Tiguidou n’est point ketchup

Fromage Tiguidou !

 

C’est dimanche et vous tombez sur ceci dans Twitter :

«vient grâce au @Vinvinteur et à @SolangeTeParle d’apprendre un joli nouveau mot québécois : c’est tiguidou ! http://fr.wiktionary.org/wiki/%C3%AAtre_tiguidou :-)» (@cgenin).

Vous voyez passer la réponse suivante :

«@cgenin difficile de vivre sans :)» (@reneaudet).

Vous sentant d’humeur légère, vous ajoutez votre grain de sel :

«@cgenin @Vinvinteur @SolangeTeParle @reneaudet “Tiguidou” = “ketchup”. Ex. : si une “affaire” est “tiguidou”, elle peut aussi être “ketchup”» (@benoitmelancon).

Patatras ! Vous venez de lancer un débat sémantique.

On vous interroge :

«@benoitmelancon “ketchup” : n’y a-t-il pas l’idée que l’affaire est conclue, alors que “tiguidou” est plutôt une approbation ?» (@reneaudet).

Vous précisez votre «pensée» (le mot est un peu fort) :

«@reneaudet D’accord pour l’idée de conclusion liée à “ketchup”, mais, dans les deux cas, il y a satisfaction que la chose soit (bien) faite» (@benoitmelancon).

On précise la sienne :

«@benoitmelancon alors il y a un spectre, de la satisfaction à l’accomplissement : tiguidou — l’affaire est ketchup — les carottes sont cuites» (@reneaudet).

Vous étiez deux, et voilà que vous êtes trois :

«@benoitmelancon @reneaudet ketchup ne se voit guère que dans la locution “l’affaire est ketchup”, non ? tiguidou est plus versatile» (@david_turgeon).

Récapitulons.

Ketchup et tiguidou s’entendent dans la langue familière au Québec.

Le premier n’est attesté, dans le sens qui nous occupe, que dans l’expression l’affaire est ketchup (bien vu, @david_turgeon). Il accompagne la conclusion heureuse d’une activité.

Exemple. L’Oreille tendue, remettant électroniquement à son éditeur les épreuves corrigées d’un de ses livres, concluait son courriel par cette formule, car elle considérait que tout était au point. L’emploi de ladite formule marqua durablement l’éditeur.

Le second a des utilisations plus variées (juste, @reneaudet).

Wiktionary donne quatre synonymes : «Bien aller, être parfait, être réglé, être d’accord.» Le Petit Robert ne dit pas autre chose : «Très bien, parfait» (édition numérique de 2010). En ce sens, tout peut être tiguidou, pas seulement l’affaire.

Exemples. «C’est tiguidou.» (Équivalent, selon Léandre Bergeron, en 1980 : «Tout est bien correct» [p. 486]).

Pour certains, tiguidou est une forme de salutation; il clôt un échange sur une note positive.

À propos de son étymologie, on se déchire : «De l’anglais jig (“gigue”), et do (“faire”)», affirme Wiktionary; de l’anglais «tickety-boo» ou de l’hindi «Tickee babu», ose le WordReference; Herb McLeod croit aussi à une origine anglaise, mais son choix va à «tic-a-de-do». Le Petit Robert est prudent sur ce plan («origine inconnue»), mais malheureusement pas en matière de datation (le mot est apparu bien avant 1976).

L’affaire est-elle maintenant ketchup, @cgenin ? On se la souhaite tiguidou.

P.-S. — Léandre Bergeron, avec cette imagination qui n’est (heureusement) qu’à lui, atteste l’expression «Tiguidou right trou s’a bine», dont le sens serait «Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes» (1980, p. 486). Voilà qui aurait bien désarçonné Voltaire.

P.-P.-S. — Un des cheddars de la Fromagerie La Chaudière s’appelle le Tiguidou.

 

[Complément du 15 juillet 2013]

On voit aussi diguidou.

 

[Complément du 5 août 2014]

Après le fromage, les confitures, mais sans u. (Merci à @remolino pour le lien.)

La confiturerie Tiguidou

 

[Complément du 4 juin 2015]

Les universitaires, on l’a vu, n’hésitent pas à utiliser le terme. Nouvel exemple, chez Jonathan Livernois, dans la revue Liberté en 2015 : «Le passage de la tradition à la modernité en a taraudé plus d’un — à commencer par Fernand Dumont —, mais nous sommes devenus des experts dans l’air [dans l’art ?] de faire semblant que c’est tiguidou» (p. 38).

 

[Complément du 14 février 2016]

Sur Twitter, @revi_redac, signale l’existence d’une autre origine, fournie par le logiciel Antidote :

L’étymologie de tiguidou selon le logiciel Antidote

Dans le dictionnaire en ligne Usito, on a recueilli ce mot «familier» («Parfait, très bien») et une définition pour l’illustrer (chez Jacques Ferron en 1969). Son étymologie ? De «ziguidou [dans le Trésor de la langue française au Québec]; formation onomatopéique».

Le mystère s’épaissit.

 

[Complément du 26 mai 2016]

L’affaire peut être ketchup. Elle peut aussi être chocolat, ainsi que l’atteste ce titre tiré de la Presse+ du jour.

«L’affaire est chocolat», la Presse+, 26 mai 2016

[Complément du 11 octobre 2016]

Pour vendre du vin (espagnol) aux Québécois, pourquoi ne pas utiliser un mot qu’ils affectionnent ? (Publicité tirée de la Presse+ du 8 octobre 2016.)

Publicité pour un vin espagnol, la Presse+, 8 octobre 2016

 

 

[Complément du 27 décembre 2017]

Le quotidien numérique montréalais la Presse+ a un quiz linguistique dans sa livraison du jour, «Des expressions colorées». Ci-dessous, la réponse à la huitième question. (On notera que l’Oreille tendue a eu la bonne réponse, et du premier coup.)

«Des expressions colorées», quiz, la Presse+, 27 décembre 2017

 

[Complément du 17 avril 2024]

Publicité vue dans le métro de Montréal pour de la mayonnaise : «Pour les fans du Bleu Blanc Rouge, / L’affaire est mayo.» Elle est incompréhensible pour qui ne connaît pas l’expression «L’affaire est ketchup».

P.-S.—«Bleu Blanc Rouge» ? Les Canadiens de Montréal (c’est du hockey).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Livernois, Jonathan, «Une mythologie québécoise», Liberté, 308, été 2015, p. 35-38. https://id.erudit.org/iderudit/77944ac

Citation culinaire et sibylline du jour

Joseph Chung et Pierre Fortin sont professeurs d’économie à l’Université du Québec à Montréal. Dans le Devoir du 23 novembre, ils signent un texte d’opinion : «Intégration des immigrants. La francisation seule ne suffit pas» (p. A9).

Cela se termine ainsi : «La seule politique d’intégration qui va québéciser véritablement l’immigrant à long terme, c’est celle qui va susciter chez lui l’amour du Québec. L’argent aide, mais c’est l’amour qui est déterminant. Kimchi si tu veux, mais kimchi du Québec.»

Kimchi ? Selon Wikipédia, il s’agirait d’un plat coréen. Or il n’a été question ni de la Corée ni de sa cuisine dans le texte. Pourquoi alors ce mot ?

Si peu de jours, tant de questions.

Une langue flexible

Vous n’êtes pas de stricte obédience végétarienne ? Vous seriez donc flexitarien, rappelle le patron d’une chaîne québécoise de restaurants (jusque-là) sans viande. (Synonyme de bon sens proposé par @iericksen : «omnivore».)

Le mot n’est pas nouveau, explique le journal belge le Soir. On le trouve en anglais dès la fin des années 1990. (Merci à @catheoret pour le lien.)

La journaliste du Soir propose divers néologismes sur le modèle de flexitarien : flexitalisme («un capitalisme modéré où, une fois par semaine, on partagerait les richesses»), flexisocialisme («de temps à autre, […] voter à droite»), flexisme («Un jour sur deux, les femmes gagneraient autant que les hommes»).

Ajoutons flexigame à la liste : «“mais non, chérie, je ne suis pas infidèle, je suis flexigame.” #nuance» (@david_turgeon).

Voilà un préfixe d’une «flexibilité extrême» (le Devoir, 10 février 2005, p. A1).

P.-S. — Un flexitarien peut-il manger de la «viande religieuse» ? Ça se discute. (Merci à @PimpetteDunoyer pour le lien.)

Ricardo au Dollarama

Nicolas Dickner, le Romancier portatif, 2011, couverture

À compter du 26 avril, Ricardo, l’homme privé de patronyme, animera, à la télévision de Radio-Canada, une nouvelle émission, le Fermier urbain. Le voilà donc «gentleman-farmer urbain» (la Presse, 18 avril 2012, cahier Arts, p. 3).

Urbain ?

Lisons Nicolas Dickner : «Pourtant, le concept même de “valeur” est volatil. Prenez le mot “urbain”, un terme bien coté depuis trois ou quatre ans. D’abord avant-gardiste, il est vite devenu commun, avant de tomber dans l’utilisation à outrance, puis dans l’impropriété excessive. En ce moment, il se trouve quelque part dans le Dollarama du langage, à côté des napperons en bambou et des potiches pseudo-asiatiques» (éd. de 2011, p. 82).

Le décor de l’émission est déjà tout trouvé.

 

Référence

Nicolas Dickner, «Vaut mieux rester calme», Voir, 19 mars 2008, repris dans le Romancier portatif. 52 chroniques à emporter, Québec, Alto, 2011, p. 81-84, p. 82.

Chronique gastronomique estivale

La Presse de samedi leur consacrait un reportage sur deux pages (2 juillet 2011, cahier Affaires, p. 2-3).

Ils s’appellent Chez Ben on s’bourre la bédaine (Granby), Henri la patate (Joliette) ou Chez Roger (Farnham). Quiconque voudrait y consacrer plus de temps qu’elle ne le souhaite elle-même pourrait trouver dans les branches basses de l’arbre généalogique de l’Oreille tendue un parent éloigné surnommé Mononc’ la patate.

Il s’agit d’une forme de restauration populaire au Québec (il y aurait des milliers de pareils restaurants, mais personne n’a jamais fait leur décompte). Ses caractéristiques ? Ces établissements — cantines, casse-croûte ou roulottes à patates — sont ouverts surtout l’été, ils sont situés hors des grands centres, le plus près possible (littéralement) d’un axe routier, ils ont souvent une dimension artisanale, leur budget de décoration est inexistant. Leur menu est résolument non santé : frites — graisseuses, dans le meilleur des cas —, poutines, hamburgers et hot-dogs, pogos, guedilles (ou guédilles). Les plus élaborés jouxtent un bar laitier — également nommée crèmerie —, histoire de rafraîchir (crème glacée oblige, molle ou dure) leur clientèle. C’est une forme de restauration rapide; elle n’a pourtant rien à voir avec les grandes chaînes, de McDonald à Quick, leurs menus standardisés et leur propreté calibrée. Les Américains parlent de «greasy spoon», mais cela ne rend pas la dimension saisonnière de ce type de cuisine de route (comme on dit cuisine de rue).

Pour appâter ses lecteurs, la Presse parle d’«incontournables de la gastronomie québécoise» (p. 1). C’est probablement vrai, encore que ce genre de péché, évidemment véniel, gagne à rester secret.

 

Référence

Théoret, Charles-Alexandre, Maudite poutine ! L’histoire approximative d’un plat populaire, Montréal, Héliotrope, 2007, 160 p. Photos de Patrice Lamoureux.