Douceur de la dureté

Alexie Morin, Ouvrir son cœur, éd. de 2020, couverture

Soit le texte suivant, tiré d’Ouvrir son cœur, d’Alexie Morin :

L’usine comprenait son propre service de la construction. Y travaillaient menuisiers, charpentiers, peintres et hommes à tout faire qui gagnaient le mirobolant salaire des gars de la Domtar en plus de travailler de jour seulement, du lundi au vendredi. Qu’on se le dise : le temps qu’ils passaient à se changer ou à prendre leur douche était payé. Ils mettaient le pied dans l’usine à huit heures et en sortaient comme un seul homme à quatre heures tapantes — certains plus tôt encore. Gras dur (éd. de 2020, p. 271).

À quoi ce «Gras dur», auquel l’italique confère le statut de citation, renvoie-t-il ?

En 2004, l’Oreille tendue en coproposait la définition suivante dans le Dictionnaire québécois instantané :

État du repu, soit parce qu’il a profité du bar ouvert, soit parce qu’il a échappé à la plus récente rationalisation, soit parce qu’il s’est empiffré au buffet à volonté. Plus généralement, condition du satisfait, du content de lui-même. Robert est fonctionnaire; il est gras dur (p. 111).

Le gras dur profiterait, de façon presque obscène, des douceurs de la vie. On n’hésitera pas à le lui reprocher.

P.-S.—Un autre exemple de «gras dur» en littérature québécoise ? Par ici.

P.-P.-S.—Remarque grammaticale : Robert peut être gras dur; il peut aussi être un gras dur.

 

Références

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Morin, Alexie, Ouvrir son cœur. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 29, 2020, 343 p. Édition originale : 2018.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, éd. de 2019, couverture

Synonyme du jour

Sound Icon / Icône du son

Soit la phrase suivante, tirée d’un quotidien montréalais : «Plusieurs restaurateurs sont sortis publiquement ces derniers temps pour lancer, justement, quelques idées simples et salvatrices sur la place publique. Et elles sont bonnes.»

On savait déjà qu’au Québec s’asseoir veut dire parler ou s’exprimer.

Sortir publiquement, c’est la même chose.

Bonsoir, elle est partie !

Terrain de baseball

Au baseball, quand un frappeur envoie la balle à l’extérieur du terrain, mais à l’intérieur des lignes, cela s’appelle frapper un (coup de) circuit. On peut aussi dire que ce frappeur l’a sortie du stade, encore que le mot stade puisse avoir deux sens ici : la balle ainsi frappée sort des limites du terrain, certes, mais pas nécessairement de l’édifice qui abrite ce terrain. Passons.

L’expression la sortir du stade a (récemment ?) quitté les losanges pour passer dans la langue courante.

Dans la Presse+ du jour, on peut ainsi lire ceci : «Au baseball, disait Yogi Berra, ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini. C’est vrai. Stephen Bronfman a encore une chance de la sortir du stade. Il est capable. Il en a les moyens. Encore faut-il qu’il se présente au bâton de nouveau.» Dans ce cas, on ne s’attend pas à ce que Stephen Bronfman frappe bel et bien un circuit dans un uniforme de joueur, mais on laisse entendre qu’il peut réussir avec panache — qu’il la sorte du stade — le projet qu’il a entrepris de ramener une équipe de baseball professionnel à Montréal.

À la radio de Radio-Canada, à l’émission La soirée est encore jeune, on entend souvent l’expression dans la bouche de Jean-Sébastien Girard, généralement pour applaudir aux chroniques d’Olivier Niquet. Or Girard — attention : euphémisme massif devant — n’a jamais fait preuve d’une solide culture sportive. En utilisant l’expression, il montre qu’elle est devenue commune et il contribue à sa diffusion. Les amateurs de balle lui en sauront gré.

P.-S.—Oui, le titre de ce billet est une allusion à l’œuvre de Rodger Brulotte.

P.-P.-S.—Oui, on peut frapper un coup de circuit au champ gauche.

Une solution au bout des doigts

Extension «The Digital Switch», pour fureteur Chome, exemple

L’Oreille tendue ne recule pas toujours devant les batailles perdues d’avance (voyez un exemple ici).

Parmi ces batailles, il y a l’utilisation, parfaitement inutile, de digital à la place de numérique.

Un programmeur a pensé à elle. Il a conçu, pour le fureteur Chrome, une extension, «The Digital Switch», qui permet de remplacer digital par numérique, et vice versa, sur n’importe quelle page.

Merci, en quelque sorte.

(Et merci à René Audet.)