«L’aréna est plein de fumée et de monde» (Jacques Godbout, IXE-13, film, 1971).
(Une définition du zeugme ? Par là.)
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
«L’aréna est plein de fumée et de monde» (Jacques Godbout, IXE-13, film, 1971).
(Une définition du zeugme ? Par là.)
I.
Soit le poème «44» de Trivialités de Michel Beaulieu (2001) :
il finirait bien par déménager
quoiqu’il advienne et Maurice Richard
le tout premier de mes samedis soirs
blessé me forçait à voir Elmer Lach
dont j’obtiendrais l’autographe à la plage
l’été suivant compter le but gagnant
puis s’immortaliser dans les séries
en deuxième surtemps de la septième
sur une passe de son ailier droit
une photo montre Milt Schmidt assis
sur la glace et les bâtons des deux joueurs
en forme de V tandis qu’ils s’étreignent
Le but décrit par le poète, celui des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, a été marqué par Elmer Lach (oui), sur une passe de Maurice Richard (oui), devant un Milt Schmidt effondré (oui), durant les séries éliminatoires (oui), en prolongation (oui). C’est le but gagnant (oui), contre les Bruins de Boston, le 16 avril 1953. Les bâtons de Lach et Richard forment un V (oui); l’atteste une photo célèbre prise par Roger Saint-Jean.
Le poète a toutefois tort. Cela se passait dans le cinquième match (pas le septième) et au début de la première période de prolongation, le «surtemps» (pas la deuxième).
II.
Dans le film Histoires d’hiver de François Bouvier (1998), un oncle raconte à son neveu un but marqué par Maurice Richard le 8 avril 1952 contre les Bruins de Boston, «un des plus beaux jeux qui s’est jamais vus dans l’histoire des séries de la couple Stanley». Il affirme que le match s’est terminé 2 à 1 en faveur des Canadiens contre les Bruins de Boston.
Maurice Richard a marqué ce soir-là (oui) un but devenu légendaire. C’était pendant les séries éliminatoires (oui).
L’oncle a toutefois tort. Maurice Richard a marqué le 2e but de son équipe contre le gardien Jim «Sugar» Henry et le match s’est terminé 3 à 1.
III.
Stéphane Laporte, le chroniqueur de la Presse, livre ses souvenirs du célèbre ailier droit des Canadiens le 15 mars 1998 sous le titre «Mes oncles et Maurice Richard».
Que disent ces oncles ?
«— Une fois Stéphane, le Rocket y’avait passé la journée à déménager des gros meubles. Pis y’était tellement épuisé rendu au soir qu’il a demandé à son coach de ne pas le faire jouer. Mais son coach l’a fait jouer pareil. Et Maurice a compté cinq buts ! Pas deux, pas trois, pas quatre… cinq buts ! Pis Michel Normandin lui a donné les trois étoiles à lui tout seul !
— Ben non Jacques, c’est pas Normandin qui lui a donné les trois étoiles, c’est Lecavalier !
— Voyons Yvan, oussé que tu t’en vas avec ton Lecavalier, c’est Normandin…»
Je me permets d’interrompre mes deux oncles :
«— C’est ni l’un ni l’autre, c’est Charlie Mayer !
— Ben oui, t’as raison ! Comment ça se fait que tu sais ça toi, le p’tit bout ?
— Je l’ai lu dans un de mes livres !»
Le 28 décembre 1944, après une journée de déménagement (oui), Maurice Richard a marqué cinq buts (oui) contre les Red Wings de Detroit dans une victoire de 9 à 1. Charlie Mayer a nommé Maurice Richard première, deuxième et troisième étoile d’un match (oui).
Stéphane Laporte a toutefois tort. Ce n’est pas le 28 décembre que Maurice Richard a reçu les trois étoiles d’un match; c’est le 23 mars de la même année, à la suite de la victoire de son équipe, 5 à 1, contre les Maple Leafs de Toronto.
***
Sur le plan factuel, Michel Beaulieu, François Bouvier et Stéphane Laporte ont tort. Ce qu’ils racontent avec assurance est faux.
Pourtant, ils ont raison, en quelque sorte. Maurice Richard est un mythe; tous les discours sur lui sont vrais.
Sans croyance, pas de mythe.
P.-S. — L’Oreille tendue a consacré tout un livre à ces questions, les Yeux de Maurice Richard (2006).
P.-P.-S. — Les exégètes ne s’entendent pas sur le nom de celui qui a décerné les étoiles du match à Maurice Richard le 23 mars 1944. Outre les noms mentionnés par les oncles de Stéphane Laporte, il y a aussi ceux de Foster Hewitt et d’Elmer Ferguson. Paul Daoust, en 2006, parle même d’un tandem Charles Mayer / Elmer Ferguson (p. 25). L’Oreille ne saurait trancher.
P.-P.-P.-S. — L’exposition «La rue Sainte-Catherine fait la une» du musée Pointe-à-Callière (7 décembre 2010 au 24 avril 2011) entretenait la même confusion : «5 buts et 3 passes en un seul match; il obtient les 3 étoiles de la rencontre !».
Références
Beaulieu, Michel, Trivialités, Montréal, Éditions du Noroît, 2001, [s.p]. Ill. Préface de Guy Cloutier.
Daoust, Paul, Maurice Richard. Le mythe québécois aux 626 rondelles, Paroisse Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2006, 301 p. Ill.
Laporte, Stéphane, «Mes oncles et Maurice Richard», la Presse, 15 mars 1998, p. A5. Repris dans la Presse, 28 mai 2000, p. A8, dans Stéphane Laporte, Chroniques du dimanche, Montréal, La Presse, 2003, p. 23-26 et dans Alain de Repentigny, Maurice Richard, Montréal, Éditions La Presse, coll. «Passions», 2005, p. 9-11.
Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.
L’Oreille tendue a eu plusieurs occasions de le dire : elle est une lectrice assidue des Notules dominicales de culture domestique de Philippe Didion.
Dans la livraison servie le 24 novembre, le Notulographe, s’agissant du roman Au Bon Beurre de Jean Dutourd, écrit : «J’ai retrouvé aussi, comme cela s’est déjà produit chez Fallet, des expressions qu’il m’arrive d’employer et que je n’avais jamais vues écrites, comme “si y a moyen de moyenner” ou “aller au chlofe”.»
L’Oreille ne connaît pas aller au chlofe. Y a moyen de moyenner, si, car l’expression est fréquente au Québec. Définition du Wiktionnaire : «Trouver une solution malgré certaines difficultés.» Exemple, tiré des débats parlementaires, toujours selon le Wiktionnaire : «J’ai toujours pensé qu’il y avait moyen de moyenner puis d’arranger les choses en tenant compte des opinions […]. — (Assemblée nationale du Québec, Journal des débats, 14 novembre 1996).»
Les gens de la génération de l’Oreille se souviennent d’un film de 1973, signé Denis Héroux, qui portait ce titre. Ce n’est pas exactement un classique du cinéma québécois.
Le 1er avril dernier, rendant compte du livre le Hockey vu du divan (2012) de Simon Grondin, l’Oreille tendue évoquait un moratoire sur le découpage en trois périodes des ouvrages (ou des films) portant sur le hockey. Elle revient à la charge.
En effet, ce type de découpage est trop fréquent. Des exemples ?
Claude Dionne, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! (2012).
Alain M. Bergeron, la Coupe du hocquet glacé (2010).
Gaël Corboz, En territoire adverse (2006).
Luc Cyr et Carl Leblanc, Mon frère Richard (1999).
Raymond Plante, Jacques Plante (1996).
Michel Bujold, l’Amour en prolongation (1990).
André Simard, la Soirée du fockey (1972).
Cette liste est sûrement incomplète. Bref : on arrête svp.
[Complément du 17 août 2018]
Les trois prises du jour
Le Chandail de hockey / The Hockey Sweater (2006).
Bernard Pozier, Les poètes chanteront ce but (1991).
Yves Tremblay, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions (2013).
[Complément du 29 décembre 2018]
Deux autres ? Deux autres.
Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes (2018).
Baruchel, Jay, Born into It. A Fan’s Life (2018).
[Complément du 5 novembre 2021]
Ce qui affectait les livres et les films touche maintenant les menus, par exemple à la magnifique exposition consacrée à Serge Lemoyne. Ce n’est pas mieux.
[Complément du 22 mars 2023]
On apprend, dans la Presse+ du jour, que le Cirque du Soleil est en train de concevoir un spectacle sur Guy Lafleur. Comment sera-t-il découpé ? «Guy ! Guy ! Guy ! sera structuré en suivant les trois périodes d’un match de hockey […]». Personne ne sera étonné.
[Complément du 20 novembre 2024]
Un mémoire de maîtrise découpé en trois périodes ? Celui-ci.
[Complément du 16 juin 2025]
Le collectif la Vraie Dureté du mental (2009) offre la totale : trois périodes, une prolongation, une fusillade.
Références
Baillargeon, Normand et Christian Boissinot (édit.), la Vraie Dureté du mental. Hockey et philosophie, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Quand la philosophie fait pop !¢, 2009, xiii/262 p. Ill. Préface de Jean Dion.
Baruchel, Jay, Born into It. A Fan’s Life, Toronto, Harper Avenue, 2018, 249 p.
Bergeron, Alain M., la Coupe du hocquet glacé. Miniroman de Alain M. Bergeron — Fil et Julie, Québec, Éditions FouLire, coll. «Le chat-ô en folie», 9, 2010, 45 p.
Bujold, Michel, l’Amour en prolongation. Poésies hérotiques, Montréal, Éditions d’Orphée, 1990, s.p.
Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes, Montréal, L’Oie de Cravan, 2018, 123 p.
Le Chandail de hockey / The Hockey Sweater, cédérom, 3D Courseware/ Les Éditions 3D, 2006. Conception de Donna Mydlarski, Dana Paramskas, André Bougaïeff et Larry Katz.
Corboz, Gaël, En territoire adverse, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. «Graffiti», 37, 2006, 164 p.
Cyr, Luc et Carl Leblanc, Mon frère Richard, documentaire de 53 minutes, 1999. Production: Ad Hoc Films.
Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.
Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, 214 p. Ill.
Lemay, Clarence, «Chronique sportive ou politique ? Le Canadien de Montréal et la crise constitutionnelle canadienne dans La Presse, Le Devoir et la Gazette (1976-1995)», Ottawa, Université d’Ottawa, 2020, vii/186 p. http://dx.doi.org/10.20381/ruor-25327
Plante, Raymond, Jacques Plante. Derrière le masque, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Les grandes figures», 9, 1996, 221 p. Ill.
Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.
Simard, André, la Soirée du fockey. Le temps d’une pêche. Le vieil homme et la mort, Montréal, Leméac, coll. «Répertoire québécois», 40, 1974, 92 p. Préface de Normand Chouinard.
Tremblay, Yves, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, Brossard, Un monde différent, 2013, 208 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.
«La gloire est chose passagère
Le monde est toujours à refaire
Et moi j’ai mordu la poussière
Je suis un homme tout nu»
Robert Charlebois,
«Les rêveries du promeneur solitaire» (1983)
Il y a quelques jours, l’Oreille tendue participait à un colloque (genevois) sur «Amis et ennemis de Jean-Jacques Rousseau». On s’y est intéressé aux disciples comme aux détracteurs de l’auteur, du XVIIIe au XXIe siècle. Le Rousseau des Québécois d’aujourd’hui n’a pas été abordé, mais cela aurait été possible.
Exemples.
Parmi les pancartes des étudiants québécois mécontents de la hausse des droits de scolarité universitaires décidée par le gouvernement, ainsi que de la loi dite «78» promulguée par lui, une cite précisément, guillemets à l’appui, mais sans indication de sources, «le citoyen de Genève» :
«Les lois
sont toujours
utiles à ceux
qui possèdent
et nuisibles
à ceux qui n’ont rien»
Rousseau
dit non (le Devoir, 26-27 mai 2012, p. F2)
Ce Rousseau-là, qui dit «dit non» à la hausse et qui porte le carré rouge des étudiants en grève, est celui du Contrat social (1762, livre premier, neuvième chapitre, «Du domaine réel», note).
C’est le même ouvrage qui nourrit la réflexion de l’Office national du film (ONF) du Canada :
L’ONF […] produit de son côté un essai interactif, Rouge au carré, une série de 22 tableaux interactifs inspirés du contrat social de Jean-Jacques Rousseau et produits en collaboration avec l’École de la Montagne rouge et Commun, une agence de création montréalaise (la Presse, 18 juin 2012, cahier Arts, p. 6).
Ce projet doit être dévoilé le 22 juin, jour prévu de manifestation en appui aux étudiants.
Enfin, les pages du quotidien le Devoir ne manquent pas d’allusions à Rousseau, liées directement ou pas aux prises de position étudiantes. Des étudiants et des universités demandent aux tribunaux d’intervenir dans la grève ? «Il n’y a pas à en douter, Rousseau s’opposerait à une conception de l’éducation contrainte à coups de sentences et d’injonctions», affirme un philosophe (21-22 avril 2012, p. F1). Un professeur s’interroge sur «la corrélation […] entre l’élévation dans l’échelle sociale et les comportements contraires à l’éthique» ? Il cite deux fois l’auteur du Discours sur l’inégalité (5 mars 2012, p. A6). Le mouvement «Occupy» prend de l’ampleur ? «Jean-Jacques Rousseau aurait campé avec les indignés», titre le journal (4-5 février 2012, p. B6).
Voilà un écrivain des Lumières qui ne paraît avoir que des amis ces jours-ci au Québec.
P.-S. — L’exception qui confirme la règle ? En réponse au texte «Jean-Jacques Rousseau aurait campé avec les indignés», un lecteur du Devoir traite l’écrivain de «squatteur», mais de squatteur des riches au crochet desquels il aurait vécu (7 février 2012, p. A8). Il n’y a rien à faire : Rousseau ne fait jamais l’unanimité.
[Complément du 29 octobre 2021]
L’Oreille tendue a continué à réfléchir à cette question. La preuve ?
Melançon, Benoît, «Jean-Jacques Rousseau au Québec en 2019», Sens public, revue numérique, 30 septembre 2019; repris, sous le titre «Voltaire, Rousseau et les autres, au Québec», dans Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, p. 15-34. http://sens-public.org/article1433.html