De mort violente

Orignal mort, dans un camion

Soit les phrases suivantes, tirées d’œuvres québécoises récentes :

«Ce soir-là, j’ai dormi sans Thomas. Où était-il ? Avait-il tué » (Kukum, p. 54)

«T’as-tu tué ?» (Québec Redneck Bluegrass Projet)

«C’est exactement ce qui est arrivé lorsque j’ai tué pour la première fois» (le Temps des récoltes, p. 31).

«Le père de Max avait tué à l’automne, ça l’avait mis de bonne humeur, la première fois qu’il allait à la chasse depuis deux ans» (le Chemin d’en haut, p. 59).

Qu’on se rassure : comme l’indique la dernière phrase, les Québécois ne sont pas particulièrement portés sur l’assassinat, sauf quand ils vont à la chasse. S’il ont tué, c’est un animal. Ouf.

 

Références

Cardin, Élisabeth, le Temps des récoltes. Cultiver le territoire, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 19, 2021, 73 p. Ill.

Chabot, J. P., le Chemin d’en haut. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 171, 2022, 224 p.

Jean, Michel, Kukum, Montréal, Libre expression 2019, 222 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

L’adolescence d’Ella

Fiche d’Ella Fitzgerald à son arrivée à la New York State Training School for Girls en avril 1933

Quand on l’interrogeait sur son adolescence, Ella Fitzgerald a souvent eu recours à une ellipse. Elle racontait que sa mère était morte quand elle avait quinze ans, puis qu’elle avait commencé à participer à des concours d’amateurs au Apollo Theater d’Harlem; c’est là qu’on l’a découverte.

Dans ces entretiens, il semblait y avoir une continuité nette entre deux évènements : la mort de sa mère; son entrée dans le monde de la musique. Ce n’est pas tout à fait le cas, ainsi que le rappelle «Acting Out», l’épisode du 7 juillet 2023 du podcast Revisionist History, de Malcolm Gladwell. Entre les deux, Ella Fitzgerald a passé plusieurs mois dans ce qu’on appellerait au Québec une école de réforme.

Ben Naddaff-Hafrey raconte à Gladwell comment la future star a vécu à la New York State Training School for Girls, à Hudson (New York), à partir d’avril 1933, avant de s’en évader, quand cet établissement est géré par Fannie French Morse. Le racisme y était évident. Ces informations ne sont pas nouvelles : Nina Bernstein avait déjà écrit sur le sujet en 1996 dans le New York Times.

Comme toujours, chez Gladwell, cet épisode biographique s’inscrit cependant dans un cadre bien plus large, celui de l’apparition de la théorie des réseaux (social network theory) en sciences sociales, et des expériences de Jacob Levy Moreno (1889-1974) et de Helen Hall Jennings (1905-1966).

À écouter.

Jazzer le hockey

Hugo Blouin, Sport national, 2023, pochette

«Le but !
But, but, but, but, but !»

L’Oreille tendue s’intéresse aux liens entre sport et culture au Québec. Elle a écrit, entre autres sujets, sur des icônes sportives — Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur —, sur les relations entre bande dessinée et hockey, et sur la chanson et ce sport.

Elle se devait d’écouter le plus récent album du compositeur et contrebassiste Hugo Blouin, Sport national (2023).

Blouin n’est (n’était ?) pas un amateur de hockey : les onze pièces «de musique de chambre de hockey» qu’il vient de lancer «suivent [sa] découverte fascinée de ce sport et de cet objet culturel», à la «manière d’un documentaire» (livret de l’album). Il n’est donc pas obsédé — comme l’est parfois l’Oreille — par la langue de puck ou — comme le sont certains — par les arcanes du sport.

Il met en scène des événements largement connus : l’équipe des Canadiens de Montréal est créée en 1909, comme le rappelle «Sport national»; l’émeute du 17 mars 1955 à la suite de la suspension de Maurice Richard est évoquée dans «La soupape» et dans «Ne plus causer de trouble»; la série de 1972 (dite «du siècle») entre les Canadiens et les Soviétiques, ces «robots», se retrouve dans «Attaboy» (en français, en anglais et en russe), dans «God is Canadian» (en anglais) et dans «This is War» (en anglais et en français). Blouin sait qu’il y a eu récemment une équipe de la Ligue nationale de hockey à Québec, mais qu’il n’y en a plus : «Ce n’est pas une séparation / Ce n’est pas un divorce / C’est une mort» («Le glas»).

Relevant du jazz, les chansons sont toutes interprétées par Julie Hamelin, souvent accompagnée par un chœur, sauf la dernière, «Ne plus causer de trouble». (L’Oreille doit confesser un tout petit chagrin : au «trouble» de cette version, elle aurait préféré le «troubbe» d’origine.) La plupart des pièces s’appuient, de façon plus ou moins importante, sur des «repiquages» d’extraits sonores : reportages télévisés (Radio-Canada, CBC, etc.), documentaires, vox-pop, conférences de presse (Pierre Elliott Trudeau, Phil Esposito). On reconnaît aussi bien Marc Bergevin que Foster Hewitt, Jean St-Onge et Kim Saint-Pierre. Des paroles sont tirées de déclarations officielles, d’entrevues, de chroniques, de reportages, de tribunes téléphoniques ou d’histoires du sport. Olivier Niquet a collaboré à «Ça sent la coupe», en fournissant «les propos de nos hommes de hockey préféré», propos tous moins glorieux les uns que les autres.

Des choses sont inattendues. En néophyte, Blouin n’a pas de prévention envers le hockey féminin : «Manon» rappelle les souvenirs de la carrière de Manon Rhéaume et les niaiseries sexistes auxquelles elle a dû faire face; «Le but» fait entendre la victoire en prolongation de l’équipe féminine canadienne contre l’équipe américaine aux jeux Olympiques de Sotchi en 2014. «Sport national» s’appuie sur un court métrage assez peu connu des amateurs de sport, Un jeu si simple, de Gilles Groulx (1964). Faire chanter la violence et les bagarres par une voix féminine donne un air d’étrangeté aux propos des goons : «Lachez pas, y faut toutes les tuer» («Pas des mitaines»). Peu de joueurs sont nommés, alors que plusieurs des chansons enregistrées multiplient traditionnellement ce genre d’allusions. Tout cela est bienvenu.

Bref, foi d’Oreille, c’est à mettre entre entre toutes (les oreilles).

P.-S.—Elle est un peu perplexe devant le refrain de «Sport national» : «Bassin ! Bassin !»

 

Références

Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92. https://doi.org/1866/28751

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture

Glanes péritouristiques

«Ah, les régions.»
Christophe Bernard, la Bête creuse

 

L’Oreille tendue revient. Pendant son absence, elle a pris des notes.

C’est la saison des festivals ? Désolé, l’Oreille ne croit ni à la communion individuelle ni à la communion collective.

Vacances au Québec en PPP : Pas de Problème de Passeport.

Marcel semble avoir pris le relais de Mario.

Marcel à marde, camion, Saint-Côme, juillet 2022

Signalétique régionale 1 (forme du verbe) : s’agissant du verbe fitter, l’Oreille aurait écrit «fitte» plutôt que «fit».

Affichage, Canadian Tire, Joliette, juillet 2022

Signalétique régionale 2 (accord de l’adjectif) : «privé» du féminin ?

Signalétique, Saint-Côme, juillet 2022

Bien que dans Lanaudière, l’Oreille s’est sentie, à un moment, comme dans le Dégelis de l’excellent film Arsenault & fils de Rafaël Ouellet.

Animal en liberté, Saint-Côme, juillet 2022

La guichetière (vingtenaire ? trentenaire ?) aux randonneurs sexagénaires : «Pour aller aux chutes, ça me prend sept-huit minutes. Ça vous en prendra une quinzaine.» Ils en mirent sept, pas une de plus.

Entendu en randonnée pédestre (un autre jour) : «J’ai beaucoup étudié la littérature belge. C’est ça qui m’a endurci.» Durant la même randonnée : Elle : «Fais-toi désirer.» Lui : «Personne ne me désire, moi.»

Signalétique régionale 3 (accord du verbe avec le sujet) : «ont» ?

Signalétique, Parc Régional des Chutes-Monte-à-Peine-et-des-Dalles, juillet 2022

Patate au carré, voire métapatate.

La Patate à patate, Saint-Côme, juillet 2022

Signalétique régionale 4 : quelque chose s’en vient — mais quoi ?

Signalétique, panneau vide, Saint-Côme, juillet 2022

L’Oreille a passé beaucoup (trop) de temps sur la route récemment. Elle a (donc) pensé beaucoup (trop) aux Cracker Jacks.

Un cycliste québécois remporte une étape du Tour de France. Sa PQ ? «Le petit gars de Saint-Perpétue.»

Nous ne l’avons pas vu. Si nous l’avions vu, comment l’aurions-nous appelé ?

Signalétique, parc du Mont-Tremblant, juillet 2022

On dit qu’un pape est venu au Québec en juillet. C’est aussi rare que…

Signalétique régionale 5 : les «guillemets» sont, «parfois», une «source» d’«étonnement».

Signalétique, Saint-Côme, juillet 2022

Signalétique régionale 6 : quelqu’un l’a mal été.

Annonce de poste, Sainte-Julienne, août 2022

Tout ce temps, sans le savoir, dans une capitale !

Signalétique, Saint-Côme, «Capitale québécoise de la chanson traditionnelle», juillet 2022

 

 

Référence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.