Ami ami, bis

Portrait de Michel de Montaigne

«Un ami est un ami.»
Laurent Ruquier

Au Québec, l’amitié est une chose subtile.

On peut être l’ami de quelqu’un. On peut être son chumau-delà du raisonnable —, peu importe le sexe : un chum de gars, une chum de fille. On peut aussi se mettre chummy avec quelqu’un.

Il existe au moins deux graphies de la chose.

«Trump se fait chummé avec la Russie», écrit Olivier Niquet dans son excellente lettre d’information, Tourniquet Express.

Même graphie chez Christophe Bernard dans la Bête creuse : «C’était la fête, du monde en masse, et de tous les âges, chummés, l’âge comptait pas» (p. 597).

«Enweille chummy suis-moi, emboîte-moi le pas», chante Mad’MoiZèle GIRAF.

Le é final de Niquet et Bernard doit évoquer une prononciation distincte de celle du duo québécois de raggamuffin.

Vous faites bien comme vous voulez.

P.-S.—Bis ? Parce que.

 

Réféfence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Chantons la langue avec Zebda

Zebda, Essence ordinaire, 1998, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Zebda, «Le Petit Robert», Essence ordinaire, 1998

 

Petit, j’étais largué, on dit ici «à Lourdes»
Dans ce que l’on appelle une famille lourde
L’amour y était le contraire du doute
La tête collée contre le poêle à mazout
Rêveur et j’ose même dire dans le coton
À attendre qu’on me dessine un mouton
Mouton je l’étais jusque dans la tonsure
Mais les brushings font pas dans la littérature
Et la main de ma mère était là en cas de doute
Comme un parapluie qui te protège des gouttes
De pluie, et j’ose même dire du mauvais temps
On avait rien, on était content
Avant qu’on me dise «Dégage»
Et qu’on ne me parle plus au présent
Avant qu’on déchire mes pages
Et qu’on me dise «Place et au suivant»
Avant
Avant
Petit, j’étais gentil, j’étais même agréable
J’écrivais les deux coudes posés sur la table
J’ôtais de ma bouche les insanités
Comme un petit prince de l’humanité
Rêveur, je cédais ma place aux personnes âgées
Pour un sourire, une poignée de dragées
J’enlevais ma casquette en entrant à l’école
Mais être poli, ça dispense pas des colles
Gentil, et tout à la fois dernier de la classe
Éveillé comme pouvait l’être une limace
Je dormais, j’ose même le dire si profond
Et que s’écroule le plafond
Avant qu’on me dise «Dégage»
Et qu’on ne me parle plus au présent
Avant qu’on déchire mes pages
Et qu’on me dise «Place et au suivant»
Avant
Avant
Car j’attendais, petit prince des gloutons
Qu’on me porte à la bouche des paquets de bonbons
Y avait pas la monnaie mais c’était tout comme
Car le baiser remplaçait l’économe
Rêveur, et malgré les corvées de charbon
Ma récompense était un bisou à l’horizon
Mais dépassé le siècle où on te met au couvent
J’étais si nul, ma mère a pris les devants
Et se pointait à l’école un chiffon dans la chevelure
La maîtresse disait «Regardez ces ratures !»
Le cœur en miettes, elle faisait parler l’eau et le sel
Et s’en retournait à sa vaisselle
Avant qu’on me dise «Dégage»
Et qu’on ne me parle plus au présent
Avant qu’on déchire mes pages
Et qu’on me dise «Place et au suivant»
Avant
Avant
À 18 h se pointait le maçon
Un seul regard et à l’heure des cuissons
Y disait «Vous voulez qu’on nous coupe les bourses»
À ces mots une larme descend de la grande ourse
Et j’ai compris qu’il y avait qu’une façon
D’apprendre l’art de la multiplication
Depuis j’ai plus voulu ressembler aux statues
Et j’ai laissé mes potes à la salle de muscu
Ma mère m’a jeté un bouquin sur la table
Un gros machin qui rentrait pas dans mon cartable
C’est tous ces mots qui ont allumé la lumière
Et spéciale dédicace au Petit Robert
Avant qu’on me dise «Dégage»
Et qu’on ne me parle plus au présent
Avant qu’on déchire mes pages
Et qu’on me dise «Place et au suivant»
Avant
Avant
Avant
Petit
Rêveur
Mouton
Gentil
[?]
Avant qu’on me dise «Dégage»
Avant qu’on déchire mes pages
Avant qu’on me dise «Dégage»
Qu’on déchire mes pages
Avant
Qu’on me dise «Dégage»
Qu’on déchire mes pages

Chantons la langue avec Mansfield.TYA

Mansfield.TYA, Corpo Inferno, 2015, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Mansfield.TYA, «Le dictionnaire Larousse», Corpo Inferno, 2015

 

Je redessine un château-fort
Pour faire passer ma gueule de bois
Je regarde la mort, page 303

Je pars à l’aventure
Dans mon dictionnaire Larousse
Je m’attarde sur «bordure»
«Amer» et «brousse»

Il y a là de quoi passer une vie
Entre «amour» et «zoophilie»
Je vois, page 267
Des cache-pots, des cache-nez
Des cachets

Des cachalots à mâchoire sans dents
Le nerf facial, corde du tympan
Il y a la photo de Fernand Foureau
Dont personne n’a rien à cirer

Je redessine un château-fort (Pour faire passer…)
Pour faire passer ma gueule de bois
Je regarde la mort, page 303
Je regarde la mort, page 303

J’apprends les signaux à bras
Utilisés par les marins
Puis je lis la définition
De «panda» et de «catin»

Okayama est au Japon
Ockeghem [?] se trouve en Belgique
Les ruines du Parthénon
Côtoient les paralytiques

Pas de photo de Brigitte Bardot
Mon dictionnaire est démodé
J’apprends tout d’même que «ecce homo»
Ne veut pas dire «être pédé»

 

Chantons la langue avec… : bilan d’étape

Signalétique, Saint-Côme, «Capitale québécoise de la chanson traditionnelle», juillet 2022

Le 22 novembre dernier, l’Oreille tendue inaugurait une nouvelle rubrique, «Chantons la langue avec…» Dans quel objectif ? Rassembler des chansons qui portent, brièvement ou longuement, sur la langue : lexique, accent, syntaxe, etc.

Après 69 livraisons, la besace de l’Oreille est aujourd’hui vide — mais toujours en attente de suggestions. Premier bilan d’étape.

Géographique : Québec (28 chansons); France (28); Canada, hors Québec (11); Suisse (2).

Générique : 38 chansons sont interprétées par des hommes, 9 par des femmes. Il y a aussi 19 pièces chantées par des groupes, et 3 par des duos.

Thématique : la question de l’accent et de la prononciation apparaît dans 30 chansons.

Chronologique : 1930-1939 (1); 1940-1949 (0); 1950-1959 (0); 1960-1969 (7); 1970-1979 (10); 1980-1989 (10); 1990-1999 (7); 2000-2009 (13); 2010-2019 (17); 2020-2024 (4).

Libre à vous de tirer des conclusions de tout cela. L’Oreille, pour sa part, s’en gardera bien.

À suivre.

 

[Complément du 7 février 2024]

Voici la liste complète des chansons repérées. Elle sera périodiquement actualisée.

(Version du 7 février 2025)

1. Michel Rivard, «Le cœur de ma vie», album Michel Rivard, 1989

2. French B, «Je me souviens» / «Je m’en souviens», 1989

3. Chanson plus bifluorée, «Grammaire song», De concert et d’imprévu, 2006

4. Mireille Mathieu, «J’ai gardé l’accent», 1968

5. Gaële, «L’accent d’icitte», Diamant de papier, 2010

6. Fabulous Trobadors, «L’accent», On The Linha Imaginòt, 1998

7. Mononc’ Serge et Anonymus, «Shitty accent», Métal canadien-français, 2024

8. Luc De Larochelière et Andrea Lindsay, «D’un accent à l’autre», 2014

9. Yves Duteil, «La langue de chez nous», album la Langue de chez nous, 1985

10. Arseniq33, «J’use d’la langue», Dansez, bande de caves ! 15 ans d’arseniq33 (1992-2007), 2008

11. Grand Corps Malade, «À Montréal», 3ème Temps, 2010

12. La Bottine souriante, «La chanson de la langue française» / «Le reel à Blanchette» / «Le reel à Pierre Léon», les Épousailles, 1981

13. Sangria gratuite, «Mon accent», Y’a pas d’raison, 2007

14. Manu Militari, «Je me souviens», 2012

15. Michel Etcheverry, «Une pointe d’accent», Irrintzina, 1997

16. Paul Piché, «La gigue à Mitchounano», À qui appartient l’beau temps ?, 1977

17. Johnny Halliday, «Ton fils», Gang, 1986

18. Mad’MoiZèle GIRAF, «Montréal stylé», Peindre la GIRAF, 2009

19. Claude Cormier, «Garde ton accent», album Garde ton accent, 2018

20. Daniel Balavoine, «Le français est une langue qui résonne», 1978

21. Rock et Belles Oreilles, «I want to pogne», 1989

22. Ricoune, «Un petit Ricard dans un verre à ballon», 2002

23. Flagrants délires, «L’accent du Sud», la Couche d’eau jaune, 2008

24. Claude Barzotti, «Le Rital», album le Rital, 1983

25. Les enfoirés, «Qu’est-ce qu’on fout à Strasbourg ?», Bon anniversaire les enfoirés, 2014

26. Michel Bülher, «Éloge des Vaudois», 2006 [?]

27. Paul Demers, «Notre place», album Paul Demers, 1990

28. Michel Leeb, «Le tombeur», 1986

29. Castelhemis, «Coco», N’importe quelle sorte d’amour, 1982

30. Fernandel, «L’accent», 1963

31. Nicolas Ciccone, «Dynamite», Gratitude, 2021

32. Léo Ferré, «La langue française», album la Langue française, 1962

33. Pauline Julien, «Mommy», le Disque de l’Automne show, 1974

34. Renaud, «It is not because you are», Marche à l’ombre, 1980

35. Radio Radio, «Deux langues», 2021

36. Swing, «One Day», Tradarnac, 2007

37. Reney Ray, «Le p’tit Reney», album Reney Ray, 2018

38. Les Hôtesses d’Hilaire, «Super Chiac Baby», Touche-moi pas là, 2015

39. Gilles Vigneault, «I went to the market», 1976

40. Émile Bilodeau, «Candy», Grandeur mature, 2019

41. Shawn Jobin, «Au nom d’une nation (Tu m’auras pas)», Tu m’auras pas, 2013

42. Jean-Louis Foulquier, «Tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom», Foulquier, 1993

43. Serge Gainsbourg, «En relisant ta lettre», l’Étonnant Serge Gainsbourg, 1961

44. Gilles Vigneault, «Ah ! que l’hiver», le Nord du Nord, 1968

45. Michèle Arnaud, «La grammaire et l’amour», 1965

46. Fatal Bazooka, «C’est une pute», T’as vu, 2007

47. Brigitte, «Monsieur je t’aime», Et vous, tu m’aimes, 2011

48. Jérémie Kisling, «Rendez-vous courtois», le Ours, 2005

49. Plume Latraverse, «Encore des mots», Plume pou digne, 1974

50. Serge Gainsbourg, «Les mots inutiles (De Vienne à Vienne)», 1961

51. Francine Raymond, «Y a les mots», les Années lumières, 1993

52. La Rue Kétanou, «Les mots», En attendant les caravanes, 2000

53. Java, «Mots dits français», Maudits Français, 2009

54. Loco Locass, «Malamalangue», Manifestif, 2000

55. Mononc’ Serge, «Le joual», Ça, c’est d’la femme !, 2011

56. La Bolduc, «La chanson du bavard», 1931

57. Alecka, «Choukran», album Alecka, 2011

58. Mononc’ Serge et Anonymus, «Métal canadien-français», album Métal canadien-français, 2024

59. Sylvain Lelièvre, «Lettre de Toronto», album Sylvain Lelièvre, 1978

60. Jean Lapointe, «Mon oncle Edmond», 1976

61. Daniel Lavoie, «Jours de plaine», 1991

62. Georges Langford, «Acadiana», album Acadiana, 1975

63. Big Balade, «Levons nos voix (Francos de l’Ontario)», 2015

64. Brian St-Pierre, «Mon beau drapeau», version de 2011

65. En Bref, «Grande histoire d’amour», Silence radio, 2014

66. IAM, «Chez le mac», l’École du micro d’argent, 1997

67. Robert Charlebois, «Punch créole», Longue distance, 1976

68. Jacques Tom Rivest, «La langue de son pays», album Jacques Tom Rivest, 1979

69. Gauvain Sers, «La langue de Prévert», les Oubliés, 2019

70. Mansfield.TYA, «Le dictionnaire Larousse», Corpo Inferno, 2015

71. Zebda, «Le Petit Robert», Essence ordinaire, 1998

Chantons la langue avec Gauvain Sers

Gauvain Sers, les Oubliés. 2019, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Gauvain Sers, «La langue de Prévert», les Oubliés, 2019

 

T’étais le genre de lycéen
Un peu perdu et dans ton coin
Toujours assis au fond d’la classe
Pas très à l’aise dans tes godasses
Sûr qu’on se cherche à cet âge-là
Mais la jeunesse est faite pour ça
Tu t’réfugiais dans les chansons
Pour l’évasion pour les frissons
Et puis un jour t’as découvert
La force de la langue de Prévert

Tu t’es plongé dans les études
Pour apaiser les inquiétudes
De ceux qui te paient le loyer
Comme une balle à renvoyer
Bientôt passée l’adolescence
Toujours dans l’sac à dos les sciences
Mais ta passion c’est l’écriture
Les pattes de mouches et les ratures
Et en cachette t’écris tes vers
Bien sûr dans la langue de Prévert

T’aurais pu croupir au bureau
Mal dans tes fringues mal dans ta peau
De ne jamais avoir osé
Claquer la porte sans te r’tourner
Un jour t’as pu saisir ta chance
Avec la bonne dose d’insouciance
Pour pas finir aigri et vieux
Des tonnes de regrets dans les yeux
Entre la tendresse la colère
Tu chantes dans la langue de Prévert

Et aujourd’hui c’est ton métier
Toutes les planètes sont alignées
Quand tu repenses au lycéen
T’aurais pas parié ton destin
Mais comme ton truc c’est la musique
Et pas leurs foutues statistiques
Quel que soit le son du moment
Tu marches à côté tranquillement
Et tu te sens libre comme l’air
Toujours dans la langue de Prévert

Et tu te sens libre comme l’air
Toujours dans la langue de Prévert