Géographie périurbaine

Carte du Québec adjacent, Dictionnaire québécois instantané, 2004

Mea maxima culpa. Il est arrivé à quelques reprises à l’Oreille tendue de parler du 450 comme si cela allait de soi pour tous ses lecteurs. Corrigeons la situation.

Qu’est-ce que le 450 ? Reprenons pour commencer la définition du Dictionnaire québécois instantané (2004).

Code téléphonique de la grande région montréalaise, mais à l’extérieur de l’île de Montréal (le code de Montréal est le 514). «514 et 450 : les deux solitudes» (la Presse, 20 décembre 2002).

1. Unité de mesure politique. Les élections se jouent ce soir dans le 450. «Les libéraux raflent presque tout dans le 450» (la Presse, 15 avril 2003). «Le “450” au pouvoir !» (la Presse, 20 mai 2003)

2. Terme générique désignant la source de tous les maux affectant le plateau Mont-Royal la fin de semaine. Les 450 vont manger sur la rue Duluth le samedi soir. Les 450 envahissent la rue Mont-Royal le dimanche après-midi. «[Le] 450 a colonisé l’ensemble du Québec» (le Devoir, 27-28 octobre 2001).

Se prononce toujours quatre-cinq-zéro, jamais quatre cent cinquante (p. 178).

Qu’ajouter à cela ? Cinq choses.

Que Montréal dispose toujours du 514, mais qu’on lui a aussi adjoint le 438. Le 438 est moins infamant que le 450, mais ce n’est quand même pas le 514.

Que le 450 est toujours aussi éloigné du 514. La preuve ? Quitter le second au profit du premier est un «exode» (la Presse, 24 mars 2014, p. A9).

Que le 514 est toujours, malgré les prétentions du 450, plus urbain que lui : «Urbain ou 450 ?» (la Presse, 9 juin 2012, cahier Maison, p. 8) Le blogue Vivez la vie urbaine est consacré à ces questions.

Que le 450 est devenu matière artistique. Il a son roman : Ô 450 ! Scènes de la vie de banlieue de Chantal Gevrey. Il a eu son émission de télévision, au réseau TQS : 450, chemin du golf. Il a sa chanson, «(450)», du défunt groupe folk pop André, plus téléphoniquement spécifique, sur le même thème, que «Banlieue» (Les Cowboys fringants) et «Rive-Sud» (Beau Dommage).

Que Céline Dion, chanteuse et mère de famille, est née native de la région aujourd’hui désignée par le 450.

Attention : il ne faut pas confondre le 450 et l’adjacent.

P.-S. — Pour les chansons, merci à @OursMathieu, @AmelieGaudreau, @riclaude et @andredesorel.

 

[Complément du 16 juin 2018]

Le Devoir du jour consacre un article au vingtième anniversaire du 450. L’Oreille y est citée. Merci.

 

[Complément du 2 janvier 2024]

Le 450 peut même être objet poétique, par exemple chez Ian Lauda, dans le Mécanisme intérieur (2023) :

Si loin si proche

tu es la porte du nord que tous recherchent

sans toi pas d’accès à ces choses merveilleuses
comme la fleur du luxe
ou les trésors du joyeux festin

sans toi

on demeure dans la périphérie des choses
dans le quatre-cinq-zéro (p. 42)

 

Références

Gevrey, Chantal, Ô 450 ! Scènes de la vie de banlieue, Montréal, Éditions Marchand de feuilles, 2005, 190 p.

Lauda, Ian, le Mécanisme intérieur. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2023, 57 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. La «Carte du Québec adjacent» reproduite ci-dessus se trouve p. 13.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Sacrer mou

L’Oreille tendue — c’est de notoriété publique — aime beaucoup sacrer. À cet art, elle a consacré nombre d’entrées de ce blogue.

Elle s’étonne toujours devant les formes molles des sacres (tabarnouche pour tabarnak, par exemple), car on perd alors de vue la quincaillerie liturgique sur laquelle prend appui le juron québécois.

Cet étonnement s’étend à d’autres expressions, plus idiosyncrasiques que généralisées, dans lesquelles le matériel religieux est évoqué. Il est ainsi des gens qui diraient pentures de confessionnal (merci à @liseravary). Pour d’autres, plus ironiques, bon en chasuble (@MDumaisJDM) serait possible. On entend(ait) parfois petit Jésus de plâtre.

Le jour où l’Oreille aura recours à pareils euphémismes, vous pourrez lui crier dessus.

 

[Complément du 3 mars 2014]

Qui veut, pour jurer, s’en remettre à l’histoire sainte, mais préfère ne pas se servir de Son nom ou de celui de Son fils, peut toujours avoir recours à d’autres personnages bibliques : «Jared Leto sur le tapis rouge aux #oscars : comme si Jésus s’était loué un tux blanc pour échapper aux Romains. Étrange en Hérode !» (@_scorm)

 

[Complément du 15 avril 2014]

@revi_redac rappelle à l’Oreille des paroles d’une chanson de Richard Desjardins, «Le bon gars» :

Y vont m’aimer en Hérode
Excellent citoyen
Pas parfait mais pas loin

Se les geler avec Jean Echenoz

Jean Echenoz, Je m'en vais, 1999, couverture

S’il faut en croire le Jean Echenoz de Je m’en vais (1999), les couchettes du brise-glace Des Groseilliers seraient exiguës. Elles le seraient encore plus quand on s’y trouve deux.

Voilà pourquoi Félix Ferrer se retrouve contre son gré sur son séant et le plancher de sa cabine, Jocelyne, sa passagère compagne, l’ayant poussé hors de leur couche. Or ils voguent au-delà du cercle polaire.

Il a moins froid, maintenant, il a l’air fin dans son tricot, ses pauvres génitoires contractées ne ballant qu’à peine par en dessous (p. 49).

Génitoires, donc.

Infirmière de son état, Jocelyne aurait peut-être parlé de testicules. Québécoise, ce qu’elle paraît être aussi, elle aurait pu utiliser le mot gosses.

Le narrateur, lui, a préféré un mot autrefois chanté par Georges Brassens.

C’est comme ça.

P.-S. — Jocelyne aurait pu avoir recours à un autre synonyme, tel un rédacteur de la revue Liberté : «un peu comme si je lui avais donné un léger mais sincère coup de pied dans les schnolles» (no 302, p. 42). Elle ne l’a pas fait, que l’on sache. (On voit aussi chnolles.)

 

[Complément du 23 septembre 2015]

Des amis du poète québécois Saint-Denys Garneau publient plusieurs de ses lettres en 1967. Ils censurent cependant le contenu de certaines, par exemple celle du 9 octobre 1937 à Jean Le Moyne, dont ils retirent la phrase suivante : «Je vois l’influence de la fumée sur mes nerfs et aussi sur mes chenolles.» Elle est rétablie par Michel Biron dans sa biographie du poète (p. 346). Donc : schnolles, chnolles, chenolles — au moins.

 

[Complément du 19 décembre 2019]

Le poète Gérald Godin, dans les Cantouques (1967), retient la graphie chenolle pour parler d’émasculation : «sans yeux sans voix échenollé tordu tanné» (p. 35).

 

[Complément du 2 janvier 2024]

On voit aussi snell : «A l’a baté ent’ les deux snells» (Plume, p. 84).

 

Références

Biron, Michel, De Saint-Denys Garneau. Biographie, Montréal, Boréal, 2015, 450 p. Ill.

Echenoz, Jean, Je m’en vais. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1999, 252 p.

Godin, Gérald, les Cantouques. Poèmes en langue verte, populaire et quelquefois française, Montréal, Parti pris, coll. «Paroles», 10, 1971, 52 p. Édition originale : 1967.

Lefebvre, Pierre, «Le propriétaire et le possédé. Cinquième confession d’un cassé. Quand le pauvre fait la lutte au pauvre», Liberté, 302, hiver 2014, p. 38-42. https://id.erudit.org/iderudit/70537ac

Plume. Chansons par toutes sortes de monde, Moult éditions, 2023, 189 p. Ill.

Extension du domaine du baveux

«Des mineures à la Nationale
Emmenez-en des baveux»
(Éric Lapointe,
«Rocket (On est tous des Maurice Richard)»,
chanson, 1998).

 

Le baveux est connu. Définition et exemple tirés du Dictionnaire québécois instantané, cosigné par l’Oreille tendue en 2004 :

Qui préfère l’arrogance à la déférence. Ne manque pas d’attitude. «Baveux et irrévérencieux. Le magazine p45 veut brasser la cage des publications alternatives» (la Presse, 7 mars 2001). «Lahaie préfère jouer la carte de la prudence lorsque vient le temps de parler de l’attitude des Huskies. Entre ses lèvres serrées, on peut quasiment déchiffrer le mot “baveux”» (le Soleil, 16 novembre 2001) (p. 26-27).

«Tu parles de moyens baveux» (le Devoir, 10-11 mai 2003) (p. 146).

L’autre jour, sur Twitter, @PimpetteDunoyer attirait l’attention de l’Oreille tendue, qui ne le connaissait pas, sur un synonyme de baveux, fréquent.

«@MlleAinee m’apprend expression “t’es fréquente” au sens de “t’es ben baveuse” exclusivement pour filles.»

Cette remarque a entraîné des débats twittériens sur trois aspects de la question.

@maxdenoncourt et @profenhistoire ont signalé que l’expression n’était pas récente, l’un et l’autre la connaissant depuis un certain temps.

Toujours selon @profenhistoire, fréquent s’emploierait aussi bien pour les garçons que pour les filles — d’où l’interrogation légitime de @PimpetteDunoyer :

«ds sa classe, utilisé qu’au féminin (à moins qu’elle soit la seule vrmt baveuse du groupe !).»

C’est surtout en matière de prévalence et d’origine ethnoculturelles que les débats ont été les plus troublants.

L’Oreille a sondé l’adolescent qu’elle a sous la main pour essayer de saisir l’extension du terme. Selon lui, l’expression serait populaire chez «les Albanais du Plateau» (quoi que soient les Albanais du Plateau).

Réponse de @PimpetteDunoyer :

«Ici, c’est véhiculé par les Marocains de la Petite Patrie !»

Suggestion de @profenhistoire :

«Je ne pense pas me tromper en suggérant d’en chercher l’origine chez la communauté haïtienne.»

Le mystère s’épaissit.

 

[Complément du 10 janvier 2014]

Exemple cinématographique : «MlleAinée : “wow, Sophie Tremblay, è fréquente” #GuerreDesTuques actualisée» (@PimpetteDunoyer).

 

[Complément du 18 septembre 2016]

Il est des domaines du savoir que l’Oreille tendue arpente plus rarement que d’autres. Ainsi, le monde du maquillage féminin lui est presque totalement inconnu. On imaginera donc sans mal son étonnement quand elle a découvert que le baveux, en ce domaine, serait connoté positivement. C’est du moins ce que laisse entendre cette publicité, parue dans la Presse+ du 15 septembre dernier. L’Oreille ne sait cependant pas si l’on peut dire d’un maquillage qu’il est fréquent.

Maquillage «baveux», la Presse+, 15 septembre 2016

 

[Complément du 23 août 2022]

Dans un article sur le contact des langues à Montréal, le Devoir des 20-21 août 2022 indique que frekan, au sens d’irrespectueux, vient du créole.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Tontir une deuxième fois ?

David Turgeon, La raison vient à Carolus, 2013, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de La raison vient à Carolus de David Turgeon (2013) :

«Je me souviens, et je ne peux l’affirmer avec certitude mais c’est ce qui ferait la meilleure histoire, que Carolus un jour retontit dans notre cul-de-sac […]» (p. 14).

Retontir, donc.

En 2008, deux auditeurs de la radio de Radio-Canada avaient proposé ce verbe dans le cadre du concours «J’ajoute un québécisme au dictionnaire».

Son sens ? Arriver, souvent à l’improviste.

P.-S. — Existe en version archaïque : ressoudre, à prononcer erssoudr’.

 

[Complément du 2 octobre 2020]

Des exemples avec ressou(r)dre ?

En chanson : «Qui c’est qui r’soud ?» (Richard Desjardins, «Le chant du bum»)

En poésie : «chez vous j’ai ressoud» (Gérald Godin, «Cantouque d’amour», p. 22).

En roman, en deux graphies : «Il était convaincu qu’on allait le voir ressoudre à l’aube, les sacoches pleines de morilles» (Thierry Dimanche, Cercles de feu, p. 404); «En voyant ressourdre l’intruse à l’épluchette, Madeleine-la-Mére était rentrée dans la maison, dépitée» (Éric Dupont, la Fiancée américaine, p. 179).

Twitter donne d’autres exemples romanesques, chez Noël Audet et chez Geneviève Pettersen et Christophe Bernard.

 

[Complément du 3 octobre 2020]

Ah ! la mémoire ! L’Oreille tendue, le 23 octobre 2017, signalait un ressourdre dans Simone au travail de David Turgeon : «Examinons pourtant l’éventualité où, par cette forme toujours déplacée d’orgueil dont les écrivains ont fait tant d’histoires, Pierre-Luc eût décidé de bouder tout seul de son côté, et ce, tant que ne ressourdrait pas Sarah-Jeanne» (p. 52).

 

Références

Dimanche, Thierry, Cercles de feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 138, 2019, 438 p.

Dupont, Éric, la Fiancée américaine. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2015, 877 p. Édition originale : 2012.

Godin, Gérald, les Cantouques. Poèmes en langue verte, populaire et quelquefois française, Montréal, Parti pris, coll. «Paroles», 10, 1971, 52 p. Édition originale : 1967.

Turgeon, David, La raison vient à Carolus, Montréal, Le Quartanier, coll. «Nova», 9, 2013, 58 p.

Turgeon, David, Simone au travail. Romans, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 111, 2017, 284 p. Rééd. : Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 2018, 280 p.