Autopromotion 291

Mediapart, 8 avril 2017, manchetteMediapart a récemment envoyé à Montréal le journaliste Antoine Perraud pour essayer de comprendre l’«ontologie du “justintrudeauïsme”». Son article vient de paraître. On peut y lire quelques propos de l’Oreille tendue sur la langue du premier ministre du Canada. (Ce n’est pas la première fois qu’elle se livre à l’exercice.)

Pas de «gentleman trappeur» ici, ni de confusions comme celles de la journaliste française (fictive) Sandrine Rambalde-Cochet de l’émission À la semaine prochaine : Antoine Perraud a bien fait ses devoirs.

P.-S. — On a longtemps pu entendre Antoine Perraud à France Culture. L’Oreille pleure encore la disparition de son émission Tire ta langue.

So long for now

The Vinyl Cafe, tuque, 2017

«It’s my story

On entend parfois des Québécois francophones se demander s’il existe bel et bien une culture canadienne-anglaise, distincte de la culture états-unienne. La réponse, évidemment, est simple : oui, en littérature, en cinéma, en musique (populaire et classique), en peinture — et en radio.

Prenez Stuart McLean. Pendant plus de vingt ans, il a animé une émission à la radio anglaise de Radio-Canada, la CBC, longtemps intitulée The Vinyl Cafe, puis tout récemment Vinyl Cafe Stories. Certains épisodes étaient enregistrés en studio, d’autres devant public, avec accompagnement musical. (McLean avait aussi collaboré à nombre d’autres émissions avant d’avoir la sienne.)

Stuart McLean est mort hier, à 68 ans.

Chaque auditeur avait — et continuera d’avoir — ses rubriques préférées («The Vinyl Cafe Story Exchange», «The Arthur Awards») et ses contes favoris (McLean était un fabuleux conteur). Le plus connu de ces contes est sans contredit «Dave Cooks the Turkey» (Dave est son personnage fétiche, autour duquel était construit l’univers de l’émission), mais l’Oreille tendue a un faible pour plusieurs des autres : «The Fly» (sur l’hypochondrie de Dave), «The Waterslide» (sur son voisin Eugene), «No Tax on Trufles» (sur les découvertes culinaires de son fils, Sam), «Wally the Janitor» (sur le concierge de l’école de Sam et de son ami Murphy), «The Canoe Trip» (sur un voyage avec sa femme Morley), «Tree Planting» (sur un travail d’été de leur fille Stephanie), «Dave Makes Snow» (sur les conséquences d’une idée originale de Dave sur sa voisine, la trop parfaite mary Turlington), «Polly Anderson’s Chrismas Party» (sur une autre de ses voisines, elle aussi adepte de la perfection).

L’Oreille tendue a eu l’occasion de voir McLean en spectacle à quelques reprises. Elle se souvient. Des moulinets qu’il faisait avec ses longs bras et ses longues jambes. De sa façon de s’asseoir pendant qu’il laissait la place à ses invités musicaux et à ses musiciens réguliers. Des consignes qu’il donnait au public : s’il fallait arrêter un conte, puis le recommencer pour corriger une erreur dans le texte ou un problème technique, le public devait absolument faire comme s’il ne connaissait pas déjà l’histoire; il ne pouvait pas rire avant la chute, qu’il venait pourtant d’entendre; il fallait jouer à ne pas savoir, avec lui, pour lui. De son insistance à faire chanter le public, notamment durant ses concerts de Noël, surtout le tout dernier de sa tournée annuelle, qu’il donnait souvent à Montréal, la ville où il était né. De sa volonté de parler français, voire de chanter dans cette langue (du Gilles Vigneault, au moins une fois), alors qu’il ne la parlait pas très bien. De ses formules finales : «So long for now», «Go back to your family».

Qu’y avait-il de particulièrement canadien dans l’œuvre de McLean ? Au moins deux choses. D’une part, un ancrage thématique : ce que McLean racontait, c’était le Canada, l’anglophone comme le francophone (voir le conte «The Wrong Cottage»). Lui qui passait une partie de sa vie en tournée aimait commencer ses spectacles par raconter une histoire que lui inspirait le lieu où il se trouvait, d’un océan à l’autre. D’autre part, son empathie : Stuart McLean aimait les gens et leurs histoires. C’était évident en spectacle; ce l’était encore plus quand il téléphonait, de son studio torontois, à ses auditeurs. Il est un jour tombé sur un adolescent solitaire; ce n’est pas le genre de chose que l’on oublie.

Il restera de lui des recueils de ses textes, des cédéroms, des archives radiophoniques — et des souvenirs vivaces.

Stuart McLean vient de mourir. L’Oreille tendue est triste.

P.-S. — À lire : d’un de ses amis; de son équipe.

P.-P.-S. — Dans un de ses livres, Écrire au pape et au Père Noël, l’Oreille évoque très brièvement un des contes épistolaires de McLean. Elle en aurait eu bien d’autres à citer.

 

[Complément du 20 février 2017]

L’Oreille tendue est honorée que des extraits de son hommage à Stuart McLean aient été repris et traduits dans le texte «A final story exchange : Fans honour Stuart McLean. Canadians at home and abroad share their tributes to the late broadcaster and storyteller» de Scott Utting et Jessica Wong sur le site CBCNews. C’est ici.

 

[Complément du 16 janvier 2023]

Bonne nouvelle du jour : Backstage at the Vinyl Cafe, en balado, promet de faire revivre l’émission de l’intérieur. Ça commence le 20 janvier.

Le français conservateur

Annonce du débat du Parti conservateur du 17 janvier 2017

 

Le Parti conservateur du Canada, à la suite du départ de Stephen Harper, se cherche un nouveau chef. Hier soir, treize (!) candidats à ce poste ont été réunis à Québec pour présenter leurs positions en français. (Il aurait pu y en avoir quatorze si l’unilingue anglophone Kevin O’Leary n’avait pas été aussi «chicken», dixit le journaliste Yves Boisvert dans la Presse+.)

À la demande du Journal de Québec, l’Oreille tendue était devant son ordinateur pour suivre cette activité et offrir ses réflexions sur la qualité du français des candidats. (Merci de l’invitation. L’article est ici. Non, bien sûr, l’Oreille n’est pas linguiste.)

Ci-dessous, quelques ajouts à ce qui a paru dans le journal.

La formule

On ne peut pas parler de débat. À tour de rôle, les participants répondaient, en cinquante secondes, à des questions soumises par la direction du parti ou par des membres; pour plusieurs, il s’agissait de lire, approximativement, un court texte. (Une personne citée hier par le quotidien le Devoir laissait entendre que les candidats connaissaient les questions à l’avance.) Ils pouvaient également réagir brièvement à une déclaration d’un de leurs opposants. Il n’y avait donc aucune interaction réelle entre les candidats. On peut, sans risque de se tromper, avancer que la majorité des intervenants aurait été incapable de pareille interaction. La formule retenue, cette succession de monologues, les a donc protégés.

Le palmarès

Maxime Bernier et Steven Blainey sont francophones; ils étaient clairement avantagés hier soir. Le premier, qui aime l’anglicisme «vocal», a livré le pléonasme de la soirée : il faut «se lever debout».

Parmi les anglophones, Chris Alexander, Michael Chong et Rick Peterson ont été les seuls à faire la démonstration qu’ils sont bilingues. Alexander, qui a dit avoir déjà habité près de Québec, s’est permis un québécisme : «en pleine face». Chong hésitait entre «le job» et «la job». Le léger accent de Peterson et deux de ses choix lexicaux («sympa», «messieurs-dames») laissaient entendre qu’il avait appris son français dans l’Hexagone : en effet, selon son site Web, il a joué au hockey en France et il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris. Les trois faisaient des fautes, mais cela ne les empêchait pas de s’exprimer.

Aucun autre candidat n’a fait la démonstration de sa maîtrise du français. Deepak Obhrai était incompréhensible; sa présence était parfaitement inutile et souvent risible. Les problèmes de prononciation de Kellie Leitch («J’aurai besoin de vous pour pratiquer» mon français, a-t-elle avoué d’entrée de jeu), Brad Trost et Lisa Raitt étaient considérables. Pierre Lemieux ne paraît pas avoir compris qu’on lui posait une question sur les Premières nations; il a répondu sur un tout autre sujet. Erin O’Toole et Andrew Saxton avaient (un peu) mieux travaillé que les autres, mais pas au point de faire la preuve qu’ils sont capables de converser en français. (Lisa Raitt a-t-elle bien dit qu’il y a «60 milliards» de Canadiens qui travaillent dans la forêt ? Ça fait beaucoup de monde.)

Andrew Scheer est probablement le plus grand perdant de la soirée. La semaine dernière, à la surprise de plusieurs, il a annoncé qu’il avait l’appui de quatre députés québécois francophones de son parti dans la course à la chefferie. La soirée a plutôt bien commencé pour lui, mais ça s’est détérioré par la suite. Il n’était à l’aise ni quand il lisait ses réponses préparées ni quand il improvisait. Son poste de président de la Chambre des communes, à Ottawa, à partir de 2011, ne supposait-il pas une connaissance correcte du français ?

Ni le Parti conservateur ni le français ne sortent grandis de cette affaire.

P.-S. — Les choses n’avaient pas très bien commencé, la modératrice, Pascale Déry, ayant ouvert le bal en confondant le conditionnel et le futur («Je serais la modératrice») et en utilisant un anglicisme (il allait y avoir des «questions articulées autour de […] deux termes»).

Nouvelles (sportives) du passé

Des lecteurs de l’Oreille tendue, connaissant son intérêt pour la culture sportive, viennent de lui transmettre deux documents qui ne pouvaient que l’intéresser.

Il existe une poésie hockeyistique, à laquelle l’Oreille a consacré quelques articles : à propos de Maurice Richard, par Ford, Metro (sans accent) et Guy Lafleur, autour de Walt Whitman et de Jean Béliveau. Un éditeur ferronien vient de découvrir, signé Russell Young, de Grand-Mère (Québec), un poème honorant, au moment de sa mort, le gardien de but Georges Vézina, celui qui a donné son nom au trophée remis annuellement au meilleur cerbère de la Ligue nationale de hockey. (Le surnom que portait Vézina a durablement marqué les esprits : comment oublier «Le concombre de Chicoutimi» ? Ce surnom ne renvoyait pas à son teint, mais à son lieu de naissance et à son calme : He was cool as a cucumber, pour reprendre une expression commune de la langue de Gump Worsley.) Cet éloge funèbre paraît le 8 avril 1926 dans le St. Maurice Valley Chronicle (Vézina est mort le 27 mars).

Georges Vezina, Goal-guardian brave

Now lies silent in the grave.

Peace be o’er his resting soul.

He has reached life’s greatest goal.

Through life he played the game.

Till disease his health did claim

But all must go to that Promised Land.

Whether life be low or grand.

Le gardien de but («Goal-guardian») est dans sa tombe («grave»), mais il a atteint son but («life’s greatest goal») et rejoint la Terre promise («that Promised Land»).

Voilà pour la première trouvaille. La seconde concerne le lieu où se déroulent les matchs. Aujourd’hui, un joueur puni se rend au banc des punitions, également appelé cachot. Le Courrier de Saint-Hyacinthe du 21 décembre 1945 préfère parler de «frigidaire» (rubrique «Nouvelles de la région», article «Les compteurs du Saint-Hyacinthe»). On y aurait envoyé un «badman», le défenseur Marcel Larochelle, s’y rafraîchir les idées. Pourrait-il néanmoins y réchauffer le banc ? Ce serait paradoxal.

L’Oreille tendue se réjouit d’avoir des lecteurs à l’ouïe si fine et elle les remercie.