Déficits à craindre

Requiem pour un beau sans-cœur, film de Robert Morin, 1992, affiche

Sans-cœur : avec ou sans trait d’union, substantif ou qualificatif.

Qui est sans-cœur peut manquer de compassion : «“Ça prend une méchante gang de sans cœur pour être capables de punir des gens, de faire mal à des gens comme ça qui autrement auraient le droit d’avoir accès au dentiste”, a dénoncé M. Boulerice en point de presse mercredi» (la Presse+, 9 octobre 2024).

On peut aussi manquer de volonté : «je suis trop sans-cœur» (Tiroir no 24, p. 120).

Ne soyez ni l’un ni l’autre.

P.-S.—Vous avez l’œil. Nous avons en effet déjà croisé un sans-cœur chez Gérald Godin (ici).

P.-P.-S.—On trouve d’autres exemples dans Usito.

 

Référence

Delisle, Michael, Tiroir no 24, Montréal, Boréal, 2010, 126 p.

Et si…

Chloë Rolland, C’est ton carnage, Simone, 2024, couverture

Soit les phrases suivantes, tirées du début du roman C’est ton carnage, Simone (2024) :

Je pense que je suis terrorisée, mon amour. D’un coup c’est moi. D’un coup je suis damnée. D’un coup la violence me suit comme un mauvais karma, pour me punir (p. 9-10).

Qu’est-ce que ce d’un coup en anaphore ? On pourrait remplacer cette tournure du français populaire québécois par et si, suivi de l’imparfait.

Je pense que je suis terrorisée, mon amour. Et si c’était moi. Et si j’étais damnée. Et si la violence me suivait comme un mauvais karma, pour me punir

À votre service.

P.-S.—On pourra aussi tomber sur d’un coup que.

 

Référence

Rolland, Chloë, C’est ton carnage, Simone. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 181 p.

Se le protéger

Université de Montréal, site COCO, logo, 2024

Soit la phrase suivante, tirée du roman l’Angle mort (2002) :

Je vieillis, mon rétroviseur me le répète encore. Salaud de rétroviseur. Yeux délavés. Cheveux filasse. S’effilochent, dégarnissent le coco. De plus en plus difficile à masquer, le coco. Problème d’alopécie. Me fait une belle jambe de connaître le mot (p. 32).

Ce personnage cale. Son coco — sa tête, dans le français populaire du Québec — se dépouille.

Selon le Petit Robert (édition numérique de 2018), coco est aussi un «terme d’affection» : «Mon petit coco.»

C’est à ce double emploi qu’ont pensé les concepteurs d’un site web qui «propose une trousse à outils aux parents, éducateurs et enseignants pour détecter et prendre en charge les commotions cérébrales chez les enfants de six ans et moins».

Pour les cocos qui se cognent le coco, il y a dorénavant COCO (Communication • Commotion).

Joli.

 

[Complément du jour]

Comme le fait remarquer, dans les commentaires ci-dessous, une lectrice plus attentive que l’Oreille tendue, l’image retenue par COCO évoque aussi un œuf : un coco, donc.

 

Référence

Chassay, Jean-François, l’Angle mort. Roman, Montréal, Boréal, 2002, 326 p.

Capitulation

Sébastien Dulude, Amiante, 2024, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du roman Amiante de Sébastien Dulude (2024) :

Certains midis [Provost] me harcelait pour de la monnaie, d’autres, il me volait ce que je tenais — mon sac de vêtements d’éducation physique, une boîte de bonbons Nerds, un jus, un cahier—, d’autres encore il me flanquait des bines sur l’épaule ou me faisait une prise de lutte — clé de bras, prise du sommeil, dis pardon mon oncle avec son haleine de dents pas brossées (p. 38-39).

Nous connaissons déjà la bine et le mononcle.

Qu’en est-il du «pardon mon oncle» ? C’est l’aveu, dans le français populaire du Québec, de la capitulation totale. Qui le profère avoue sa défaite.

À votre service.

P.-S.—Dans sa jeunesse — ce qui ne rajeunit personne —, l’Oreille tendue se souvient d’avoir entendu «Dis chute mononc’».

 

[Complément du 3 octobre 2024]

Notons-le : «Dis chute» peut suffire.

 

[Complément du 6 octobre 2024]

Un fidèle lecteur vivant au sud de la frontière rappelle à l’Oreille tendue l’existence, en anglais, de l’expression Say Uncle. Merci à lui.

 

Référence

Dulude, Sébastien, Amiante, Saguenay, La Peuplade, 2024, 209 p. Ill.

Non, on ne le peut pas

Lave-vaisselle, photo de François Roy, la Presse+, 28 septembre 2024, détail

Deux chroniqueurs de la Presse+ débattent de l’art de remplir le lave-vaisselle. (C’est lui qui a raison, pas elle.)

À un moment de leur échange apparaît une question : «Peux-tu croire ?»

Dans le français du Québec, cette question est purement rhétorique. Qui la pose n’attend pas de réponse, mais seulement un acquiescement. Elle marque l’étonnement, l’incompréhension, voire la stupéfaction. «Comment diantre quelqu’un peut-il affirmer / faire une chose pareille ?»

Variation théâtrale, à la deuxième personne du pluriel : «Pouvez-vous croire ?» (Pétrole, p. 51)

À votre service.

 

Référence

Archambault, François, Pétrole, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 24, 2020, 187 p. Ill. Suivi de «Contrepoint. Des décennies perdues» par Alexandre Shields.