Glanes péritouristiques

«Ah, les régions.»
Christophe Bernard, la Bête creuse

 

L’Oreille tendue revient. Pendant son absence, elle a pris des notes.

C’est la saison des festivals ? Désolé, l’Oreille ne croit ni à la communion individuelle ni à la communion collective.

Vacances au Québec en PPP : Pas de Problème de Passeport.

Marcel semble avoir pris le relais de Mario.

Marcel à marde, camion, Saint-Côme, juillet 2022

Signalétique régionale 1 (forme du verbe) : s’agissant du verbe fitter, l’Oreille aurait écrit «fitte» plutôt que «fit».

Affichage, Canadian Tire, Joliette, juillet 2022

Signalétique régionale 2 (accord de l’adjectif) : «privé» du féminin ?

Signalétique, Saint-Côme, juillet 2022

Bien que dans Lanaudière, l’Oreille s’est sentie, à un moment, comme dans le Dégelis de l’excellent film Arsenault & fils de Rafaël Ouellet.

Animal en liberté, Saint-Côme, juillet 2022

La guichetière (vingtenaire ? trentenaire ?) aux randonneurs sexagénaires : «Pour aller aux chutes, ça me prend sept-huit minutes. Ça vous en prendra une quinzaine.» Ils en mirent sept, pas une de plus.

Entendu en randonnée pédestre (un autre jour) : «J’ai beaucoup étudié la littérature belge. C’est ça qui m’a endurci.» Durant la même randonnée : Elle : «Fais-toi désirer.» Lui : «Personne ne me désire, moi.»

Signalétique régionale 3 (accord du verbe avec le sujet) : «ont» ?

Signalétique, Parc Régional des Chutes-Monte-à-Peine-et-des-Dalles, juillet 2022

Patate au carré, voire métapatate.

La Patate à patate, Saint-Côme, juillet 2022

Signalétique régionale 4 : quelque chose s’en vient — mais quoi ?

Signalétique, panneau vide, Saint-Côme, juillet 2022

L’Oreille a passé beaucoup (trop) de temps sur la route récemment. Elle a (donc) pensé beaucoup (trop) aux Cracker Jacks.

Un cycliste québécois remporte une étape du Tour de France. Sa PQ ? «Le petit gars de Saint-Perpétue.»

Nous ne l’avons pas vu. Si nous l’avions vu, comment l’aurions-nous appelé ?

Signalétique, parc du Mont-Tremblant, juillet 2022

On dit qu’un pape est venu au Québec en juillet. C’est aussi rare que…

Signalétique régionale 5 : les «guillemets» sont, «parfois», une «source» d’«étonnement».

Signalétique, Saint-Côme, juillet 2022

Signalétique régionale 6 : quelqu’un l’a mal été.

Annonce de poste, Sainte-Julienne, août 2022

Tout ce temps, sans le savoir, dans une capitale !

Signalétique, Saint-Côme, «Capitale québécoise de la chanson traditionnelle», juillet 2022

 

 

Référence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Diderot et l’âme québécoise

Denis Diderot, boul. Saint-Germain, Paris, statue

Dans la Presse+ du 3 juin, le sociologue Jacques Beauchemin évoque, s’agissant du film Bataille pour l’âme du Québec de Francine Pelletier, le «secret de l’âme québécoise». Quand elle lit pareilles choses, l’Oreille tendue a trois réactions.

Elle se pose une première question : c’est quoi, une «âme» ?

Elle se pose une deuxième question : c’est quoi, l’«âme québécoise» ou «l’âme du Québec» ?

Elle pense enfin à Diderot : «Il est donc très important de ne pas prendre de la ciguë pour du persil, mais nullement de croire ou de ne pas croire en Dieu […]» (lettre à Voltaire, [11 juin 1749], éd. Roth-Varloot, vol. I, p. 78).

En matière de politique québécoise, l’Oreille aime se la jouer mécréante.

P.-S.—En effet, ce n’est pas la première fois que cette phrase apparaît ici.

 

Référence

Denis Diderot, Correspondance, Paris, Éditions de Minuit, 1955-1970, 16 vol. Éditée par Georges Roth, puis par Jean Varloot.

Pour la suite du monde, ou pas ?

«Pour la suite du monde», meme, 2022

Au début des années 1960, le cinéaste Pierre Perrault lance Pour la suite du monde. C’est un titre apprécié au Québec (et ailleurs).

Exemples récents :

«Une invitation à marcher pour la suite du monde» (la Presse+, 4 mai 2022).

«Pour la suite du monde» (la Presse+, 2 mai 2022).

«Relance de la culture. Pour la suite du monde» (le Devoir, 12 avril 2022, p. A6).

«Pour la suite du monde» (la Presse+, 8 avril 2022).

«Pour la suite du monde de l’information» (la Presse+, 28 août 2019).

Suivons Nicolas Krief (à qui l’Oreille tendue doit l’illustration ci-dessus; merci) et demandons-nous s’il n’y a pas lieu de laisser tomber ce genre de titre, au moins pour les articles sur le cinéma documentaire.

P.S.—Contre-exemple : le spectacle théâtral Contre la suite du monde.

 

[Complément du 24 mars]

L’expression ne se trouve pas que dans les titres de presse. Que crie le narrateur trop imbibé du roman La soif que j’ai (2024) dans un bar de Sherbrooke ? «Pour la suite du monde !» (p. 105)

 

Référence

Dufour-Labbé, Marc-André, La soif que j’ai. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2024, 139 p.

Accouplements 181

Julia Deck, Monument national, 2022, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Comment fait-on pour vivre entre deux continents ?

Deck, Julia, Monument national. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2022, 204 p.

«Ambre avait grandi entre la Côte d’Azur et la Martinique, ainsi qu’on dit des privilégiés qui ont plusieurs ports d’attache, comme s’il était possible de vivre au milieu de l’océan» (p. 28).

Michel Tremblay, entretien avec l’Oreille tendue, Université de Montréal, 22 mai 2018 (à 47 minutes 30 secondes).

«C’était un film qui n’s’adressait à personne. Personne au monde n’avait parlé cette langue-là. Les Français n’ont jamais parlé comme ça, les Québécois n’ont jamais parlé comme ça. Les Américains ont une expression que j’aime beaucoup, quand c’est un anglais comme ça qui est entre l’Angleterre et les États-Unis, ils appellent ça le Mid-Atlantic English, l’anglais parlé au milieu de l’Atlantique. Et dans Caïn [film de Pierre Patry, 1965], c’était du Mid-Atlantic French. C’était un français que personne… Si tu tournes un film dans une langue que personne n’a jamais parlée au monde, ben qui c’est qui va aimer ça, qui est-ce qui va pouvoir apprécier ? Ça parle pas comme eux, pis personne a jamais parlé comme ça. Alors, c’est à partir de ça, ç’a été le moment déclencheur peut-être le plus important de ma vie.»

 

Voltaire, au Québec, en… 1837

Denis Héroux, Quelques arpents de neige, film, 1972, épigraphe

En 1972, le réalisateur Denis Héroux intitule Quelques arpents de neige son film de fiction sur les événements qui ont secoué le Bas-Canada en… 1837-1838. Que l’on parle de «troubles», de «révolte», voire de «guerre civile» pour désigner ces événements, on s’entend pour dire qu’il s’agit de luttes politiques entre francophones et anglophones. Elles seront coûteuses en vies humaines : les personnages principaux du film, des Canadiens français et des Bretons installés au Canada, mourront presque tous, par leur propre main ou par celle des Anglais, les «habits rouges».

Le film, tourné entièrement en hiver, dans un paysage enneigé, s’ouvre sur une citation, reproduite à l’écran, du Candide (1759) de Voltaire : «Vous savez que ces deux nations — la France et l’Angleterre — sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut. Voltaire, Candide, chapitre XXIII.» À un élément près, placé entre tirets («la France et l’Angleterre»), la citation, en lettres rouges sur fond blanc, est fidèle.

Plus loin dans le film, il sera question de quelques autres textes. Les personnages de Julie Lambert (jouée par Christine Olivier) et de Simon de Bellefeuille (Daniel Pilon) s’échangeront des répliques du Cid de Corneille («Je vais mourir, Madame»), devant des ouvrages religieux de la Collectio aveliana. Un curé (Roland Chenail) citera saint Augustin et un mandement épiscopal, et il essaiera d’évoquer en chaire «le philosophe de Genève», Jean-Jacques Rousseau, mais sans succès : les tenants de la Rébellion l’interrompront. En revanche, le nom de Voltaire et le titre de Candide ne seront jamais prononcés. L’évocation des «quelques arpents de neige», en titre, puis en épigraphe, suffit. C’est un lieu commun que tous devraient comprendre.

Daniel Pilon, la vedette masculine du film, vient de mourir à 77 ans.

P.-S.—Ce texte est tiré de l’article suivant :

Melançon, Benoît, contribution au dossier «Enquête sur la réception de Candide (XV). Coordonnée par Stéphanie Géhanne Gavoty», Cahiers Voltaire, 16, 2017, p. 174-175.

P.-P.-S.—Pour une vidéo sur la fortune de l’expression «Quelques arpents de neige» au Québec, on cliquera ici.

P.-P.-P.-S.—Dans sa version restaurée par le programme Éléphant. Mémoire du cinéma québécois, le film de Héroux est disponible pour location sur les plateformes Illico (Vidéotron) et iTunes (Apple).

Denis Héroux, Quelques arpents de neige, film, 1972, affiche