Des yeux d’homme

David Montrose, Gambling with Fire, éd. de 2016, couverture

On voit souvent, dans la critique culturelle féministe, les mots male gaze. Définition tirée de Wikipédia :

In feminist theory, the male gaze is the act of depicting women and the world in the visual arts and in literature from a masculine, heterosexual perspective that presents and represents women as sexual objects for the pleasure of the heterosexual male viewer.

Il s’agirait d’un mode de représentation des femmes du seul point de vue masculin et hétérosexuel. Elles ne seraient que des objets sexuels pour le plaisir des hommes.

On traduit parfois male gaze, en français, par regard masculin ou par regard des hommes, mais plusieurs conservent simplement la forme anglaise.

C’est à ce type de description que pensait l’Oreille tendue en lisant Gambling with Fire :

He found it difficult to keep his eyes from the girl. She had a big-boned, almost angular face, with shoulders as wide as her hips; yet the womanly roundness of her form, built upon such an unpromising base, was truly voluptuous. Because of her strength and solidity, as much as her deep breasts and smooth thighs, she appeared a woman of great sexuality (p. 20).

C’est bien une affaire de regards — celui du personnage («his eyes») et celui du narrateur — et de désir («she appeared a woman of great sexuality»).

Difficile d’être plus clair.

 

Référence

Montrose, David, Gambling with Fire, Montréal, Véhicule Press, A Ricochet Book, 2016, 207 p. Édition originale : 1968. Introduction de John McFetridge.

Accouplements 239

Jacques Sternberg, l’Employé, 1958, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Sternberg, Jacques, l’Employé. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1958, 216 p.

«— Cette flèche ne vient pas du corridor, dit l’autre père en signant l’acte de décès domestique. Regardez-la de près. Regardez surtout l’angle de tir.

— Et alors ?

— C’est une ruse. Cette femme n’a pas été attaquée. Elle s’est tirée elle-même une flèche dans le dos» (p. 111).

McMaster, Meryl, «Consanguinité», série «In-Between Worlds», 2010, Musée des beaux-arts de Montréal

Meryl McMaster, «Consanguinité», série «In-Between Worlds», 2010, Musée des beaux-arts de Montréal

Le poète-hockeyeur

Classic Hockey Stories, édition de Paul Langan, 2021, couverture

Dans «Double-Backed Puckster», une nouvelle de janvier 1938, Ralph Powers met en scène un jeune hockeyeur qui passe du sport collégial à une ligue professionnelle. Le moins que l’on puisse dire est que Clarence «Tillie» Tillingworth a des habitudes culturelles inattendues dans ce milieu.

Quand on l’interroge sur son nom, jugé rare, il répond en citant Shakespeare (p. 95). Sa définition du courage ? Il l’emprunte à lord Byron (p. 109-110). Il aime accumuler les citations qui fleurent bon la formation classique.

Ses coéquipiers, à une seule exception («us poets has sensitive souls», p. 115), se moquent de lui : «he spouts a bunch of poetry — an’ everybody knows that that’s sissy stuff» (p. 108); «the poets, an’ sissy guys like that, run away from trouble» (p. 109). Sissy : poule mouillée, efféminé, peureux — rien là de valorisé.

À la fin de la nouvelle, histoire de s’intégrer au groupe, le «poem-quoting puckster» (p. 115) abandonne la poésie : «From now on the poetry stuff is out !» (p. 116) On peut le déplorer.

P.-S.—Ce n’est bien sûr pas la première que se croisent ici poésie et hockey.

P.-P.-S.—Reproduire pareilles nouvelles anciennes est une idée bienvenue. Malheureusement, l’ouvrage Classic Hockey Stories est une catastrophe typographique : numérisation approximative, ponctuation qui ne l’est pas moins, coquilles sur coquilles, etc.

 

Référence

Powers, Ralph, «Double-Backed Puckster», Ace Sports Monthly, VII, 1, janvier 1938, reproduit par Paul Langan dans Classic Hockey Stories. From the Golden Era of Pulp Magazines, 1930s-1950s, Chez l’Auteur, 2021, 240 p., p. 94-116.

Accouplements 226

François-Léon Benouville, la Colère d’Achille, 1847, Montpellier, musée Fabre, photo déposée sur Wikimedia Commons

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Chantigny, Louis, «Une fin tragique pour le Rocket», le Petit Journal, du 18 octobre au 25 octobre 1959, p. 132.

«D’ordinaire, ce genre de long préambule déroule en quelque sorte le tapis rouge sur lequel s’avancera dans toute sa majesté une célébrité de l’esprit. Aujourd’hui, ce préambule ouvre ses portes à une gloire du muscle, Maurice Richard, un homme dont l’histoire s’écrit déjà dans l’encre de la légende et du mythe.
Car Maurice Richard est bien de cette race de titans qui force les cadres et brise les barrières que la médiocrité du sport a dressés autour de son génie. Le regard étrange et fiévreux du démon flamboie dans ses yeux, son masque douloureux se dessine derrière ses traits; mais jamais l’hôte effroyable qui l’habite n’a été plus visible que maintenant, au crépuscule de sa carrière et à l’aube de sa fin.»

Purdy, Al, «Homage to Ree-shard», dans Sundance at Dusk, Toronto, McClelland and Stewart, 1976, p. 36-39.

«The first madman
first out-and-out mad shit disturber
after cosmic duels with Bill Ezinicki
now sullen castrated paranoid Achilles
with sore heel in a Montreal pub retired
to muse on wrongs and plot revenge
with long memories of broken storefronts
along St. Catherine Street
when Maisonneuve’s city made him emperor
for a day and hour and a moment»

Bouchard, Serge, «Le silence de Maurice Richard», dans  l’Allume-cigarette de la Chrysler noire, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2019, 240 p., p. 54-56, p. 55.

«[Maurice Richard] se tenait immobile au centre d’un attroupement criard de petits oiseaux, des petites âmes complètement saisies par cette légende. De façon inattendue, sans que je le cherche vraiment, je me suis retrouvé tout près de lui et il m’a serré la main. Je ressens encore aujourd’hui la force de cette poigne. Je n’aurais pas voulu lui disputer la rondelle dans un coin.
Je sus bien plus tard, en faisant mon cours classique, que j’avais rencontré, ce samedi-là, un personnage mythique. J’avais serré la main à Achille, à Ulysse, que dis-je, à Zeus ! Oui, le Canadien nous a montré très jeunes à quoi ressemblaient le panthéon, la cité des dieux, les temples et les tragédies grecques.»

 

Illustration : François-Léon Benouville, la Colère d’Achille, 1847, Montpellier, musée Fabre, photo déposée sur Wikimedia Commons

Accouplements 221

Richard Wagamese, Indian Horse et Ed McBain, Pusher, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Richard Wagamese, Indian Horse. A Novel, Madeira Park, Douglas & McIntyre, 2013, 220 p. Édition originale : 2012.

«Keewatin. That’s the name of the north wind. The Old Ones gave it a name because they believed it was alive, a being like all things. Keewatin rises out over the edge of the barren lands and grips the world in fierce fingers born in the frigid womb of the northern pole. The world slows its rhythm gradually, so that the bears and the other hibernating creatures notice time’s relentless prowl forward. But the cold that year came fast. It descended on us like a slap of a hand : sudden and vindictive» (p. 36).

Ed McBain, Pusher. An 87th Precinct Mystery, New York, Signet, 1973, 153 p. Édition originale : 1956.

«Winter came in like an anarchist with a bomb.
Wild-eyed, shrieking, puffing hard, it caught the city in cold, froze the marrow and froze the heart.
The wind roared under eaves and tore around corners, lifting hats and lifting skirts, caressing warm thighs with icy-cold fingers. The citizens blew on thir hands and lifted their coat collars and tightened their mufflers. They had been enmeshed in the slow-dying lethargy of autumn, and now winter was upon them, rapping their teeth with knuckles of ice. The citizens grinned into the wind, but the wind was not in a smiling mood. The wind roared and bellowed, and snow pilled from the skies, covered the city with white and then, muddied and dirtied, yielded to the wind and the cold and turned to teacherous ice.
The citizens deserted the streets. They sought pot-bellied stoves and hissing radiators. The drank cheap rye or expensive Scotch. They crawled under the covers alone, or they found the warmth of another body in the primitive ritual of love while the wind howled outside.
Winter was going to be a bitch this year» (p. 1, incipit).