Perplexité culinaire, bis

Soit la mention «Saveur simulée» sur les deux sacs ci-dessous.

Emballages de croustilles Lays, 2011

Le consommateur doit-il penser qu’il existe une telle chose qu’une saveur naturelle de chips au ketchup ou de chips aux cornichons à l’aneth ?

On serait étonné à moins.

P.-S. — La première «perplexité culinaire» de l’Oreille tendue date du 5 novembre 2009. Elle n’est pas moins troublante que celle-ci.

L’eau à la bouche

Les critiques gastronomiques sont des poètes. Quand ils se doublent d’experts en décoration, on en redemande.

Exemple tiré de la Presse du 26 février, cahier Gourmand, p. 4, s’agissant d’un restaurant montréalais, le Lawrence.

La Presse avait déjà parlé de la «déco rétro-saxonne» de l’endroit (9 décembre 2010, cahier Affaires, p. 10). Maintenant, sous le titre «Au-delà du néo-rustique», on précise : les tenanciers du Lawrence viennent du Sparrow, dont ils ont conservé «l’ambiance vaguement rétro», «mais le style néo-britannique façon gastro-pub de la déco n’y est plus». Plus avant dans la description, on découvre que l’ambiance est désormais «romantique sur fond post-industriel»; bref, un «style pub moderne». Voilà qui rassure.

Qui fréquente ce gastro-pub «d’inspiration britannique réinterprété façon Mile End» ? «Clientèle de hipsters du quartier, de “foodies” en goguette et d’amateurs de vin nouvelle génération.» C’est sûrement très bien.

Les plaisirs de la bouche ? Au Lawrence, il y a «une bonne carte de vins nature». La tarte aux cèpes «plaira aux amateurs»; c’est la moindre des choses. La côte de porc provient «d’un cochon heureux»; c’est peut-être ce qui explique que sa cuisson soit «seyante». La cuisine devrait plaire à tous : «Là encore, un plat solide, mais équilibré qui conserve une certaine élégance malgré sa consistance.» Que demander de plus ?

En un mot : «Le Lawrence se veut un resto de quartier sans prétention. Et c’est ce genre de plats qui fait tout son charme.»

L’Oreille tendue ne voit rien à ajouter à ce bijou en prose.

Ambiance de traviole ?

On a déjà eu l’occasion de constater, à l’Oreille tendue, que la critique vinigastronomique a son propre idiome.

Tel bar à vin accueille «des professionnels et autres adultes urbains».

Un établissement québecquois serait «un restaurant résolument urbain»; un autre, une «cabane urbaine».

Avenue Laurier Ouest, à Montréal, vous pouvez fréquenter une (une ?) «barmacie».

«La déco rétro-saxonne» de tel troquet serait à signaler.

Du nouveau dans la Presse du 29 janvier. Qu’y reproche-t-on au Ridi de la rue Sherbrooke Ouest ? Son «Ambiance bancale, degré “0”» (cahier Gourmand, p. 6).

Cela se remet-il d’aplomb ? On l’espère.

Par ici la bonne soupe

On se souviendra que des Américains, il y a quelques années, avaient souhaité modifier, pour des raisons supposées de politique internationale, le nom de leurs frites : plus de French fries, place aux Freedom fries. On se méfiait de ce qui était French.

Existerait-il la même chose chez les francophones ? Comment expliquer la traduction suivante ?

Boîte de soupe à l'oignon

Faut-il voir là un simple refus du mot French ? Y a-t-il plutôt un lien à établir entre French et gratiné(e) ? L’on sait que, selon le Petit Robert (édition numérique de 2010), ce mot a deux sens en français : «Cuit au gratin»; «Extraordinaire, dans l’outrance ou le ridicule.»

L’Oreille est perplexe.

S’émouvoir avec son chimiste

L’Oreille tendue n’ignorait pas l’existence de la cuisine moléculaire. Elle découvre, grâce à un article du magazine The New Yorker daté du 3 janvier 2011, qu’un des emblèmes de ce mouvement, Ferran Adrià, le chef du elBulli, préfère parler de gastronomie «techno-emotional» («tecnoémocion», dans le texte).

Un oxymore, pour marier neurones et papilles : il suffisait d’y penser.

 

Référence

Gopnik, Adam, «Notes of a Gastronome. Sweet Revolution. The Power of the Pastry Chef», The New Yorker, 3 janvier 2011.