La clinique des phrases (kkk)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Prenons, au hasard, le compte Twitter d’un grand diffuseur radiophonique national. Retenons dix tweets.

Pourrez-vous repérer ce qui cloche dans chacun d’entre eux ? (Réponse demain dans les commentaires.)

«L’association négaWatt travaille a élaboré un scénario de transition énergétique pour la France.»

«Femme de tête et de cœur, le public n’a jamais cessé de l’aimer.»

«Chefs militaires, hommes d’État, mais aussi écrivains, ces deux grandes figures du XXe siècle ont laissé derrière elles des mémoires de guerre éclairantes.»

«La question est posée mais même si digitalisation pousse vers les nouveaux moyens de paiement […].»

«La jeune norvégienne a complètement transformé sa pratique, autrefois mondaine et en jupe longue, pour en faire une véritable discipline artistique !»

«Il a mis sur les rails la bande-dessinée française.»

«Le 1er février, l’Abbé Pierre lance un appel vibrant sur les ondes de Radio-Luxembourg […].»

«Édouard Philippe, couteau Suisse de la Macronie ?»

«Dans “Bouvelards de la mort”, le dialogue y est étiré jusqu’à ce que la brutalité et l’incongruité d’une action puisse soudain exploser à la face du spectateur.»

«Longtemps relégué au second plan, voire même diabolisé, il faudra attendre 2017 pour qu’un manuel scolaire propose un schéma scientifiquement exact du clitoris.»

La clinique des phrases (jjj)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Vous ouvrez un roman québécois récent et l’envie vous prend de poser quelques questions à vos fidèles bénéficiaires. Allons-y.

P. 36 : «cheveux bruns cirés, rasé de près, chemise aux manches roulées, cravate savamment dénouée, montre dispendieuse». P. 144 : «tout en mangeant des hot-dogs criminellement peu dispendieux». P. 229 : «puis esquisse une petite danse de la victoire qui fait tinter sa breloque dispendieuse avant de retourner à sa place».

Dans ces trois phrases, quel québécisme aurait-il peut-être mieux valu ne pas utiliser ?

P. 39 : «Confronté à sa soif de sens, Internet ne parvient pas à le satisfaire.»

Comment «Internet», mis en apposition, pourrait-il être «confronté» à la «soif de sens» du personnage principal du roman («le satisfaire») ?

P. 50 : «Cependant, Claude est à des lieux de ces préoccupations de rendement humain […].»

Ces «lieux» sont-ils bien des «lieux» ?

P. 54 : «Dans un coin du paquet, à peine entamée, la petite butte de wasabi brunit doucement, en voie devenir pierre tout à fait.»

Quel est le mot manquant dans cette phrase ?

P. 58 : «Aude, j’ai quelque chose à te demander, demande Claude […].»

Cette répétition est-elle bien nécessaire ?

P. 166 : «l’appel que Claude a logé à La Presse canadienne demeure sans réponse».

Peut-on vraiment loger un appel ?

P. 191 : «La politesse canadienne intime l’étranger à ne pas rudoyer son interlocuteur en consultant l’objet qu’il lui tend.»

N’attendrait-on pas «intime à l’étranger de ne pas» ?

P. 193 : «un compte-rendu sportif». P. 266 : «des comptes-rendus sportifs»; «mon compte-rendu».

Pourquoi diantre ces traits d’union ?

P. 203 : «il avait dosé l’information et alludé les liens».

«Alludé» comme, en anglais, to allude ?

P. 216 : «payeur de taxe diligent».

S’agirait-il d’un contribuable ? Par ailleurs, est-il «payeur» d’une seule «taxe» ?

P. 226 : «L’inquisition du criminel le désarçonne. À moins que ce soit son étrangle franglais bilingue.»

Certaines personnes, dont l’Oreille tendue, s’interrogent sur l’existence même de cette chose qui s’appellerait le franglais. En revanche, tout le monde semble s’entendre sur le fait qu’il s’agirait d’un mélange d’anglais et de français. Comment, dès lors, le «franglais» pourrait-il ne pas être «bilingue» ?

P. 263 : «lui répond l’homme dans un français impeccable, mais qu’une oreille exercée y dénoterait pourtant une ombre anglophone».

L’Oreille, toute bienveillante qu’elle souhaite être, ne comprend guère la syntaxe de cette phrase. Remettons-la d’aplomb : «mais où / dans lequel une oreille exercée dénoterait pourtant».

À votre service.

P.-S.—L’incohérence pronominale de la p. 167 serait trop longue à expliquer. Passons notre chemin.

La clinique des phrases (iii)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante :

Depuis Jean-Jacques Rousseau au moins, et à travers tant de penseurs de l’éducation à la petite enfance comme Froëbel, Pestalozzi, Montessori et jusqu’à Piaget et au-delà, une certaine conception de l’enfance, légitime, et pour laquelle on peut avancer de bons arguments, demande qu’on laisse la nature suivre son cours, qu’on ne précipite pas les choses, qu’on laisse le temps faire son œuvre bénéfique. Rousseau écrira : «Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre.»

D’une part, Jean-Jacques Rousseau est mort en 1778; il n’«écrira» plus jamais rien. D’autre part, qui sait ce qu’il écrirait s’il revenait à la vie.

Donc :

Rousseau a écrit : «Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre.»

À votre service.

La clinique des phrases (hhh)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Soit la phrase (emberlificotée) suivante :

Je suis, de plus près que jamais depuis que Charb, que je connaissais et aimais, a, avec d’autres, été tué pour avoir fait des caricatures, la progression de l’islamisme en France.

Remettons-la sur ses pattes :

Je suis la progression de l’islamisme en France de plus près que jamais depuis que Charb, que je connaissais et aimais, a, avec d’autres, été tué pour avoir fait des caricatures.

À votre service.

La clinique des phrases (ggg)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Il arrive à l’Oreille tendue d’avouer son plaisir solitaire : rappeler que départir se conjugue, en théorie, comme partir. Quand on lui dit qu’elle «se départit» parfois inutilement de son calme, elle répond que ce n’est pas du tout vrai : elle «se départ» de son calme.

Hier, sans le perdre, elle est tombée sur cette phrase, correcte à l’oral, mais pas à l’écrit :

Autrement dit, malgré une ouverture qui se concrétisera dans son anthologie de 1978, LeBlanc ne se dépare pas d’une certaine perplexité.

Rectifions :

Autrement dit, malgré une ouverture qui se concrétisera dans son anthologie de 1978, LeBlanc ne se départ pas d’une certaine perplexité.

À votre service.