Youpi, en bien mieux

Soit le tweet suivant :

«CAVALCADE EN CYCLORAMA meilleur vendeur 2013 au Port de tête, booya !» (@K_Phaneuf)

Booya, donc.

Jusqu’alors, l’Oreille tendue n’avait entendu cette expression marquant une très grande (auto) satisfaction que dans son cercle familial élargi (n = 2).

Elle avait tout faux. Booya (en ses diverses graphies) est bien connu en anglais, ainsi que le révèle cette entrée du Urban Dictionary.

L’Oreille stands corrected.

 

[Complément du 10 janvier 2014]

Aveu de @K_Phaneuf : «J’ai adopté le “booya” en lisant les aventures parodiques de Chuck Norris

 

[Complément du 22 octobre 2019]

Variation graphique chez le Guillaume Corbeil du Meilleur des mondes (2019) : «Bouh-ya !» (p. 143)

 

Référence

Corbeil, Guillaume, le Meilleur des mondes. D’après Aldous Huxley. Théâtre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 139, 2019, 238 p.

Moyennant moyenner

Y a toujours moyen de moyenner, film de Denis Héroux, 1973

L’Oreille tendue a eu plusieurs occasions de le dire : elle est une lectrice assidue des Notules dominicales de culture domestique de Philippe Didion.

Dans la livraison servie le 24 novembre, le Notulographe, s’agissant du roman Au Bon Beurre de Jean Dutourd, écrit : «J’ai retrouvé aussi, comme cela s’est déjà produit chez Fallet, des expressions qu’il m’arrive d’employer et que je n’avais jamais vues écrites, comme “si y a moyen de moyenner” ou “aller au chlofe”.»

L’Oreille ne connaît pas aller au chlofe. Y a moyen de moyenner, si, car l’expression est fréquente au Québec. Définition du Wiktionnaire : «Trouver une solution malgré certaines difficultés.» Exemple, tiré des débats parlementaires, toujours selon le Wiktionnaire : «J’ai toujours pensé qu’il y avait moyen de moyenner puis d’arranger les choses en tenant compte des opinions […]. — (Assemblée nationale du Québec, Journal des débats, 14 novembre 1996).»

Les gens de la génération de l’Oreille se souviennent d’un film de 1973, signé Denis Héroux, qui portait ce titre. Ce n’est pas exactement un classique du cinéma québécois.

De la crinque

Sylvain Hotte, Panache. 1. Léthargie, 2009, couverture

Le 5 juin dernier, l’Oreille tendue participait à l’émission radiophonique de Catherine Perrin sur les ondes de Radio-Canada. Il y était question des mots de la langue du Québec qu’il faudrait ajouter aux dictionnaires du français de référence.

L’ami Antoine Robitaille, qui participait à l’émission, a livré ce jour-là un vibrant plaidoyer pour crinquer. On le comprend : à son club de sport, on le surnommerait «Le Crinqué».

Quel est le sens de crinquer (nom, verbe, adjectif) ?

S’appuyant sur le Dictionnaire québécois français. Mieux se comprendre entre francophones de Lionel Meney (Montréal, Guérin, 2003, deuxième édition revue et corrigée, xxxiv/1884 p.), Robitaille relevait d’abord le sens être remonté, être gonflé à bloc, avoir le ressort au max. On pourrait parler d’un «sportif crinqué» ou d’un «politicien crinqué».

Exemple : «C’était pas la bonne affaire à dire, visiblement. Ça l’a encore plus crinqué» (Et au pire, on se mariera, p. 104).

Il est même concevable d’être plus crinqué que crinqué : on est alors crinqué au boutte.

On peut se crinquer soi-même; on peut aussi être la victime des autres.

Exemple : «Crinquer quelqu’un : l’agacer, le provoquer» (Petit lexique de mots québécois […], p. 72).

Crinquer, c’est aussi faire tourner quelque chose, comme un bouton.

Exemple : «La leçon de rock de Gros Mené : d’abord, apprends à jouer. Bien. Puis, crinque le volume» (@oursmathieu).

Cela peut dès lors s’appliquer à une montre ou, mieux, à une horloge.

Un auditeur de l’émission a indiqué un autre sens, lié au monde de la drogue : se crinquer, c’est s’injecter de la drogue. Pas trop loin sémantiquement, Richard Desjardins, dans «Kooloo Kooloo», chante «Crinque le p’tit joint».

Un crinqueux serait une personne qui rapporterait volontiers des potins, toujours selon un auditeur.

D’où le mot vient-il ? Manifestement de l’anglais crank, manivelle, mécanisme de démarrage.

Exemple (avec orthographe d’origine) : «[Le Skiroule 440] part toujours d’un coup de crank» (Léthargie, p. 150).

Exemple (avec orthographe fautive) : «Je lui fait une petite démonstration de démarrage en tirant sur la cranck» (Attaquant de puissance, p. 68).

Exemple (avec orthographe modifiée) : «J’ai tiré un coup sec et ferme sur la crinque» (Léthargie, p. 210).

Exemple (de souche) : «J’crinque ma chainsaw / Pour tailler les mots quej’ veux t’offrir» (Tire le coyote, «Chainsaw», 2013).

Le mot vient de l’anglais, pas sa prononciation; tout le monde devrait le savoir. Ainsi, dans son ineffable Dictionnaire de la langue québécoise, Léandre Bergeron n’a pas d’entrée à crinque, mais, à crank, on peut lire «pron. crinque» (p. 156).

Reconnaissons-le avec «Le Crinqué» : le mot est riche, et digne de figurer au dictionnaire.

P.-S. — L’Oreille se demande si «Chainsaw» ne devrait pas être la chanson thème de l’École de la tchén’ssâ.

P.-P.-S. — Hier, à Pas de midi sans info, à la radio de Radio-Canada, une journaliste a utilisé trois fois le mot crinquer, comme si cela allait de soi. Elle n’avait manifestement aucune conscience qu’il existe des niveaux de langue en français.

 

[Complément du 10 septembre 2021]

Grâce à @w3corg, sur Twitter, l’Oreille tendue découvre l’existence des films Crank (2006) et Crank : High Voltage (2009). En version pour la France : Hyper Tension et Hyper Tension 2. Pour le Québec et le Nouveau-Brunswick : Crinqué et Crinqué : Sous haute tension.

 

[Complément du 21 janvier 2024]

Dans la Presse+ du jour, ceci, au sujet de Patrick Roy, nouvel entraîneur des Islanders de New York — c’est du hockey : «Maintenant, s’il y a un entraîneur capable de recrinquer cette formation, c’est bien lui.» Crinquer, mais à nouveau.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bienvenu, Sophie, Et au pire, on se mariera. Récit, Montréal, La mèche, 2011, 151 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Hotte, Sylvain, Panache. 1. Léthargie, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 1, 2009, 230 p.

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.

Modeste proposition de moratoire sportivo-littéraire

Le 1er avril dernier, rendant compte du livre le Hockey vu du divan (2012) de Simon Grondin, l’Oreille tendue évoquait un moratoire sur le découpage en trois périodes des ouvrages (ou des films) portant sur le hockey. Elle revient à la charge.

En effet, ce type de découpage est trop fréquent. Des exemples ?

Claude Dionne, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! (2012).

Alain M. Bergeron, la Coupe du hocquet glacé (2010).

Gaël Corboz, En territoire adverse (2006).

Luc Cyr et Carl Leblanc, Mon frère Richard (1999).

Raymond Plante, Jacques Plante (1996).

Michel Bujold, l’Amour en prolongation (1990).

André Simard, la Soirée du fockey (1972).

Cette liste est sûrement incomplète. Bref : on arrête svp.

 

[Complément du 17 août 2018]

Les trois prises du jour

Le Chandail de hockey / The Hockey Sweater (2006).

Bernard Pozier, Les poètes chanteront ce but (1991).

Yves Tremblay, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions (2013).

 

[Complément du 29 décembre 2018]

Deux autres ? Deux autres.

Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes (2018).

Baruchel, Jay, Born into It. A Fan’s Life (2018).

 

[Complément du 5 novembre 2021]

Ce qui affectait les livres et les films touche maintenant les menus, par exemple à la magnifique exposition consacrée à Serge Lemoyne. Ce n’est pas mieux.

Café Québecor, Maison des beaux-arts du Québec, 5 novembre 2021

[Complément du 22 mars 2023]

On apprend, dans la Presse+ du jour, que le Cirque du Soleil est en train de concevoir un spectacle sur Guy Lafleur. Comment sera-t-il découpé ? «Guy ! Guy ! Guy ! sera structuré en suivant les trois périodes d’un match de hockey […]». Personne ne sera étonné.

 

[Complément du 20 novembre 2024]

Un mémoire de maîtrise découpé en trois périodes ? Celui-ci.

 

Références

Baruchel, Jay, Born into It. A Fan’s Life, Toronto, Harper Avenue, 2018, 249 p.

Bergeron, Alain M., la Coupe du hocquet glacé. Miniroman de Alain M. Bergeron — Fil et Julie, Québec, Éditions FouLire, coll. «Le chat-ô en folie», 9, 2010, 45 p.

Bujold, Michel, l’Amour en prolongation. Poésies hérotiques, Montréal, Éditions d’Orphée, 1990, s.p.

Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes, Montréal, L’Oie de Cravan, 2018, 123 p.

Le Chandail de hockey / The Hockey Sweater, cédérom, 3D Courseware/ Les Éditions 3D, 2006. Conception de Donna Mydlarski, Dana Paramskas, André Bougaïeff et Larry Katz.

Corboz, Gaël, En territoire adverse, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. «Graffiti», 37, 2006, 164 p.

Cyr, Luc et Carl Leblanc, Mon frère Richard, documentaire de 53 minutes, 1999. Production: Ad Hoc Films.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, 214 p. Ill.

Lemay, Clarence, «Chronique sportive ou politique ? Le Canadien de Montréal et la crise constitutionnelle canadienne dans La Presse, Le Devoir et la Gazette (1976-1995)», Ottawa, Université d’Ottawa, 2020, vii/186 p. http://dx.doi.org/10.20381/ruor-25327

Plante, Raymond, Jacques Plante. Derrière le masque, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Les grandes figures», 9, 1996, 221 p. Ill.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Simard, André, la Soirée du fockey. Le temps d’une pêche. Le vieil homme et la mort, Montréal, Leméac, coll. «Répertoire québécois», 40, 1974, 92 p. Préface de Normand Chouinard.

Tremblay, Yves, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, Brossard, Un monde différent, 2013, 208 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.

42

Brian Helgeland, 42 (2013)

Le 15 avril de chaque année, on célèbre le «Jackie Robinson Day», histoire d’honorer la mémoire du premier joueur noir du baseball «moderne».

Cette année, pour l’occasion, l’organisation des ligues majeures de baseball (Major League Baseball) a fait paraître le livre numérique «augmenté» ou «enrichi» — texte, photos, vidéos, liens — de Lyle Spencer, Fortitude. The Exemplary Life of Jackie Robinson (2013), conçu spécifiquement pour le iPad. (L’Oreille tendue a en rendu compte ici.)

Au même moment était lancé le film biographique 42 de Brian Helgeland.

Presque tout ce qui fait un film à thèse y est. Les personnages parlent par maximes et phrases ronflantes. Dès qu’ils ont quelque chose de grave à dire, la musique devient sirupeuse. Le jeu des acteurs est digne d’un téléfilm : aucune mimique lourdement expressive n’est épargnée. Il y a des ralentis pour marquer les temps forts. Tout concorde à livrer une morale claire : Jackie Robinson a changé la culture du baseball et, dans le même temps, la société états-unienne. Il ne manque que la guérison miraculeuse d’un jeune handicapé dans le vestiaire de l’équipe dirigée par son père pour que tout y soit.

Qu’on ne s’y trompe cependant pas : ce film, dès qu’on a mis de côté toute considération esthétique, est d’une efficacité redoutable. L’Oreille ne cachera pas avoir eu le motton à répétition en le regardant. Il est vrai que Jackie Robinson est son héros.

Avant d’être le numéro 42 des Dodgers de Brooklyn, Robinson a passé la saison 1946 dans l’uniforme des Royaux de Montréal. Comme un autre sportif célèbre de son époque, Maurice Richard, il portait alors le numéro 9. Comment la ville apparaît-elle dans le film ?

Son nom est prononcé à quelques reprises par Branch Rickey, l’homme qui a recruté Robinson. On voit celui-ci dans l’uniforme des Royaux en Floride (pendant le camp d’entraînement de l’équipe) et à Jersey City (pour sa première présence au bâton durant son premier match). C’est à peu près tout.

Est-ce trop peu, comme certains l’ont écrit ? Dans une perspective strictement biographique, oui : l’année passé par Robinson à Montréal a permis aux Dodgers de Brooklyn de préparer son passage vers le baseball majeur, et de le préparer, lui. Dans une perspective dramatique, non : Robinson et sa femme, Rachel, ont toujours vanté la tolérance des Montréalais à leur égard; dans un film qui veut dénoncer le racisme aux États-Unis dans la première moitié du XXe siècle, ce serait rappeler que certaines sociétés, à la même l’époque, l’étaient moins.

Les habitants de Montréal aiment se souvenir du passage de Robinson à Montréal. Une plaque officielle a été fixée à la maison qu’il a habitée en 1946, au 8232, avenue De Gaspé. Une statue à son effigie a d’abord été installée angle Ontario et de Lorimier, là où jouaient les Royaux; on y trouve toujours une plaque, mais la statue a été déménagée au stade du Parc olympique. Les romanciers Morley Callaghan (The Loved and the Lost, 1951), Mordecai Richler (St. Urbain’s Horseman, 1966), Jean-François Chassay (Laisse, 2007) et Renald Bérubé (les Caprices du sport, 2010) évoquent le souvenir de Robinson. Jack Jedwab a même consacré un court ouvrage à sa saison de 1946, dans les deux langues officielles : Jackie Robinson’s Unforgettable Season of Baseball in Montreal (1996); Jackie Robinson : une inoubliable saison de baseball à Montréal (1997).

On peut comprendre cette fierté rétrospective, mais, de toute évidence, ce n’est pas aux Montréalais que le film 42 est destiné. D’ailleurs, aucune version française n’en est encore disponible.

P.-S. — 42 n’est pas le premier film sur Jackie Robinson. Dès 1950, alors qu’il était encore joueur actif, on le voit jouer son propre rôle dans The Jackie Robinson Story (le film est visible en ligne). Richard Brody, dans le magazine The New Yorker, propose une comparaison très fine des films de Brian Helgeland et d’Alfred E. Green.

P.-P.-S. — Avec Montréal, Robinson aurait aussi porté les numéros 4 et 11.

 

Références

Bérubé, Renald, les Caprices du sport. Roman fragmenté, Montréal, Lévesque éditeur, coll. «Réverbération», 2010, 159 p.

Callaghan, Morley, The Loved and the Lost, Toronto, Macmillan of Canada, coll. «Laurentian Library», 9, 1977, 257 p. Édition originale : 1951.

Chassay, Jean-François, Laisse. Une fantaisie pleine de chiens, de bruits et de fureurs. Roman, Montréal, Boréal, 2007, 187 p.

Jedwab, Jack, Jackie Robinson’s Unforgettable Season of Baseball in Montreal, Montréal, Images, 1996, 56 p. Ill.

Jedwab, Jack, Jackie Robinson : une inoubliable saison de baseball à Montréal, Montréal, Images, 1997, 64 p. Ill.

Richler, Mordecai, St. Urbain’s Horseman, New York, Alfred A. Knopf, Inc. / A Bantam Book, 1972, 436 p. Ill. Édition originale : 1966.

Spencer, Lyle, Fortitude. The Exemplary Life of Jackie Robinson, New York, MLB.com Play Ball Books, et Ecco. An Imprint of HarperCollins Publishers, 2013. Préface de Kareem Abdul-Jabbar. Deuxième édition. Édition pour iPad.

Jackie Robinson, Royaux de Montréal, 1946