Du doigté

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Dans une de leurs chansons sur le hockey, «Salut mon Ron» (2002), Les Cowboys fringants prêtent cette déclaration à un des auditeurs de l’émission radiophonique les Amateurs de sport : «J’ai une question totchée pour toé mon Ron

Dans son roman les Corpuscules de Krause (2010), Sandra Gordon met la réplique suivante dans la bouche d’un de ses personnages : «Écoutez, madame, c’est totché ces affaires-là» (p. 13).

Touchy, totché : voilà qui est délicat. Jusque dans l’orthographe.

 

Références

Les Cowboys fringants, «Salut mon Ron», Break syndical, disque audionumérique, 2002, étiquette Disques de La Tribu, TRICD-7200.

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Le plaisir, c’est dans la tête

Loco Locass, «Hymne à Québec», 2010, illustration

Soit, d’abord, les vers suivants, tirés d’une chanson de Loco Locass, «Hymne à Québec» (2010) :

Stadaconé, Kabak, Québec
Fortifiée depuis Frontenac
Assiégée, bombardée, détruite au mortier, mortifiée
Reconstruite, incendiée
Quatre mois par année dans les glaces prise et protégée
Pour l’historien ou le topographe
De pied en cap, Québec est toute sauf plate
Carnaval, festival, fête nationale
Hiver comme été les nuits sont malades mentales !

Soit, ensuite, ce tweet de @NieDesrochers :

Philippe Mollé a préparé de la pintade pour l’équipe. Mental. Je meurs ! #miam

Malade mental, ou simplement mental, donc, dans certains cas, au Québec, peut être un mélioratif. Qu’on se le dise.

P.-S. — Grammaticalement, il s’agit d’un cas compliqué : faut-il accorder malade mental en genre et en nombre, comme l’Oreille l’a fait (les nuits de Québec seraient «malades mentales») ? Ça se discute.

Mécréance

Robert Charlebois, «Demain l’hiver», 45 tours, étiquette Gamma

Pour des raisons qu’il serait ennuyeux de raconter, l’Oreille tendue a dû assister à deux messes récemment. Pas des masses concentrée, elle laissait filer son imagination. Néanmoins, chaque fois, elle a été rattrapée par son passé.

Au moment où les célébrants disaient «Je vous laisse la paix; je vous donne ma paix» (Jean 14:27), elle s’est rappelé ces vers :

Je vous laisse ma paix
Je vous donne ma paix
Je me pousse en paix avec les canards

Le lecteur attentif aura reconnu la chanson «Demain l’hiver» de Robert Charlebois (1967), celle où il veut fuir Montréal («se pousser») vers le Sud («avec les canards»).

Église et chanson font parfois étrange ménage.

Patiner sur l’eau

Samedi dernier, les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — ont congédié leur entraîneur-chef, Jacques Martin, et l’ont remplacé — ô sacrilège ! — par un unilingue anglophone, Randy Cunneyworth. Depuis, psychanalyse nationale.

Même les ministres du gouvernement du Québec s’en mêlent et s’en prennent à celui qui a pris cette décision, Pierre Gauthier, le directeur général du club. La ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine Saint-Pierre, qui est également responsable de l’application de la Charte de la langue française, a déclaré que c’était inacceptable, puisque «Le Canadien est dans nos gènes». Sa collègue du sport, Line Beauchamp, va dans le même sens : «le Canadien est une institution, ça fait partie de notre patrimoine, on a ça dans notre ADN, cela commande des impératifs». Deux ministres généticiennes : on n’en espérait pas tant.

Les journalistes, qui sèment à tout vent, ont leur propre registre métaphorique.

Lyrique comme lui seul sait l’être, Jean Dion, dans le Devoir, fait dans l’aquatique :

À Montréal, le navire ne coule jamais, mais il ne fend jamais l’écume non plus. Il se laisse bercer par les flots, et cela donne des changements de cap qui mènent à laisser partir Saku Koivu, Alexei Kovalev et Michael Ryder pour les remplacer par Michael Cammalleri, Brian Gionta et Scott Gomez. Pas loin du sur-place (19 décembre 2011, p. A1-A8).

À la Presse, François Gagnon saute sur le pont avec lui :

Quand le bateau affronte une tempête, une grosse, une vraie, c’est près du timonier qui s’éreinte à maintenir le cap que le capitaine doit se tenir et non dans les chics salons pour partager champagne et amuse-gueules avec les riches passagers pour les rassurer et prétendre que tout va bien (20 décembre 2011, cahier Sports, p. 3).

C’était prévisible. Dès 2007, Alain-François le chantait dans «C’est pour quand la coupe Stanley ?» :

On part en lion on finit en poisson
I a un problème dans’cage ou de repêchage
C’t’un gros bateau qui prend l’eau
Depuis qu’on a perdu Casseau

Le maître nageur — le sauveur — est tout trouvé : ce sera Patrick Roy («Casseau», pour les intimes). N’a-t-il pas les Canadiens dans son ADN ?

Est-ce bien nécessaire ?

Parmi les jurons québécois, il en est de forts et il en est de faibles. Dans la première catégorie, on place aujourd’hui — même si leur statut a varié dans le temps — tabarnak ou crisse. Dans la seconde, on peut penser à maudit.

Soit les quatre exemples suivants, tirés de chansons portant à des degrés divers sur le hockey, dans différents emplois grammaticaux.

«Parce que not’seule révolution
C’était celle de Maurice Richard au Forum
Dins’années cinquante
En ce temps-là j’te dis mon chum
Qu’on chantait maudit faut qu’ça change» (Claude Gauthier, 1976).

«J’aguis l’hivere
Maudit hivere
Les dents serrées, les mains gercées, les batteries à terre
J’aguis l’hiver
Maudit hivere
Chez nous l’hiver, c’comme le hockey
Y a des finales jusqu’au mois d’mai» (Dominique Michel, 1979).

«Ça pas d’maudit bon sens
Avec les femmes faudrait pouvoir scorer
Comme on score au hockey» (Robert Charlebois, 1981).

«Ma mère faisait cuire du jambon
Maudit qu’le hockey sentait bon
Quand y avait un but
[Choriste : Y avait un but]
On criait comme des perdus» (Christine Corneau, 1988).

On aurait pu croire que, contrairement aux jurons plus osés, un juron aussi insipide que celui-là aurait pu se passer de formes édulcorées; il n’en est rien.

Comme l’avait noté François Bon en 2009, mautadine existe : «De Renée-Claude Brazeau : Mautadine qu’elle donne envie d’écrire “pouet pouet” partout» (p. 5).

On voit aussi mautadit, comme sur cette photo prise à Montréal le 10 décembre 2011 :

«En mautadit !», publicité, Montréal, 2011

Question grave : est-il bien nécessaire d’euphémiser maudit ?

 

Références

Bon, François, Une Amérique lentement dessinée à la main, texte pour le cours de création littéraire FRA 1710B de l’Université de Montral le 18 novembre 2009, à partir de la Sentimenthèque de Patrick Chamoiseau, 2009, 38 p.

Charlebois, Robert, «Moi Tarzan, toi Jane», dans Heureux en amour ?, 1981, disque étiquette Conception.

Corneau, Christine, «La soirée du hockey», dans En personne, 1988, disque audionumérique, 1988, étiquette Analekta, SNP-9801 Sonophile.

Gauthier, Claude, «La valse à mon oncle», dans les Beaux Instants. Live à l’Outremont, 1976, disque 33 tours, étiquette PE 7500 Presqu’île; réédition, 1993, disque audionumérique, étiquette Transit, Interdisc distribution TRCD-9104 Transit.

Michel, Dominique, «Hiver maudit : j’hais l’hiver», 1979, disque 45 tours, étiquette ENG 4201 Disques Énergie; repris dans 28 Chansons souvenirs, 2006, disque audionumérique, étiquette Disques Mérite.