalie, «Anne Hébert, une correspondance de l’apprentissage», p. 209-225.

Bédard, Mylène, «De l’amitié littéraire entre femmes : les correspondances de Gabrielle Roy et de Marie-Claire Blais avec Jeanne Lapointe», p. 227-258.

Marcotte, Sophie, «Liens forts et liens faibles dans la correspondance de Gabrielle Roy», p. 259-278.

Lapointe, Gilles, «Borduas à Provincetown ou La lettre d’amour laissée dans le sable», p. 279-319.

Maltais, François, «Les chemins épistolaires de l’inquiétude : la correspondance d’Hubert Aquin et de Louis-Georges Carrier (1951-1977)», p. 321-359.

Murphy, Susan Margaret, «Jacques Ferron et Jean Marcel malgré eux : l’écrivain et son critique (1965-1985)», p. 361-400.

Lamonde, Yvan, «Des fils de trame et des fils de chaîne : lettres de Pierre Vadeboncoeur», p. 401-426.

Dumont, François, «Jacques Brault et l’esprit de la lettre», p. 427-446.

Brun del Re, Ariane et Pénélope Cormier, «La mobilité institutionnelle de l’artiste en milieu minoritaire : France Daigle et la fermeture des Éditions d’Acadie», p. 447-472.

Jeannotte, Marie-Hélène, «S’écrire pour mieux vivre ensemble : épistémologie relationnelle des correspondances autochtones au Québec (XIXe-XXIe siècles)», p. 473-501.

Melançon, Benoît, «L’annonce de la mort de la lettre est tout à fait exagérée», p. 503-517.

Huchon, Cassandre, «Bibliographie des éditions de correspondances littéraires au Québec et au Canada français», p. 519-537.

Chantons la langue avec Chilly Gonzales

Chilly Gonzales, album French Kiss, 2023, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Chilly Gonzales, «French Kiss», album French Kiss, 2023

 

Je vous french kiss
Avec la langue de Molière
Ça vous excite
Quand je vous baise dans l’oreille
Je parle anglais comme Tony Blair
Je parle allemand Adolf Hitler
Mais en français j’prononce les r
Éclair, tonnerre, pomme de terre
Je lis dans mon lit, je suis littéraire
Je lis Carrère, j’écoute Makala
J’mange du camembert
J’fume du cannabis
C’est mon somnifère
Bla bla bla, et cetera, patati patata
J’viens du Canada
J’aime les castors
Mais à la frontière
Je suis franchouillard
Check mon passeport
Chansonnier-parolier
Mais j’suis pas Benjamin Biolay
Je rap en triolet
Votre langue est intimidante, ok ?
C’est en français que Chilly chante, ok ?
Ca m’a pris longtemps
Beaucoup de romans, beaucoup de films d’Yves Montand
Avec mon petit accent si charmant
Je comprends que je manque de maîtrise
Mais heureusement j’assume mes bêtises
Votre passé simple n’est pas si simple
Le mien est compliqué comme un labyrinthe (Yes !)
Beaucoup trop jeune pour Verlaine ou Prévert
Je préfère lire Despentes (Yes !)
Beaucoup trop vieux pour parler en verlan
Je n’ai pas dix-sept ans
Mais je vous french kiss comme un vrai cé-fran
François Mitterrand
Je vous french kiss
Avec ma langue française
Je vous french kiss
En dansant la javanaise
Bien dans mes charentaises
En robe de chambre comme Robespierre
J’suis trop fier
De parler la langue de Voltaire, Flaubert, Baudelaire et Bangalter
Je vous french kiss
Éclair au chocolat
Je vous french kiss
Pomme de terre en robe de chambre
En robe de chambre comme Robespierre
Je vous french kiss
L’Hexagone, l’ex à Gonzales, Chilly Gonz à l’Hexagone