La rançon de la gloire

Affiche du film Barrabas (Richard Fleischer, 1961)

Soit les deux phrases suivantes :

«À Berlin, on se l’arrache [il s’agit de Denis Côté]. Je l’ai croisé dans deux cocktails et j’ai fait la queue avec lui avant une projection officielle au Berlinale Palast. Toutes les cinq minutes en moyenne, quelqu’un est venu lui taper sur l’épaule pour le saluer. Un cinéaste ou une actrice, un directeur de festival ou un programmateur, d’Europe, d’Asie, d’Amérique du Sud, du Canada ou des États-Unis. Barrabas dans la Passion (pas le film d’Hamaguchi ni celui de Scorsese)» (la Presse+, 22 février 2024).

«D’abord, Pauline Julien n’en peut plus du désordre du bureau de Gérald [Godin], tout près de leur chambre. En outre, ils sont connus comme Barabbas dans la Passion et beaucoup de gens en profitent pour aller les saluer, mais aussi pour les importuner en sonnant à leur porte à tout bout de champ» (Godin, p. 388).

Être connu comme Barrabas / Barabbas dans la Passion, donc.

Première remarque : on voit Barrabbas et Barabbas. Wikipédia retient la seconde graphie.

Deuxième remarque : selon le Réseau de diffusion des archives du Québec, cette expression signifie «Avoir une grande réputation, être célèbre. En référence à Barabbas, voleur condamné à mort, qui fut gracié à l’occasion de la Pâque, à la demande de la foule, alors que Pilate proposait de libérer Jésus.»

Le (lourd) passé catholique des Québécois — notamment visible dans leurs jurons — étant ce qu’il est, cette étymologie n’a pas de quoi étonner.

Troisième remarque : l’expression est aujourd’hui courante au Québec, mais pas en France, où elle a toutefois déjà été employée.

À votre service.

 

[Complément du jour]

Courriel de l’antenne liégeoise de l’Oreille tendue : «J’ai souvent entendu en Belgique, pays qui fut aussi pas mal catholique, l’expression “connu comme Barabbas à la passion”. Note la variante : je n’ai jamais entendu “dans la passion”.» Dont acte.

 

Illustration : affiche du film Barrabas (Richard Fleischer, 1961)

 

Référence

Livernois, Jonathan, Godin, Montréal, Lux éditeur, coll. «Mémoire des Amériques», 2023, 536 p. Ill. Préface de Ruba Ghazal.

Voltaire aux Olympiques

«Hitler’s Olympics», deuxième épisode, logo

Le / la balado Revisionist History vient de lancer sa nouvelle saison, «Hitler’s Olympics». Malcolm Gladwell essaie d’y répondre à la question «Pourquoi les Américains ont-ils accepté d’aller aux Jeux de 1936 à Berlin ?»

Le deuxième épisode est largement consacré à Charles Hitchcock Sherrill, un des membres du Comité international olympique. À qui Gladwell le compare-t-il ?

À des héros de cinéma (Zelig, Forrest Gump). À Polonius, un des personnages (périshakespeariens) du poème The Love Song of J. Alfred Prufrock, de T.S. Eliot (1915). À Pangloss, le philosophe de Candide (1759), de Voltaire.

L’allitération est jolie (Pangloss, Polonius, Prufrock). La comparaison voltairienne étonne et elle n’est pas flatteuse : ce défenseur de la «métaphysico-théologo-cosmolonigologie» n’est pas la meilleure référence qui soit. Personne ne voudrait lui être comparé, sauf Candide, bien sûr.

Regarder devant et derrière

Dictionnaire de la censure au Québec, 2006, film érotique, affiche

Double définition du jour

1. Dans le français populaire du Québec, comme ailleurs dans la francophonie, le film de fesse(s) désigne un contenu érotique / libertin / salace / pornographique / obscène / licencieux / sensuel (rayez la mention inutile ou ajoutez celle qui vous convient).

Le rapport paraît assez évident entre cette pratique cinématographique et les expressions québécoises jouer aux fesses («Avoir des relations sexuelles», Trésor des expressions populaires, p. 147) et parties de fesses («Ébats sexuels à deux ou plusieurs» (Dictionnaire de la langue québécoise, p. 223).

Ex. : «Quand Valérie séduisit le public… mais pas la critique. Que reste-t-il de nos jours du premier film “de fesses” québécois ?» (le Devoir, 22 août 2023)

2. Coloscopie : «Examen visuel de l’intérieur du côlon à l’aide d’un endoscope» (le Petit Robert, édition numérique de 2018). Synonyme : film de fesses.

P.-S.—Pour fesser, voir ici.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015 (nouvelle édition revue et augmentée), 380 p.

Autopromotion 746

André Belleau, Re?pertoire des films vus, 1943-1986, couverture

Depuis au moins huit lustres, l’Oreille tendue lit des textes d’André Belleau et sur celui-ci. Elle leur a consacré quelques publications.

Elle se demandait quelle avait été la place du cinéma dans son parcours. Voici sa tentative de réponse :

Melançon, Benoît, «André Belleau et le cinéma», Sens public, revue numérique, rubrique «Chroniques», 9 février 2024. URL : http://sens-public.org/articles/1743/ (HTML); https://sens-public.org/static/git-articles/SP1743/SP1743.pdf (PDF).

Une petite laine policière ?

Portrait de Michael Jackson sur la neige

Durant les années 1980, l’Oreille tendue a lu quelques ouvrages de Michel Lebrun consacrés au roman policier, par exemple dans sa série l’Année du polar. Lebrun était aussi du comité de rédaction de la revue Polar. On le surnommait parfois «le pape du roman policier», voire «le grand pape du polar». (Question, au passage : est-il de petits papes ?)

Michel Lebrun était un des pseudonymes de Michel Cade (1930-1996). Selon la Bibliothèque nationale de France, il a aussi signé des œuvres — romans d’espionnage, policiers, érotiques — sous les noms de Pierre Anduze, Lou Blanc, Oliver King, Laurence Nelson, Michel Lenoir et Michel Lecler. Il était encore traducteur.

Ce fan de roman noir s’est un jour demandé comment traduire le mot anglais thriller. Sa suggestion ? Frileur, car ce genre doit faire frissonner.

Joli.

P.-S.—Le mot thriller est «déconseillé» par l’Office québécois de la langue française. Le Petit Robert le considère comme un anglicisme : «Film (policier, fantastique), roman, récit qui provoque des sensations fortes.»

P.-P.-S.—L’Oreille est volontiers lectrice de polar; voir ici.