Explication de texte du mardi matin

Jean-Philippe Baril Guérard, Royal, 2018, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de Royal, de Jean-Philippe Baril Guérard (2016) :

Mon mec est en train de me domper. Ce savant mélange de québécois et de français que seule une Stanislasienne utiliserait (éd. de 2018, p. 153).

La phrase n’est peut-être pas compréhensible pour tous les lecteurs de l’Oreille tendue. Essayons d’y voir plus clair.

La Stanilasienne est une (ex)élève du Collège Stanislas de Montréal. Cet établissement offre «l’enseignement de programmes et l’emploi de méthodes pédagogiques conformes aux directives du ministère français de l’Éducation nationale, en les adaptant au contexte québécois et aux préalables nécessaires à l’admission dans les universités québécoises» (dixit «Stan» lui-même). On pourrait notamment y acquérir un «accent faussement français» (p. 29).

Le «québécois» serait une langue différente du «français». Ce n’est évidemment pas vrai : au Québec, on parle français, pas québécois.

Le «savant mélange» ferait se rencontrer du français réputé hexagonal («mec» : compagnon, conjoint) et un anglicisme du cru («domper», to dump : jeter, se débarrasser de, laisser tomber, abandonner).

Bref, c’est le récit, banal encore que montréalais, d’une rupture amoureuse en cours.

 

Référence

Baril Guérard, Jean-Philippe, Royal. Roman, Montréal, Éditions de Ta Mère, 2018, 287 p. Édition originale : 2016.

Accouplements 120

Collectif Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, 2013, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Hunt, Lynn, «The Art of History. How Writing Leads to Thinking», Perspectives on History. The Newsmagazine of the American Historical Association, 1er février 2010.

«Most problems in writing come from the anxiety caused by the unconscious realization that what you write is you and has to be held out for others to see. You are naked and shivering out on that limb that seems likely to break off and bring you tumbling down into the ignominy of being accused of inadequate research, muddy unoriginal analysis, and clumsy writing. So you hide yourself behind jargon, opacity, circuitousness, the passive voice, and a seeming reluctance to get to the point. It is so much safer there in the foliage that blocks the reader’s comprehension, but in the end so unsatisfying. No one cares because they cannot figure out what you mean to say.»

Van Campenhoudt, Luc, «La communication orale. Partie intégrante du processus scientifique», dans Moritz Hunsmann et Sébastien Kapp (édit.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. «Cas de figure», 29, 2013, p. 217-228.

«La clarté et la cohérence rendent évidemment vulnérable à la critique car elles permettent aux interlocuteurs de saisir la signification des propos» (p. 225).

Lecture recommandée du jour

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Il y a quelques années, l’Oreille tendue a découvert l’enseignement de l’éveil aux langues; elle en a parlé ici et , et dans un livre de 2015, mais de façon bien (trop) générale. Cela restait de l’ordre du vœu pieux : expliquer aux jeunes élèves la nature des langues et des échanges linguistiques, pas seulement les règles d’une langue.

Wim Remysen, qui enseigne la linguistique à l’Université de Sherbrooke, vient de publier un texte où il va bien au-delà de pareils vœux pieux. Après avoir distingué «insécurité» et «sécurité» linguistiques, il y propose huit «pistes» (p. 47) pour «diminuer l’insécurité» à l’école (p. 46) et pour «faire voir la langue sous un autre angle» (p. 27) :

valoriser le bagage linguistique de l’élève;

intégrer la notion de valorisation linguistique;

éviter de promouvoir une conception désincarnée de la langue standard;

redéfinir la notion de faute;

découvrir les règles et les structures de la langue;

utiliser le dictionnaire à sa juste valeur;

intégrer des éléments de l’histoire de la langue;

s’intéresser à des formes d’expression variées.

Vous devriez aller lire ça. Vous apprendrez plein de choses sur la «culture linguistique» (p. 26), sur «l’imaginaire linguistique des francophones» (p. 30), sur les «représentations linguistiques» (p. 40), voire sur les «idéologies linguistiques» (p. 41). Bref, de la bien belle ouvrage.

P.-S.—Wim Remysen a aussi collaboré au dossier de la revue numérique Arborescences intitulé «La norme orale en français laurentien», sous la direction de de Marie-Hélène Côté et Anne-José Villeneuve (numéro 7, décembre 2017).

 

Références

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Remysen, Wim, «L’insécurité linguistique à l’école : un sujet d’étude et un champ d’intervention pour les sociolinguistes», dans Nadine Vincent et Sophie Piron (édit.), la Linguistique et le dictionnaire au service de l’enseignement du français au Québec. Mélanges offerts à Hélène Cajolet-Laganière, Montréal, Nota bene, 2018, p. 25-59. https://www.usherbrooke.ca/crifuq/fileadmin/sites/crifuq/uploads/Remysen-2018__insecurite_ecole_.pdf

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Parlons éducation

Dans la Presse+ du jour, le professeur et essayiste Mathieu Bélisle publie un texte d’opinion intitulé «Des élections résolument provinciales». On y lit cette remarque particulièrement juste et révélatrice de la place de l’éducation dans les programmes politiques québécois :

On se prend à rêver du jour où un chef de parti éprouvera le même empressement, la même fierté à présenter aux Québécois la personne choisie pour diriger le ministère de l’Éducation que celle qu’il éprouve en présentant les éventuels responsables de la Santé et du Trésor, du jour où il fera de l’éducation la grande priorité de son gouvernement en lui donnant l’ampleur d’une véritable vision pensée sur le long terme, où il reconnaîtra, quoi que disent les sondages et les groupes d’intérêt, qu’une société vieillissante n’a pas seulement besoin de soins de santé de qualité et d’une fin de vie vécue dignement, mais aussi, et peut-être surtout, d’un système d’éducation fort, soucieux du commencement de la vie et de son épanouissement.

Lors des élections de 2012, pour le Journal de Montréal, dans «Autoportrait électoral d’un privilégié insatisfait», l’Oreille tendue exprimait des positions bien proches de celles-là.

Moins ça change…

Autopromotion 371

Un écrivain taillant sa plume, tableau de Jan Ekells, 1784

L’Oreille tendue, pour la première fois de sa longue carrière de professeure d’université, a donné récemment un cours de création littéraire. Ce cours portait sur le blogue.

Elle a tenu son journal de cette expérience d’enseignement. Ça se lit ici, chez les amis de la revue numérique Sens public.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Le blogue à l’université. Journal d’un enseignement», Sens public, revue numérique, rubrique «Chroniques», 5 juillet 2018.  http://sens-public.org/article1333.html

 

Illustration : Un écrivain taillant sa plume, tableau de Jan Ekells, 1784, Rijksmuseum, Amsterdam