De retour après la pause

Depuis quelques heures, les réseaux sociaux répètent en boucle que Gilles Duceppe reprendrait du service en vue des prochaines élections fédérales, histoire d’appuyer Mario Beaulieu à la tête du Bloc québécois.

L’Oreille tendue a eu l’occasion de parler de Gilles Duceppe en trois occasions : quand il a voulu inventer un mot; quand il a participé à un débat télévisé; surtout, quand il a tâté du rap (cela ne s’invente pas).

Encore un ?

Robert W. Brisebois, Coups de feu au Forum, 2015, couverture

Le 17 mars 1955, il y eut une émeute à Montréal, l’émeute Maurice-Richard (explication ici). Plusieurs auteurs ont fait de cette émeute un cadre romanesque. Trois d’entre eux en ont même profité pour décrire un meurtre ou une tentative de meurtre : Eugène Cloutier, dans les Inutiles; John Farrow, dans la Dague de Cartier (l’Oreille tendue en a parlé ); Robert W. Brisebois, dans Coups de feu au Forum.

Le roman policier de Brisebois vient de paraître. Il commence au moment de l’Émeute, cet «événement phare de l’histoire du Québec» (quatrième de couverture), cette «insurrection proche de l’hystérie collective» (p. 14). Qu’en retenir ?

Que l’auteur et son éditeur n’auraient pas dû confondre mettre l’accent et mettre l’emphase (p. 65 et p. 66).

Que si l’on écrit révolver à la p. 27, on ne devrait pas écrire revolver à la p. 136.

Que, dans un roman réaliste, on n’écrit pas que le match de hockey du 17 mars a commencé à 19 h, «comme d’habitude», alors qu’il a commencé à 20 h 30 (p. 9).

Que, dans un roman réaliste bis, on évite de mettre dans la bouche d’un personnage un verbe qui ne sera attesté que 25 ans après la période durant laquelle se déroule l’action, en l’occurrence fidéliser (p. 56).

Que, dans un roman réaliste ter, on ne fait pas dialoguer des personnages de 1955 sur une fête qui ne sera créée qu’en 1982, la fête du Canada (p. 181 et p. 192).

Mais la couverture, illustrée par Yvon Roy, est jolie.

 

Références

Brisebois, Robert W., Coups de feu au Forum, Montréal, Hurtubise, 2015, 244 p.

Cloutier, Eugène, les Inutiles, Montréal, Cercle du livre de France, 1956, 202 p.

Farrow, John, la Dague de Cartier, Paris, Grasset, coll. «Grand format», 2009, 619 p. Pseudonyme de Trevor Ferguson. Traduction de Jean Rosenthal. L’original anglais a paru deux ans après sa traduction : River City. A Novel, Toronto, HarperCollins, 2011, 845 p.

Accouplements 26

Patrick Nicol, la Nageuse au milieu du lac. Album, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Dans ses Notules dominicales de culture domestique, Philippe Didion évoque un ami «mort au champ d’Alzheimer» (2008, p. 119).

Dans la Nageuse au milieu du lac (sous-titre : Album), un des personnages de Patrick Nicol dit : «Quand je la nomme, François, cette maladie, c’est pour dire que ma mère vaut plus cher au Scrabble que dans la vie» (2015, p. 82).

À chacun sa façon de dire l’oubli et la perte.

P.-S. — Dans un autre registre, sur la même maladie, on lira l’extraordinaire Barney’s Version de Mordecai Richler (1997).

 

[Complément du 6 novembre 2016]

Autre lecture suggérée sur le même sujet : On n’est pas là pour disparaître d’Olivia Rosenthal (2007). Extrait : «Si on vous demandait de porter le nom de votre conjoint, aimeriez-vous que ce nom soit Alzheimer ? Aimeriez-vous vous appeler comme ça, signer comme ça, répondre comme ça quand on vous demanderait de décliner votre identité : je m’appelle Alzheimer. Alzheimer est mon nom» (p. 115).

 

[Complément du 5 janvier 2022]

Un adjectif ? «Si j’en crois vos gourous nombre d’entre vous finiront alzheimerisés, ce qui ne vaut pas mieux que dingues» (le Dernier Bain de Gustave Flaubert, p. 158).

 

Références

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Jauffret, Régis, le Dernier Bain de Gustave Flaubert. Roman, Paris, Seuil, 2021, 328 p.

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.

Richler, Mordecai, Barney’s Version. With Footnotes and an Afterword by Michael Panofsky, Toronto, Alfred A. Knopf, 1997, 417 p. Paru en français sous le titre le Monde de Barney. Accompagné de notes et d’une postface de Michael Panofsky, Paris, Albin Michel, coll. «Les grandes traductions», 1999, 556 p. Traduction de Bernard Cohen. Édition originale : 1997.

Rosenthal, Olivia, On n’est pas là pour disparaître, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 4890, 2007, 235 p.

BDHQ, la suite

Shawn Sirois et Jean-François Vachon, Planète Zoockey, 2012, p. 50

Maurice «Rocket» Richard est le plus mythique des joueurs des Canadiens de Montréal — c’est du hockey.

Il a été l’objet de toutes sortes d’écrits : des articles de périodiques et des textes savants, des biographies et des recueils de souvenirs, des contes et des nouvelles, des romans et des livres pour la jeunesse, des poèmes et des pièces de théâtre. On lui a consacré des chansons, des sculptures, des peintures, des films et des émissions de télévision. Son visage a orné des vêtements, des jouets, des publicités. On a donné son nom à des lieux publics. Et il est représenté dans des bandes dessinées.

Parfois, on y évoque des moments forts de sa carrière : certaines de ses bagarres légendaires — c’est du hockey —, celles avec Robert «Killer» Dill (Ullman, 2014); un de ses buts les plus célèbres (Beaudet et Boily 2011); un match d’exception, celui du 28 décembre 1944 (Bouchard, 2014); une finale de la coupe Stanley (Achdé, 2011); ou l’émeute du 17 avril 1955, qui a joué un rôle si important dans sa carrière et sa mythification (Arsène et Girerd, 1975; Ullman 2011).

À d’autres moments, le nom de Richard apparaît sans qu’il s’agisse de rappeler un de ses hauts faits d’armes. C’est le cas chez Albert Chartier à quelques reprises, et chez Duguay, Goulet et Vaillancourt en 2010. Le Marcel Rageur de Shawn Sirois et Jean-François Vachon (2012) est évidemment inspiré du numéro 9 des Canadiens. Dans Motel Galactic. 3. Comme dans le temps (2013), de Francis Desharnais et Pierre Bouchard, l’allusion au Rocket passe par la citation d’une chanson bien connue de Pierre Létourneau, «Maurice Richard» (1970).

Rares sont les bandes dessinées biographiques sur Richard. Il n’en existe que deux, en anglais, et anciennes : celle du Babe Ruth Sports Comics de 1950, «Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror», et celle des World’s Greatest True Sports Stories de Bill Stern en 1952, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», les deux publiées aux États-Unis.

 

Bill Stern, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, 1952, case

Ce qui nous amène à une bande dessinée que faisait paraître la Presse+, la version pour tablette du quotidien montréalais la Presse, le 3 mai dernier. Intitulée «Les gants magiques», signée André Rivest, cette histoire en dix cases raconte les prouesses inattendues du numéro 18 des Canadiens, Marcel Bonin, pendant les séries éliminatoires de 1959. On ne s’attendait pas à ce que ce joueur robuste — ce qu’on appelle aujourd’hui un policier — marque dix buts et obtienne cinq passes en onze parties.

Rivest, André, «Les gants magiques», la Presse+, 3 mai 2015

Comment a-t-il réussi cela ? En jouant avec les vieux gants de Maurice Richard, alors blessé, ce Richard qui est dans cinq des dix cases de la bande dessinée.

On ne prête qu’aux riches.

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

[Complément du 2 juin 2016]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «BDHQ : bande dessinée et hockey au Québec», dans Benoît Melançon et Michel Porret (édit.), Pucks en stock. Bande dessinée et sport, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, p. 101-117. https://doi.org/1866/28749

 

Références

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 3. Filet garni !, Boomerang éditeur jeunesse, 2011, 46 p. Couleur : Mel.

«Albert Chartier. A Retrospective on the Life and Work of a Pioneer Quebecois Cartoonist», Drawn & Quarterly, 5, 2003, p. 116-191. Traduction de Helge Dascher. Calligraphie de Dirk Rehm.

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny».

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p.

Bouchard, Pierre, Je sais tout, Montréal, Éditions Pow Pow, 2014, 106 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, Montréal, L’Aurore, coll. «Les p’tits comiks», 1, 1974, [s.p.].

Chartier, Albert, Une piquante petite brunette, Montréal, Les 400 coups, coll. «Strips», 2008, 222 p. Publié sous la direction de Jimmy Beaulieu.

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 3. Comme dans le temps, Montréal, Éditions Pow Pow, 2013, 107 p.

Duguay, Goulet et Vaillancourt, Lionel et Nooga 1. Bandes et contrebandes, Montréal, Les 400 coups, coll. «Rotor», 2010, 60 p.

«Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror», Babe Ruth Sports Comics, 1, 6, février 1950, [s.p.]. Reproduite par Paul Langan dans Classic Hockey Stories. From the Golden Era of Pulp Magazines, 1930s-1950s (Chez l’Auteur, 2021, p. 219-221).

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Rivest, André, «Les gants magiques», la Presse+, 3 mai 2015.

Sirois, Shawn et Jean-François Vachon, Planète Zoockey, Montréal, Le petit homme, 2012, 50 p. Idée originale de Bob Sirois.

Stern, Bill, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, hiver 1952, [s.p.].

Ullman, Robert et Jeffrey Brown, «Libérez le Rocket», dans Old-Timey Hockey Tales, Volume One, Greenville, Richmond et Minneapolis, Wide Awake Press, 2011, [s.p.].

Ullman, Robert, «The Rocket vs. “Killer” Dill», dans «Old-Timey» Hockey Tales, Volume Two, Wide Awake Press, 2014, [s.p.].

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture