Le 5 juin dernier, l’Oreille tendue participait à l’émission radiophonique de Catherine Perrin sur les ondes de Radio-Canada. Il y était question des mots de la langue du Québec qu’il faudrait ajouter aux dictionnaires du français de référence.
L’ami Antoine Robitaille, qui participait à l’émission, a livré ce jour-là un vibrant plaidoyer pour crinquer. On le comprend : à son club de sport, on le surnommerait «Le Crinqué».
Quel est le sens de crinquer (nom, verbe, adjectif) ?
S’appuyant sur le Dictionnaire québécois français. Mieux se comprendre entre francophones de Lionel Meney (Montréal, Guérin, 2003, deuxième édition revue et corrigée, xxxiv/1884 p.), Robitaille relevait d’abord le sens être remonté, être gonflé à bloc, avoir le ressort au max. On pourrait parler d’un «sportif crinqué» ou d’un «politicien crinqué».
Exemple : «C’était pas la bonne affaire à dire, visiblement. Ça l’a encore plus crinqué» (Et au pire, on se mariera, p. 104).
Il est même concevable d’être plus crinqué que crinqué : on est alors crinqué au boutte.
On peut se crinquer soi-même; on peut aussi être la victime des autres.
Exemple : «Crinquer quelqu’un : l’agacer, le provoquer» (Petit lexique de mots québécois […], p. 72).
Crinquer, c’est aussi faire tourner quelque chose, comme un bouton.
Exemple : «La leçon de rock de Gros Mené : d’abord, apprends à jouer. Bien. Puis, crinque le volume» (@oursmathieu).
Cela peut dès lors s’appliquer à une montre ou, mieux, à une horloge.
Un auditeur de l’émission a indiqué un autre sens, lié au monde de la drogue : se crinquer, c’est s’injecter de la drogue. Pas trop loin sémantiquement, Richard Desjardins, dans «Kooloo Kooloo», chante «Crinque le p’tit joint».
Un crinqueux serait une personne qui rapporterait volontiers des potins, toujours selon un auditeur.
D’où le mot vient-il ? Manifestement de l’anglais crank, manivelle, mécanisme de démarrage.
Exemple (avec orthographe d’origine) : «[Le Skiroule 440] part toujours d’un coup de crank» (Léthargie, p. 150).
Exemple (avec orthographe fautive) : «Je lui fait une petite démonstration de démarrage en tirant sur la cranck» (Attaquant de puissance, p. 68).
Exemple (avec orthographe modifiée) : «J’ai tiré un coup sec et ferme sur la crinque» (Léthargie, p. 210).
Exemple (de souche) : «J’crinque ma chainsaw / Pour tailler les mots quej’ veux t’offrir» (Tire le coyote, «Chainsaw», 2013).
Le mot vient de l’anglais, pas sa prononciation; tout le monde devrait le savoir. Ainsi, dans son ineffable Dictionnaire de la langue québécoise, Léandre Bergeron n’a pas d’entrée à crinque, mais, à crank, on peut lire «pron. crinque» (p. 156).
Reconnaissons-le avec «Le Crinqué» : le mot est riche, et digne de figurer au dictionnaire.
P.-S. — L’Oreille se demande si «Chainsaw» ne devrait pas être la chanson thème de l’École de la tchén’ssâ.
P.-P.-S. — Hier, à Pas de midi sans info, à la radio de Radio-Canada, une journaliste a utilisé trois fois le mot crinquer, comme si cela allait de soi. Elle n’avait manifestement aucune conscience qu’il existe des niveaux de langue en français.
[Complément du 10 septembre 2021]
Grâce à @w3corg, sur Twitter, l’Oreille tendue découvre l’existence des films Crank (2006) et Crank : High Voltage (2009). En version pour la France : Hyper Tension et Hyper Tension 2. Pour le Québec et le Nouveau-Brunswick : Crinqué et Crinqué : Sous haute tension.
[Complément du 21 janvier 2024]
Dans la Presse+ du jour, ceci, au sujet de Patrick Roy, nouvel entraîneur des Islanders de New York — c’est du hockey : «Maintenant, s’il y a un entraîneur capable de recrinquer cette formation, c’est bien lui.» Crinquer, mais à nouveau.
Références
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.
Bienvenu, Sophie, Et au pire, on se mariera. Récit, Montréal, La mèche, 2011, 151 p.
Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.
Hotte, Sylvain, Panache. 1. Léthargie, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 1, 2009, 230 p.
Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.