Une nouvelle flopée

Publicité de Nespresso, 2015, détail

Irrégulièrement (2009, 2010, 2011, 2013, 2014), l’Oreille tendue fait le ménage de sa corbeille pleine de à saveur, cette manie québécoise. Le moment est de nouveau venu.

Vous êtes dans les affaires ? «À saveur entrepreneuriale» (la Presse, 15 avril 2015, cahier Affaires, p. 13).

Vous faites de la science ? «Plus d’une centaine d’activités à saveur scientifique» (le Devoir, 12 juin 2015, p. B1).

Vous êtes sportif ? «Omnium canadien @RBC : Un week-end à saveur olympique» (@OlympiqueCanada); «UEFA. Une finale de soccer à saveur québécoise» (la Presse, 15 mai 2014, cahier Affaires, p. 2).

Vous voterez bientôt ? «Une publicité à saveur électorale» (le Devoir, 18 juin 2012, p. A10); «C’est un discours à la Nation à saveur électoraliste qu’a prononcé mardi Barack Obama» (le Devoir, 28-29 janvier 2011, p. B1).

Vous voterez très bientôt ? «une publicité à saveur franchement électorale» (le Devoir, 21 août 2012, p. A4).

Vous voterez plus tard ? «Une rentrée à saveur préélectorale pour Stephen Harper» (le Devoir, 15 septembre 2014).

Vous aimez voyager ? «Une cuvée à saveur européenne» (la Presse, 10 mai 2012, cahier Arts, p. 10); «Un printemps à saveur celtique — Les célébrations de la Saint-Patrick — Instantanés BAnQ» (@Andre_Gareau); «un conte de style jeu de rôle à saveur japonaise» (la Presse, 25 avril 2014, cahier Arts, p. 6).

L’écologie vous intéresse ? «Un Q7 à saveur diesel» (la Presse, 23 mars 2008, cahier Auto, p. 16); «Du #StreetArt à saveur environnementale. #Joli» (@FabienDeglise); «Il y a aussi le “marché à saveur de développement durable” http://ddsadcestrie.blogspot.ca/2013/03/marche-lavallee-un-marche-saveur-de.html» (@LucGauvreau).

Tant de saveurs, pas de goût.

Tout proche

En 2013, le quotidien montréalais le Devoir s’interrogeait sur les menaces qui nous entourent : «Vers un terrorisme de proximité ?» (le Devoir, 25-26 mai, p. B1)

Ce matin, Pierre Assouline atterrit dans le fil Twitter de l’Oreille tendue avec de l’aide pour penser cette question : «Pourquoi les livres de Michel Onfray, philosophe de proximité, se vendent si bien. Enquête sur un phénomène. http://bit.ly/1S0xs3t

Ça change du commerce de proximité et du marché de proximité, mais ça rapproche (peut-être) des centres de justice de proximité, des juges de proximité et de la démocratie de proximité.

Il faudra suivre cela sur les médias de proximité. Au besoin, on consultera un leader de proximité.

Observez autour de vous : la proximité est là.

 

[Complément du 22 juin 2015]

Dans le Devoir des 20-21 juin (p. D5), Philippe Mollé propose de distinguer le «dépanneur de proximité» du dépanneur affilié à une chaîne; cela serait propre aux villages (l’article porte sur eux). Pareille distinction serait inopérante en ville, où les «dépanneurs de proximité» ne sont pas tous la propriété de petits exploitants, bien au contraire.

L’Oreille, en faisant du ménage, retrouve un texte qu’elle avait consacré à de proximitéle 5 juin 2013.

 

[Complément du 17 juin 2016]

Politique provinciale : «La coalition avenir Québec a choisi un candidat de proximité pour tenter de reprendre le siège de Saint-Jérôme, laissé vacant par la démission de Pierre Karl Péladeau» (le Devoir, 17 juin 2016, p. A2).

 

[Complément du 21 juin 2016]

Selon Armelle Héliot, une des critiques dramatiques de l’émission de radio le Masque et la plume (livraison du 19 juin 2016), il existerait une «magie de proximité». C’est noté.

 

[Complément du 1er août 2016]

Vous avez des problèmes d’argent et du mal à vous déplacer ? Pensez «financement de proximité» (le Devoir, 27 juillet 2016, p. A3).

 

[Complément du 7 avril 2017]

Dès 2007, Caroline Ollivier-Yaniv proposait une lecture politique de l’expression «de proximité», dont la popularité serait à porter au compte de l’ancien premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin :

Simultanément, l’évocation récurrente de la proximité affaiblit le débat politique. Elle contribue en effet à escamoter la portée idéologique et politique des décisions qu’elle qualifie pour mettre en valeur leur pragmatisme. Peut-on imaginer un responsable politique français en exercice qui se réclamerait aujourd’hui de la distance, condition pourtant nécessaire à l’émergence de l’intérêt général selon les théories classiques de l’État ? Tout se passe comme si l’invocation de la métaphore spatiale de la proximité permettait de conjurer les apories de la représentation politique, par définition fondée sur une coupure et sur la séparation des gouvernés et des gouvernants (p. 362).

 

[Complément du 10 octobre 2017]

«Gouvernements de proximité, dites-vous ?» (le Devoir, 7-8 octobre 2017, p. B5) Bonne question.

 

[Complément du 21 novembre 2021]

Vous êtes philanthrope ? Pensez, bien sûr, au «don de proximité» (le Devoir, 13-14 novembre 2021, p. C6).

 

Référence

Ollivier-Yaniv, Caroline, «Proximité», dans Pascal Durand (édit.), les Nouveaux Mots du pouvoir. Abécédaire critique, Bruxelles, Aden, 2007, 461 p., p. 361-363.

La chasse est ouverte

Les journalistes, les chroniqueurs, les publicitaires (etc.) aiment les lieux communs, les formules toutes faites, les mots du jour.

Certains de leurs lecteurs s’amusent à en faire des florilèges. Il y a les collectionneurs…

…d’urbains (Vivez la ville urbaine).

…d’ovnis (Des ovnis et des journalistes).

…de tsunamis (Des tsunamis et des journalistes).

…de passions (Passionnées de passion).

Vous pensez à autre chose ? L’Oreille est preneuse.

P.-S. — Merci à @revi_redac pour la découverte de Passionnées de passion.

Quelques clichés pour bien commencer la semaine

La famille des clichés est large et accueillante. Elle apprécie particulièrement les associations obligatoires de mots. Des exemples ?

Vous tombez ? C’est toujours lourdement.

Le citoyen est toujours simple. (Merci à @david_turgeon.)

Au hockey, le bombardement est toujours en règle.

Pourquoi l’indifférence est-elle toujours la plus grande ? (Merci à @machinaecrire.)

Le cynisme est toujours aussi ambiant que la vérité est criante. (Merci à @revi_redac pour ceci et pour cela.)

Le cliché donne toujours une vue imprenable sur l’humanité (toujours profonde).

 

[Complément du 10 janvier 2014]

Aux jeux Olympiques, la médaille — quelle qu’en soit la matière (or, argent, bronze) — doit toujours être raflée. (Merci à @iericksen.)

La solidarité vient toujours par vague ou par élan. Y compris aux Olympiques.

 

[Complément du 21 février 2014]

Le rire est toujours rabelaisien.

 

[Complément du 18 juin 2018]

Sur Twitter, grosse récolte du jour, à la suite du premier tweet ci-dessous.

Chez @LeMonde_correct : «Avez-vous remarqué que, dans la presse, les rapports sont toujours “accablants”, les pluies, “diluviennes” et le déficit, “abyssal” ?»

Chez @lheureuxdaniel : la «découverte» est «macabre». Et encore : «Que dire du crime “morbide”, du froid “sibérien”, de la chaleur “torride” et du thé “brûlant” ?»

Chez @kick1972 : la faune est «bigarrée» et le rapport «dévastateur». Ensuite : «Et des arrêts spectaculaires !»

Chez @alexandrepratt : «budget électoraliste» et «dernier tabou».

Chez @hugodumas : «Le “concept” d’une émission est “déjanté”.» Puis : «ambiance “festive”».

Chez @emilieperreault : «Les flammes d’une “rare intensité”.»

Chez @geff25 : «victoires convaincantes» et «défaites amères».

Chez @R0576 : «Ou le classique : une “violente agression”. Car, c’est bien connu, certaines agressions se font avec une douceur remarquable.»

Ce sera tout pour aujourd’hui.

P.S.—Souvenons-nous aussi, attendris, du «frêle esquif».

Regardons le ciel et distinguons

I.

Il y a des ovnis (objets volants non identifiés) qui n’ont plus rien de la soucoupe volante.

Ovnis théâtraux : «une œuvre […] multiple et multidisciplinaire, un ovni théâtral […]» (la Presse, 6 avril 2013, cahier Arts, p. 1).

Ovnis littéraires : «pur ovni littéraire au graphisme ultraléché et aux lettres crues» (le Devoir, 16-17 mars 2013, p. F5).

Ovnis cinématographiques : «Voici un ovni cinématographique qui mérite qu’on y jette un coup d’œil […]» (le Devoir, 28 décembre 2012, p. B2); «Truffe, de Kim Nguyen. OVNI cinématographique datant de 2008, le film prend racine dans un quartier Hochelaga-Maisonneuve […]» (le Devoir, 4 décembre 2012, p. A4).

Ovnis esthétiques : «Bilan 2013 danse. Ovnis esthétiques» (le Devoir, 23 décembre 2013).

En matière de culture, l’ovni est un objet étonnant, voire bizarre, mais l’étiquette est plutôt positive. L’ovni ne serait donc pas psychotronique.

II.

Il y a l’ovni littéraire, mais il y a aussi l’olni, l’objet littéraire non identifié. Cela semble être la même chose.

On peut encore raffiner : «#coupdecoeur “Le Linguiste était presque parfait” de David Carkeet (ed. Toussaint Louverture) olni savoureux» (@BookeenTeam). Faudrait-il parler d’olnis (objet littéraire non identifié savoureux) ?

P.-S. — L’Oreille tendue remercie @revi_redac, grande chasseuse d’ovnis culturels, pour quelques citations.

 

[Complément du 17 janvier 2014]

Un «brillant ovni culturel» (le Devoir, 27 octobre 2012).

«Ovni artistique» (la Presse+, 16 janvier 2014).