Mais

Philippe Chagnon, Arroser l’asphalte, 2017, couverture

Le recueil Arroser l’asphalte de Philippe Chagnon (2017) est fait de courts poèmes qui ne sont pas titrés et qui sont indépendants les uns des autres, mais, à deux moments, il y a des brèves séries, numérotées (p. 15-17 et p. 83-86).

Les poèmes abordent fréquemment la culture musicale populaire («Des croissants de soleil pour déjeuner», p. 12; «La ballade des gens heureux», p. 54) et la culture télévisuelle (Virginie, p. 10), mais il est aussi question de Bach (p. 28) et de Coltrane (p. 80). Une comptine est réécrite, mais à l’âge du numérique : «scroll scroll scroll your boat / gently down the screen / numbly numbly numbly numbly / life is not a dream» (p. 84).

Le poète aime la langue populaire québécoise («hydro prend son gun et tire sur la plogue», p. 11; «le voisin starte le barbecue», p. 58; avoir une poignée dans le dos), mais il lui arrive de parler, au lieu de «lutte», de «pancrace» (p. 43) et d’évoquer «une passacaille pour métal / et objet non identifié» (p. 48).

Il sait que la sagesse des nations passe par des proverbes et des expressions toutes faites, mais il aime les détourner : «celle à qui tu vas faire / deux œufs-bacon demain / c’est donc vrai on ne devient pas homme / sans se faire briser des yeux» (p. 62); «mais je ne peux pas me lever / sans me prendre les deux pieds dans l’acquis» (p. 57); «que le trois fait le mois mais je ne sais plus lequel» (p. 64).

Il connaît le hockey («on donne un deux minutes pour paresse entre deux poèmes», p. 38), mais aussi le baseball («café poème baseball sur mute», p. 72).

Il s’interroge plusieurs fois sur la poésie (dans plus d’une vingtaine de poèmes), mais il publie ce livre :

je m’étais dit que non
pas aujourd’hui
pas ça mais autre chose
se contrôler se battre
contre les mauvaises habitudes
puis en fin de matinée
écrire un poème
quand même (p. 51)

L’Oreille tendue a-t-elle apprécié ? Oui, sans mais.

P.-S.—L’Oreille a publié plusieurs livres chez Del Busso éditeur. Elle y est éditeur conseil. Elle n’a été impliquée d’aucune façon dans la publication d’Arroser l’asphalte.

 

Référence

Chagnon, Philippe, Arroser l’asphalte. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2017, 91 p.

Bonheur d’Oreille

Lizz Wright au Stockholm Jazz Fest en 2009, photographie de Bengt Nyman

Aveu : jusqu’au 24 juin dernier, l’Oreille tendue ne connaissait pas l’existence de Lizz Wright. En lisant son Devoir du jour, elle découvre que cette chanteuse états-unienne honorera Ella Fitzgerald lors d’un spectacle dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal. C’était hier soir.

D’entrée de jeu, Wright a interprété quatre chansons du répertoire de Fitzgerald : «What Is This Thing Called Love», «Love You Madly», «Give Me the Simple Life» et «The Nearness of You». Pour ces pièces, pas de guitare, de basse ou de batterie — comme pour le reste du spectacle —, mais seulement le piano de Kenny Banks. Dire que celui-ci accompagne la chanteuse ne serait pas rendre justice à son travail, manifestement inspiré par l’histoire, y compris la plus récente, du jazz : ils dialoguent et s’amusent («He’s happy», déclare Wright). Toute la soirée, le jeu de cet énergumène — au piano ou à l’orgue — ravira.

On a souvent reproché à Ella Fitzgerald de ne pas être une vraie chanteuse de jazz, car elle aimait chanter de tout. On pourrait faire le même reproche à Lizz Wright, qui chante du jazz, mais aussi du gospel et de la soul, voire du motown et de la pop («The New Game»). Elle a même repris hier un classique de Neil Young, «Old Man», en version pleine de nerf. Dans les deux cas, le reproche n’aurait aucun fondement.

Comme Fitzgerald, la diction est impeccable (on n’est pas chez Bob Dylan). En revanche, la voix de Wright est plus grave que celle de Fitzgerald, et son phrasé plus heurté.

Avant le début du spectacle, Wright a reçu le prix Ella-Fitzgerald des mains de Laurent Saulnier. Dans ses remerciements, elle a parlé de la «joy without condition» de celle qui a donné son nom au prix. C’était aussi un autoportrait.

P.-S.—Même avec trois rappels, 90 minutes, c’était un brin bref.

Illustration : Lizz Wright au Stockholm Jazz Fest, 2009, photo de Bengt Nyman déposée sur Wikimedia Commons

Une question de point de vue

Marie-Hélène Larochelle, Daniil et Vanya, 2017, couvertureL’intrigue ? Emma et Gregory se sont rencontrés à Québec, puis ils ont déménagé à Toronto. Ce sont des «bobo-chics» (p. 101) qui font dans l’architecture et le design haut de gamme. La première grossesse d’Emma se termine par l’accouchement d’un enfant mort-né. Elle et Gregory adoptent alors deux enfants russes, qu’on leur présente comme des jumeaux. Le roman s’ouvre sur cette adoption. Rien ne se passera comme prévu, ni pour les parents, ni pour Daniil et Vanya, ni pour le chat Jules, ni pour les habitants du voisinage (enfants, vieille dame, amis).

Pour qui, comme l’Oreille tendue, a connu l’adoption internationale de l’intérieur, les premières pages de Daniil et Vanya, le roman de Marie-Hélène Larochelle (2017), sonnent particulièrement justes.

La romancière aurait pu aborder les relations des parents avec leurs enfants et des enfants entre eux, et l’évolution de ces relations, de toutes sortes de manières. Ses choix de narrateurs ne vont pas du tout de soi.

Le roman est divisé en deux parties. Dans la première, les enfants sont petits; Emma raconte. Dans la seconde, ils ont presque seize ans; Emma raconte toujours, mais les garçons prennent aussi la parole.

Emma, à qui il arrivera des malheurs — certains réels, d’autres de bien peu de poids —, est un personnage représenté de telle façon qu’il soit difficile au lecteur de s’identifier à elle. Elle se fâche facilement, elle regarde les autres de haut, elle est snob, elle est obsédée par les marques (iPhone et iPad, chaise Muskoka, magazine Dwell et Garden Design, sandales Salt Water, poussette Phil & Teds, thé Kusmi, manteaux Marc Jacobs ou Burberry, bureaux Peter Løvig Nielson, sac Vuitton). Elle lit des articles «sur les nouvelles techniques de parentalité» (p. 84), elle souhaite «développer le leadership» de ses fils (p. 116) et «le plein potentiel de leur curiosité» (p. 142), elle planifie leur fête «comme un événement corporatif» (p. 130), mais elle refuse de consulter des professionnels de la santé mentale (p. 124-125). Elle a beau être très troublée à l’occasion, cela ne l’empêche pas de détailler scrupuleusement comment elle se (dé)maquille (p. 104-105, p. 265). Ce mélange de drames (elle se mutile depuis l’adolescence) et de discours empruntés indistinctement à l’air du temps en fait une narratrice peu fiable, d’autant qu’elle et son mari, qui n’est pas épargné non plus, vont d’auto-aveuglements en incompréhensions.

Si l’autoportrait d’Emma tient à distance la compassion, que dire de la narration telle que la pratiquent les adolescents ? Le risque ici est formel : ils parlent d’une seule voix, au nous et au on. Cela donne lieu à des situations où l’identité elle-même, la leur comme celle de leurs interlocuteurs, est mise en question.

La vue de son corps nu nous donne une érection et on commence à se masturber pour la faire passer. Les mains derrière la nuque, Mathilde nous regarde nous agiter dans la lumière de la lanterne. Le bruit de notre respiration est amplifié par l’écho.
— Tu veux que je le fasse ? demande-t-elle.
On ne dit rien, on la regarde s’approcher (p. 210-211).

Quand il faudra distinguer la voix de chacun dans ce nous, ce sera le signe de profondes divergences à venir.

Daniil et Vanya est un roman sur l’adoption et sur ses effets sur tous ceux que cela concerne, certes, mais ni le je ni le nous qu’on y lit ne correspondent à ce que l’on attendrait d’une œuvre qui voudrait en appeler aux seuls sentiments de ses lecteurs. Cette savante construction oblige ceux-ci à prendre de la distance, à interroger leurs propres réactions, de même que celles des personnages, à ne s’apitoyer qu’avec prudence. Ce n’est pas rien.

 

Référence

Larochelle, Marie-Hélène, Daniil et Vanya. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littératures d’Amérique», 2017, 283 p.

His Bobness au Centre Bell

Billet pour le spectacle de Bob Dylan à Montréal le 30 juin 2017

À l’instigation de sources conjugales proches de l’Oreille tendue, celle-ci et celles-là ont assisté hier soir au spectacle montréalais du plus récent récipiendaire du prix Nobel de littérature, Bob Dylan.

L’Oreille ne connaît que superficiellement son œuvre, mais suffisamment assez pour savoir que, depuis plusieurs années, Dylan reprend ses classiques avec de nouveaux arrangements (ce qui précède est un euphémisme). Ainsi, il n’était pas facile, hier soir, de reconnaître «Don’t Think Twice, It’s All Right», «Blowin’ in the Wind», «Tangled Up In Blue» ou «Highway 61 Revisited» (qui portait parfaitement son titre).

La voix ? Selon Alain de Repentigny, dans la Presse+ du jour, «l’interprète […] chante faux». Il est difficile de le contredire pour certaines pièces, mais ce qui frappe est surtout la variété des voix de Dylan. À certains moments, ça ressemble à du Dylan, à d’autres à du Tom Waits, à d’autres à rien du tout. Une constante, cependant : les paroles sont toujours inaudibles.

Dylan a livré trois types de chansons au Centre Bell : des classiques à lui, des nouvelles pièces («Make You Feel My Love», «Pay In Blood»), des standards du Great American Songbook. Dans les deux premiers cas, il se tenait au piano; pour le troisième, en caricature de crooner, il allait au micro. De la même façon qu’il est ardu de reconnaître les chansons anciennes avec leurs nouveaux arrangements, les classiques du répertoire américain ont été profondément revampées (ce qui précède est un euphémisme). L’Oreille, au début du spectacle, aurait juré entendre quelque chose qui ressemblait à «Polka Dots and Moonbeams», que Dylan a interprétée sur Fallen Angels (2016); il semble qu’elle ait rêvé. (Il s’agissait, en fait, de «Why Try To Change Me Now», selon les comptes rendus de presse.)

Ce qu’il y avait de meilleur était la prestation musicale de l’orchestre qui entoure Dylan dans son Never Ending Tour. La section rythmique (basse, batterie) était particulièrement forte. Suivons Bernard Perusse, dans le quotidien The Gazette : «At several points, in fact, it sounded as if the ever-inscrutable Dylan and his brilliant backup musicians were the last American roadhouse band in the world, playing old-time rock n’ roll, lonesome country, nasty blues and smoky jazz as if it was their last gig.» (On trouve la liste des pièces jouées dans l’article de Perusse.)

Dylan sur scène ? Le spectacle commence presque à l’heure (au grand dam des nombreux retardataires), la vedette ne s’adresse jamais à la foule, ça se termine après une centaine de minutes. La fin du spectacle était parfaitement étrange : après environ 90 minutes, tous les musiciens quittent la salle sans un mot, les lumières de l’amphitéâtre restent éteintes, les spectateurs se demandent ce qui se passe, ils applaudissent sans trop d’entrain, dans l’expectative; finalement, Dylan et son orchestre reviennent pour deux pièces. Salutations. La soirée de travail est bouclée.

Les spectateurs, enfin ? Comme il fallait s’y attendre, beaucoup de têtes blanches, et quelques rares jeunes, traînés là par leurs (grands-)parents. (Signalements ici.) Était-ce l’âge (rétrécissement de la vessie, signes avant-coureurs de l’Alzheimer, etc.) ? Toujours est-il que ça bougeait constamment au Centre Bell. Les partisans des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, quand ils y assistent à un match, ont beaucoup moins besoin de se déplacer. Ils sont peut-être plus intéressés par ce qui leur est présenté.

P.-S.—Sur le site de Radio-Canada, Philippe Rezzonico racontait hier que l’organisation du Festival de jazz de Montréal (FIJM), qui accueillait le spectacle de Dylan, refusait de donner des billets aux journalistes. À bien y penser…

Lire autrement ?

Yan Hamel, le Cétacé et le corbeau, 2016, couverture

L’écrivain québécois Victor-Lévy Beaulieu est un homme d’admirations. Il a publié des livres sur Jack Kerouac, Victor Hugo, Herman Melville, Jacques Ferron, Yves Thériault, James Joyce, Friedrich Nietzsche, d’autres. Il n’en a cependant consacré aucun à Jean-Paul Sartre, pourtant présent sous sa plume occasionnellement. Et si, malgré tout, Sartre occupait une place importante dans la pensée de Beaulieu ? Yan Hamel y est allé voir, dans le Cétacé et le corbeau. De Jean-Paul Sartre à Victor-Lévy Beaulieu (2016).

Hamel, qui écrit avoir «pendant quelques années pratiqué la sociocritique des textes» (quatrième de couverture), aurait pu choisir d’analyser les œuvres des deux auteurs et leurs rapports en tant que critique universitaire. Ses livres précédents étaient de cette eau-là : la Bataille des mémoires. La Seconde Guerre mondiale et le roman français, en 2006 (que l’Oreille tendue a édité), et l’Amérique selon Sartre. Littérature, philosophie, politique, en 2013. Il n’en est rien. Il a opté pour la forme des «carnets-critiques» (parfois avec trait d’union, parfois sans). Le Cétacé et le corbeau, affirme la quatrième de couverture, serait son «premier essai littéraire». C’est dire que le je de l’auteur y est bien plus présent que dans ses autres publications. Voilà comment il a décidé de se défaire du «carcan universitaire» (p. 65), des «réflexes du critique universitaire» (p. 112).

En l’occurrence, Hamel tresse trois fils principaux dans son plus récent livre.

Le premier est interprétatif : Hamel démontre — et on finit par le suivre, malgré l’étonnement initial — que Sartre a bel et bien joué un rôle capital dans la pensée de Beaulieu, même s’il n’existe pas de Monsieur Sartre ou de Pour saluer Jean-Paul Sartre dans sa bibliographie. Le critique en fait la preuve et le principal intéressé le confirme dans une entrevue qui clôt l’ouvrage, «Autoportrait sartrien à presque 70 ans ou une Saint-Jean-Baptiste à Trois-Pistoles» : «Victor-Lévy Beaulieu ne pouvait pas se passer de Jean-Paul Sartre» (p. 309). Parti à la recherche d’un «livre manquant» (p. 78), d’un «livre non advenu» (p. 79), d’un «livre fantôme» (p. 122) — celui que Beaulieu n’a pas écrit —, Hamel en arrive à montrer comment la conception sartrienne de l’écrivain et de l’œuvre a structuré en profondeur le travail de Beaulieu.

Sans jamais confondre les deux auteurs, particulièrement en matière de nationalisme, la démonstration fait la part belle à deux œuvres réputées proches. De Beaulieu, Monsieur Melville (1978, 3 tomes) : son incipit a «littérairement donné naissance en tant que Québécois» (p. 193) à Hamel; or c’est «le livre le plus profondément sartrien de notre littérature qu’il [lui] ait été donné de lire» (p. 149). De Sartre, l’Idiot de la famille, qui porte sur Flaubert (1971-1972, 3 tomes, inachevé) : cet ensemble — «la plus importante et la moins lue des œuvres sartriennes — […] a été, pour Beaulieu, absolument déterminant» (p. 129); il l’a lu avec «grande attention» et «acuité d’intelligence» (p. 214). En une formule : «Par l’Idiot de la famille, Sartre est à Flaubert ce qu’Achab est à Moby Dick, ce que Beauchemin [le narrateur de Monsieur Melville] et Beaulieu, sans y croire tout à fait dans leur équivocité […], ambitionnent d’être à Melville» (p. 249).

Un deuxième fil est intime et il relève de l’auto-analyse. Le Cétacé et le corbeau est le récit d’un «deuil amoureux» (p. 311) doublé d’une autobiographie intellectuelle. Comme il y a des romans à clés, cet ouvrage est un essai à clés. (Pour qui connaît le milieu universitaire montréalais de la sociocritique — c’est le cas de l’Oreille —, ces clés sont transparentes.) Hamel décrit le milieu (social, familial) où il a grandi et dans lequel il s’est toujours senti étranger, là où l’on croise des «entrepreneurs en construction agressivement réactionnaires et […] leurs blondes à cheveux mauves» (p. 159). Pareilles pages sont très dures, particulièrement celles sur le père (p. 301-302). L’essayiste raconte ses études, toutes tendues vers les classiques de la littérature française, et son «mépris à l’endroit du Québec et des Québécois» (p. 311); la lecture de Beaulieu l’en a guéri. Surtout, il met en scène son divorce : lui, le professeur, et elle, l’étudiante au doctorat (mais pas son étudiante à lui), se marient, ne s’aiment plus, se quittent. Une autre femme est évoquée par la suite : où cela mènera-t-il ? Sur le plan de l’introspection, le ton est généralement sombre, mais Hamel sait faire preuve à l’occasion d’une autodérision bienvenue : une revue lui a, par exemple, refusé «élégamment» une nouvelle (p. 281), ici reproduite pour ce qu’elle laisse entendre de la langue populaire.

Le troisième fil est une critique de l’université. L’auteur en a contre les colloques (p. 29-33) : l’Oreille, qui a participé à plusieurs des mêmes que lui, ne va pas le contredire. Il explique pourquoi il a rédigé un livre savant, celui-ci, sans notes (p. 71-76) : la démonstration est joliment tournée, mais peu convaincante, dans la mesure où les textes cités le sont comme ils le seraient dans n’importe quel ouvrage scientifique, références précises en moins. Il martèle l’importance de travailler sur des grandes œuvres, et non sur la seule culture populaire (p. 221-224), au risque de caricaturer : on peut très bien étudier parfois les unes, parfois l’autre; il n’est pas nécessaire de les opposer aussi radicalement. Enfin, il déplore l’attitude de ceux qui, selon lui, ont failli à leur rôle de mentor (p. 31-33). On sent là une blessure vive, dont la dernière page du livre se fait encore l’écho. Se pose ici, comme dans les développements sur les attentats de janvier 2015 à Paris, la question du rôle de l’intellectuel dans la Cité.

Comment cela se présente-t-il ? En vingt chapitres, composés de textes datés, et de l’entrevue finale. Il ne s’agit pas pour autant d’un journal au sens strict.

J’analyserai les aspects des textes de Beaulieu et de Sartre que j’avais jugés pertinents, en m’intéressant à tous les points que j’avais voulu aborder, mais en y intégrant les réflexions personnelles qui me viendront au moment de l’écriture. Il s’agira de parvenir autant que possible à faire dialoguer les premiers avec les secondes. Je me permettrai toute liberté, aussi bien sur le plan de la forme que sur celui du style. Chaque séance d’écriture sera datée […]. Les fragments de dimensions variables qui auront été produits quotidiennement seront ensuite, quand une première version du texte aura été complétée, soumis à un travail de relecture et de réécriture. Il s’agira alors de préciser, d’approfondir, de renforcer l’expression, mais pas de changer le propos. Ce que j’offre à mon lecteur n’est donc pas un journal intime composé à chaud. Il ne faut pas chercher en ces pages ni un pur jaillissement d’émotions incontrôlées ni une froide étude universitaire (p. 23).

Des genres éloignés de la rhétorique universitaire sont utilisés : le dialogue fictif, le monologue intérieur, la nouvelle, le pastiche, le récit de rêves, la réécriture (d’un apologue de Kafka).

La liberté que se donne, de haute lutte, Yan Hamel dans le Cétacé et le corbeau, ce «petit livre bancal en démanche» (p. 352), mérite d’être saluée : il est toujours utile de se demander quelle est la place de la subjectivité dans la culture universitaire.

P.-S.—L’Oreille adopte ce magnifique adverbe, «amphithéâtralement» (p. 156).

P.-P.-S.—Non, Andrea Del Lungo n’est pas une femme (p. 181) et il aurait mieux valu ne pas confondre, au moins trois fois en dix pages, «quoique» et «quoi que» (p. 296, p. 300, p. 306).

 

Références

Hamel, Yan, la Bataille des mémoires. La Seconde Guerre mondiale et le roman français, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Socius», 2006, 406 p.

Hamel, Yan, l’Amérique selon Sartre. Littérature, philosophie, politique, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2013, 267 p.

Hamel, Yan, le Cétacé et le corbeau. De Jean-Paul Sartre à Victor-Lévy Beaulieu, Montréal, Nota bene, coll. «Essais critiques», 2016, 363 p.