Même le Petit Robert peut se tromper

Portrait de Marivaux, 1743

L’Oreille tendue se répète : sur une île déserte, s’il ne fallait prendre qu’un seul dramaturge du XVIIIe siècle, ce serait évidemment Marivaux.

Celui-ci est mort un 12 février, en 1763. Pour commémorer la chose, le compte Twitter @LeRobert_com écrivait ceci plus tôt aujourd’hui : «Qui a inventé le verbe marivauder ? Diderot, en 1760 ! Il imaginera aussi son dérivé, marivaudage. #Néologisme.»

Dans l’édition numérique du Petit Robert de 2014, on trouve des propos semblables, mais sans le nom de Diderot. «Marivaudage» : «“préciosité” 1760 • de Marivaux, n. d’un écrivain français du XVIIIe». «Marivauder» : «“écrire comme Marivaux” 1760 • de Marivaux».

À cela, il faut répondre une chose : non.

Pour ne prendre que lui, Frédéric Deloffre, dans Une préciosité nouvelle. Marivaux et le marivaudage (1971, p. 5-6), avance en effet que le premier emploi attesté du mot marivaudage dans le style sérieux se trouve dans les Lettres à Sophie Volland de Diderot en 1760. English Showalter a montré depuis que le mot se trouvait dans la correspondance de madame de Graffigny dès le 12 mai 1739 («Authorial Self-Consciousness in the Familiar Letter : The Case of Madame de Graffigny», p. 119).

Oups.

P.-S. — L’Oreille se répète doublement. Elle faisait déjà cette mise au point dans son Diderot épistolier de 1996 (p. 382-383 n. 23).

 

Illustration : d’après Louis-Michel van Loo, «Portrait de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (1688-1763)», 1743, Château de Versailles, déposé sur Wikimedia Commons

 

Références

Deloffre, Frédéric, Une préciosité nouvelle. Marivaux et le marivaudage, Paris, Armand Colin, 1971, 613 p. Seconde édition, revue et mise à jour.

Melançon, Benoît, Diderot épistolier. Contribution à une poétique de la lettre familière au XVIIIe siècle, Montréal, Fides, 1996, viii/501 p. Préface de Roland Mortier. https://doi.org/1866/11382

Showalter, Jr., English, «Authorial Self-Consciousness in the Familiar Letter : The Case of Madame de Graffigny», Yale French Studies, 71, 1986, p. 113-130.

Benoît Melançon, Diderot épistolier, 1996, couverture

Autopromotion 212

Épistolaire, 41, 2015, couverture

Depuis la nuit des temps, l’Oreille tendue collabore à Épistolaire, la revue de l’Association interdisciplinaire de recherches sur l’épistolaire. De sa chronique, «Le cabinet des curiosités épistolaires», elle a tiré un recueil en 2011, Écrire au pape et au Père Noël.

La 41e livraison d’Épistolaire vient de paraître. L’Oreille y parle d’Héloïse et Abélard dans la culture populaire.

Table des matières

Haroche Bouzinac, Geneviève, «Avant-propos», p. 5.

«Lettres d’Italie. Voyage de rêve, rêve de voyage»

Obitz-Lumbroso, Bénédicte, «Introduction», p. 9-11.

Richard-Pauchet, Odile, «Lettres d’Italie du président de Brosses, le paradoxe d’une “esthétique de la familiarité”», p. 13-24.

Pujalte-Fraysse, Marie-Luce, «Le voyage d’Italie chez les architectes français de la fin du XVIIIe siècle : l’idéal de la création artistique face à l’expérience voyageuse», p. 25-35.

Allorant, Pierre, «L’amour-médecin : lettres de Gênes de Jean-Jacques à Ursule Ballard, fiancés de l’an VII», p. 37-48.

Crinquand, Sylvie, «Byron et Shelley en Italie : représentations et réalités», p. 49-58.

Cseppentö, István, «Les lettres d’Italie de Chateaubriand : portrait de l’écrivain en peintre paysagiste», p. 59-68.

Janulardo, Ettore, «La sélection de la vision : lettres d’Italie de John Ruskin», p. 69-82.

Petit-Emptaz, Anne-Sophie, «Paul Klee — Lettres d’Italie. L’œil et l’intellect», p. 83-95.

Piantoni, Antoine, «“L’universelle dorure des choses” : les Lettres d’Italie de Charles Demange», p. 97-109.

De Vita, Philippe, «“Dans le décor d’une grande cocotte” : l’idéalisation de l’Italie dans la correspondance de Jean Renoir», p. 111-124.

«Diderot en correspondance (II)»

Buffat, Marc, Geneviève Cammagre et Odile Richard-Pauchet, «Avant-propos», p. 127-128.

«L’engagement»

Pérez, Valérie, «Diderot parrèsisate : la Correspondance comme pratique du dire-vrai», p. 133-142.

Pellerin, Pascale, «La Correspondance de Diderot ou les dessous de l’engagement intellectuel», p. 143-152.

Kovács, Eszter, «Le philosophe et le souverain : la leçon des lettres de Saint-Pétersbourg», p. 153-164.

Gatefin, Éric, «Diderot en marge de ses héros : la Lettre apologétique de l’abbé Raynal à M. Grimm au miroir de l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron», p. 165-174.

Albertan-Coppola, Sylviane, «Entre la correspondance de Diderot et le Neveu de Rameau : les antiphilosophes», p. 175-186.

Treuherz, Nick, «Un athée vertueux ? L’image de D’Holbach dans la Correspondance de Diderot», p. 187-195.

Francalanza, Éric, «Diderot et Suard : le prisme de la Correspondance», p. 197-217.

«Éditer la correspondance de Diderot»

Khan, Didier, «Les labyrinthes du repentir. Corrections en tous genres dans les lettres autographes (1750-1760)», p. 221-236.

Bossuge, Emmanuel, «L’annotation de la correspondance de Diderot : quelques résultats d’un travail en cours», p. 237-248.

Dulac, Georges, «Diderot et la Russie : de l’importance de quelques correspondances absentes», p. 249-260.

«Perspectives épistolaires»

Maillard Despont, Aurélia, «L’archive d’Adèle D’Affry, duchesse de Castiglione Colonna ou la découverte de l’autre Marcello», p. 263-269.

De Vita, Philippe, «“Projeter cette pensée en éclats de vérité” : Godard épistolier sur le tournage de Détective», p. 271-285.

«Chroniques»

Michel, Pierre, «La correspondance d’Octave Mirbeau. Histoire d’une recherche», p. 289-298.

Cousson, Agnès (édit.), «Bibliographie de l’épistolaire», p. 299-333. Contributions de Luciana Furbetta, Benoît Grévin, Clémence Revest, Mawy Bouchard, Andrzej Rabsztyn, Nathalie Gibert, Sonia Anton et Benoît Melançon.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», p. 335-337. Sur Abélard et Héloïse dans la culture populaire. [HTML] [PDF]

Charrier-Vozel, Marianne, «Vie de l’épistolaire», p. 339-344.

Richard-Pauchet, Odile, «Cher Père Noël… à l’université», p. 344-347.

«Recherche»

«Comptes rendus», p. 351-385.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Vraiment ?

À chacun sa vanité : l’Oreille tendue aime se vanter de ne jamais avoir utilisé de binettes (de smileys) en plus de vingt-cinq ans de courriel. Elle n’a pas non plus l’intention de se mettre à l’emoji, même si l’Oxford Dictionary vient d’en faire son «mot de l’année 2015».

Dans le quotidien le Devoir, le journaliste Fabien Deglise abordait la question hier. Dans «Rester sans mot», il manifestait son inquiétude :

À l’image de l’arbre qui tombe sans faire de bruit lorsque personne n’est présent pour l’entendre tomber, le mot meurt inéluctablement lorsqu’il arrête d’être quotidiennement utilisé. Une menace, à titre d’exemple, pour le vocabulaire exprimant la passion, l’amour ou cette chaleur intérieure qui consume au regard de l’autre et que l’avenir se prépare à résumer avec l’emoji symbolisant un cœur. Même chose pour la colère, l’indignation, la critique, la révolte, l’exaspération et ses nombreuses variantes qui, dans l’univers des emojis, tiennent en deux ou trois symboles. La raillerie, le rire, l’émerveillement aussi. Bref, cette communication par l’image, en exposant avec arrogance son efficacité, trace sans doute les contours d’un vaste cimetière vers lequel un nombre vertigineux de mots pourrait accélérer leur voyage final (p. B3).

On peut ne pas être d’accord avec cette affirmation.

Plein de mots qui ne sont pas «quotidiennement utilisés» ne sont pas morts («inéluctablement») pour autant; ils sont là quand nous en avons besoin; les dictionnaires en sont pleins. L’emoji, par définition, est une image : en quoi menacerait-il la langue orale, si tant est qu’il menace la langue écrite ? Où est-elle, cette «arrogance» supposée ? Une dernière chose : cette déperdition se fera «sans doute», écrit Fabien Deglise; on aimerait savoir sur quoi ce jugement est fondé. Depuis l’apparition des binettes, y a-t-il eu affaiblissement du vocabulaire, a-t-on perdu un «nombre vertigineux» de mots ? Si oui, où cela a-t-il été démontré ? Sinon, pourquoi craindre l’emoji ?

Non disponible à la grainothèque

Soit le tweet suivant :

Tweet de Fabien Cloutier au sujet de Marcel Aubut

(Un mot d’explication : Marcel Aubut, le président du Comité olympique canadien, fait aujourd’hui l’objet d’une enquête pour harcèlement sexuel. Or il avait été prévenu épistolairement, il y a plusieurs années, de changer de comportement envers les femmes.)

Graine, donc : mot québécois. Synonyme hexagonal : bite. Le chanteur québécois Mononc’ Serge emploie l’un et l’autre dans la même chanson, «Charlie Hebdo» (2015).

P.-S. — Dans un texte sur la prononciation publié le 11 février 2012, il a déjà été question d’une «graine d’ours».

P.-P.-S. — Crisser ? Par ici.

P.-P.-P.-S. — Grainothèque ? Par .

 

[Complément du jour]

En des termes légèrement différents, Yves Boisvert, dans la Presse+ du jour, souligne à son tour les limites de l’épistolarité en cette matière.

Yves Boisvert, la Presse+, 3 octobre 2015

 

[Complément du jour]

Aubut a finalement démissionné de son poste. Dans le communiqué qu’il a publié ce matin, il parle «de certaines personnes de la gent féminine». S’agirait-il de femmes ?

Proposition de moratoire du mercredi matin

L’Oreille tendue, ces jours-ci, travaille sur l’image contemporaine du XVIIIe siècle. Que représentent les Lumières au XXe et au XXIe siècle ?

Par ailleurs, l’Oreille a déjà proposé de mettre un terme à l’utilisation de certains titres (c’est ici).

Or elle tombe, dans ses dossiers sur l’Ancien Régime, sur les titres suivants :

«Grèce. Les liaisons dangereuses entre oligarques et politiques» (le Devoir, 11 juillet 2015, p. B2).

«FTQ-PQ : Les liaisons dangereuses» (la Presse, 27 janvier 2014, p. A6).

«Les liaisons dangereuses de François Hollande» (le Devoir, 20 janvier 2014, p. B6).

«Liaisons dangereuses dans la construction» (le Devoir, 26 septembre 2012, p. A1).

Et si on laissait Laclos tranquille ?

 

[Complément du jour]

En première page de Libération du jour, ceci !

Libération, 19 août 2015, en une

 

[Complément du 2 novembre 2016]

Nouvelle récolte :

«Crime organisé. Les liaisons dangereuses entre criminalistes et criminels» (la Presse+, 20 novembre 2015).

«Dopage. Les liaisons dangereuses», le Devoir, 11 novembre 2015, p. B6.

«Exhibition | Dangerous Liaisons : The Art of the French Rococo», blogue Enfilade, 6 novembre 2015.

Le Coq-Heron, 222, 2015 : «Psychanalyse et Science, les liaisons dangereuses.»

«Police et médias : les liaisons dangereuses» (la Presse+, 2 novembre 2016).

 

[Complément du 13 juillet 2017]

Au singulier, ce n’est guère mieux, quoi qu’en pense la Presse+ du 13 juillet 2017.

«Liaison dangereuse», la Presse+, 13 juillet 2017

 

[Complément du 3 février 2018]

Continuons la récolte.

 

Titre de la Presse+, 3 février 2018

Com & politique. Les liaisons dangereuses ? 10 questions pour comprendre la communication politique, Paris, Éditions Arkhê, coll. «Tête chercheuse», 2017, 202 p.

«Plateformes vs. éditeurs : les liaisons dangereuses», site Méta-média, 4 avril 2017.

«Les liaisons dangereuses», le Devoir, 27 avril 2017, p. A3.

 

Titre de la Presse+, 1er juin 2017

 

[Complément du 5 février 2019]

Au singulier comme au pluriel, le Journal de Montréal s’y met à son tour.

Liaison(s) dangereuse(s) dans le Journal de Montréal

 

[Complément du 15 février 2019]

Merci qui ? Merci la Presse+ du jour.

«Les liaisons dangereuses de Bernier», la Presse+, 15 février 2019

 

[Complément du 18 février 2020]

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

«Etats-Unis. Liaisons dangereuses. Les relations de Donald Trump avec les Russes deviennent indéniables», le Devoir, 11 décembre 2018, p. B2.

«Liaisons dangereuses au Vénézuela» (le Blogue de Richard Hétu).

«Liaisons dangereuses» (la Presse+, 6 juillet 2018), sur des allégations d’inconduite sexuelle à l’Université McGill.

«Liaisons dangereuses entre industriels et hôpitaux» (Twitter).

«Démocratie et populisme. Des liaisons dangereuses ?»

Félicitons, en revanche, ceux qui reprennent le titre avec humour.

Les Lésions dangereuses

 

[Complément du 22 juin 2022]

Je vous en remets une petite louche ?

«Démocratie et populisme : des liaisons dangereuses ?» (Twitter)

«Presse et élections. Les liaisons dangereuses» (Rétro News, 2, janvier 2022).

Alain Brossat et Daniele Lorenzini (édit.), Foucault et… Les liaisons dangereuses de Michel Foucault, Paris, Vrin, 2021, 256 p.

«Les amitiés dangereuses» (le Devoir, le D magazine, 29 février-mars 2020, p. 40).

«“Un parrain à la Maison-Blanche” : comme des liaisons dangereuses» (le Devoir, 13 juillet 2020).

«Zoonoses ou les liaisons dangereuses : la rage» (le Blog Gallica, 23 avril 2021).

Laurent Tigrane Tovmassian et Christophe Janssen (édit.), Cadre clinique et tendresse. Des liaisons dangeureuses ?, Paris, Éditions In Press, coll. «Ouvertures psy», 2022, 256 p.

 

[Complément du 27 novembre 2024]

L’Oreille tendue est bien peu de chose…

«Entre ados et dark romance, des liaisons dangereuses» (Libération, 27 novembre 2024).

«Enseignement du français et peur de la faute : des liaisons dangereuses» (The Conversation, 5 novembre 2024).

«IA et transition écologique : les liaisons dangereuses ? Guillaume Pitron» (Libre à lire !, 12 septembre 2024).

«Droits de l’homme et politique en France : quelques réflexions sur des liaisons dangereuses» (Histoire politique, 2023).

Humanité et numérique. Les liaisons dangereuses (Apogée, 2023).

«Au Japon, les liaisons dangereuses entre la classe politique et l’Église de l’Unification» (RFI, 10 décembre 2022).