Avec pas d’tête

Ad. J. Charon, Poules qui pondent, 1927, couverture

Déclaration récente du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet : «Il y a quelqu’un qui a fabriqué avec [Donald Trump] ce message-là dans le but de nous envoyer encore une fois courir dans toutes les directions, comme des poules décapitées» (le Devoir, 17 décembre 2024).

Les Québécois auront reconnu dans ces «poules décapitées» les poules pas de tête de leur langue populaire.

Ces poules pas de tête auraient pour caractéristique de courir sans véritable direction. Ce faisant, leurs actions seraient inutiles et représenteraient une perte de temps et d’énergie.

À votre service.

P.-S.—Nous avons jadis croisé — n’est-ce pas ? — le crosseur de poule(s) morte (s). On peut supposer que quelques-unes de ces poules mortes n’avaient pas de tête(s).

P.-P.-S.—Mike the Headless Chicken aurait survécu 18 mois sans tête. C’est Wikipédia qui le dit.

P.-P.-P.-S.—Pourquoi «Avec pas d’» ? Parce que.

Des yeux d’homme

David Montrose, Gambling with Fire, éd. de 2016, couverture

On voit souvent, dans la critique culturelle féministe, les mots male gaze. Définition tirée de Wikipédia :

In feminist theory, the male gaze is the act of depicting women and the world in the visual arts and in literature from a masculine, heterosexual perspective that presents and represents women as sexual objects for the pleasure of the heterosexual male viewer.

Il s’agirait d’un mode de représentation des femmes du seul point de vue masculin et hétérosexuel. Elles ne seraient que des objets sexuels pour le plaisir des hommes.

On traduit parfois male gaze, en français, par regard masculin ou par regard des hommes, mais plusieurs conservent simplement la forme anglaise.

C’est à ce type de description que pensait l’Oreille tendue en lisant Gambling with Fire :

He found it difficult to keep his eyes from the girl. She had a big-boned, almost angular face, with shoulders as wide as her hips; yet the womanly roundness of her form, built upon such an unpromising base, was truly voluptuous. Because of her strength and solidity, as much as her deep breasts and smooth thighs, she appeared a woman of great sexuality (p. 20).

C’est bien une affaire de regards — celui du personnage («his eyes») et celui du narrateur — et de désir («she appeared a woman of great sexuality»).

Difficile d’être plus clair.

 

Référence

Montrose, David, Gambling with Fire, Montréal, Véhicule Press, A Ricochet Book, 2016, 207 p. Édition originale : 1968. Introduction de John McFetridge.

Accouplements 239

Jacques Sternberg, l’Employé, 1958, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Sternberg, Jacques, l’Employé. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1958, 216 p.

«— Cette flèche ne vient pas du corridor, dit l’autre père en signant l’acte de décès domestique. Regardez-la de près. Regardez surtout l’angle de tir.

— Et alors ?

— C’est une ruse. Cette femme n’a pas été attaquée. Elle s’est tirée elle-même une flèche dans le dos» (p. 111).

McMaster, Meryl, «Consanguinité», série «In-Between Worlds», 2010, Musée des beaux-arts de Montréal

Meryl McMaster, «Consanguinité», série «In-Between Worlds», 2010, Musée des beaux-arts de Montréal

Le poète-hockeyeur

Classic Hockey Stories, édition de Paul Langan, 2021, couverture

Dans «Double-Backed Puckster», une nouvelle de janvier 1938, Ralph Powers met en scène un jeune hockeyeur qui passe du sport collégial à une ligue professionnelle. Le moins que l’on puisse dire est que Clarence «Tillie» Tillingworth a des habitudes culturelles inattendues dans ce milieu.

Quand on l’interroge sur son nom, jugé rare, il répond en citant Shakespeare (p. 95). Sa définition du courage ? Il l’emprunte à lord Byron (p. 109-110). Il aime accumuler les citations qui fleurent bon la formation classique.

Ses coéquipiers, à une seule exception («us poets has sensitive souls», p. 115), se moquent de lui : «he spouts a bunch of poetry — an’ everybody knows that that’s sissy stuff» (p. 108); «the poets, an’ sissy guys like that, run away from trouble» (p. 109). Sissy : poule mouillée, efféminé, peureux — rien là de valorisé.

À la fin de la nouvelle, histoire de s’intégrer au groupe, le «poem-quoting puckster» (p. 115) abandonne la poésie : «From now on the poetry stuff is out !» (p. 116) On peut le déplorer.

P.-S.—Ce n’est bien sûr pas la première que se croisent ici poésie et hockey.

P.-P.-S.—Reproduire pareilles nouvelles anciennes est une idée bienvenue. Malheureusement, l’ouvrage Classic Hockey Stories est une catastrophe typographique : numérisation approximative, ponctuation qui ne l’est pas moins, coquilles sur coquilles, etc.

 

Référence

Powers, Ralph, «Double-Backed Puckster», Ace Sports Monthly, VII, 1, janvier 1938, reproduit par Paul Langan dans Classic Hockey Stories. From the Golden Era of Pulp Magazines, 1930s-1950s, Chez l’Auteur, 2021, 240 p., p. 94-116.