Les néologismes livresques et littéraires du vendredi matin

Lire, écrire, acheter, vendre, classer, reproduire, diffuser des livres : cela demande des mots, dont des nouveaux.

Ceux qui rêvent d’un guichet unique mobile en matière de livre pourraient s’inspirer de la publibrairie Le buvard de Michel Vézina (le Devoir, 39-30 octobre 2016, p. F1).

Les adeptes de la photocopie vivent dans la «xérocivilisation», écrivait Umberto Eco il y a déjà plus de trente ans (éd. de 1986, p. 25). Certains pratiquent même le photocopillage; ce n’est pas bien.

Parce qu’on lit à tous les âges, il existe un prix pour adolecteurs.

S’agissant des auteurs, il semble qu’en 4097 existera la catégorie de l’aucouvreur, «un néologisme reposant sur les mots “auteur” et “découvreur”». C’est Olivier Ertzscheid qui l’annonce dans les Classiques connectés (2016).

Les auteurs de fiction peuvent y rester — «en fictionnant le monde on a seulement essayé de retrouver ce qui avait eu lieu et qu’on avait oublié» (Mécanismes de survie en milieu hostile, p. 9 — ou en sortir — d’où des «éléments pour une littérature exofictionnelle».

Quand le témoignage s’impose plutôt que la fiction, cela peut aller jusqu’à l’autopathographie. La géoculture («La France vue par les écrivains»), elle, fait voyager.

La bibliographie, c’est bien (foi de bibliographe). La webographie ou la webliographie, c’est bien aussi.

Ces façons nouvelles de dire relèvent de la littérationla littératie de masse») ou de la biblioculture (merci à @BiblioQC). Cela doit faire plaisir aux bibliogeeks, non ?

 

Références

Eco, Umberto, De Bibliotheca, Caen, L’échoppe, 1986, 31 p. Traduction d’Éliane Deschamps-Pria. Frontispice de M.H. Vieira da Silva.

Ertzscheid, Olivier, les Classiques connectés, publie.net, 2016. Illustré. Préface de Lionel Maurel. Édition numérique.

Rosenthal, Olivia, Mécanismes de survie en milieu hostile, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 6078, 2014, 183 p.

Rappel périodique

Libération, une du jeudi 15 janvier 2015

L’Oreille tendue a parfois des fréquentations qui l’étonnent elle-même. Ainsi, un ami à elle, pas plus tard que la semaine dernière, lui apprenait que Jean-Jacques Goldman, dans un duo avec Céline Dion, «J’irai où tu iras» (1995), chantait «Tes mots tes tabernacles et ta langue d’ici». (Tous les dégoûts musicaux sont dans la nature.)

L’Oreille en profite pour rappeler à son aimable clientèle non autochtone que l’on ne prononce jamais tabernacle, mais tabarnak / tabarnaque / tabarnac.

Ne suivez donc pas Charles Foran dans sa biographie de Maurice Richard — c’est du hockey (2011, p. 152) —, ni la une de Libération du jeudi 15 janvier 2015, ni l’adaptation de The Sopranos, ni Géraldine Wœssner dans Ils sont fous, ces Québécois ! (2010), ni le «rap-musette» intitulé «Mots dits français» (2009).

Il existe un blogue qui regroupe les impairs hexagonaux de cette nature. Suivez plutôt Tabernacle ! Vous y apprendrez quoi ne pas faire.

P.-S.—Les habitués de l’Oreille tendue se souviendront d’une bande dessinée française de 1961 qui avait malencontreusement utilisé tabernacle.

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a un faible pour ce juron d’inspiration religieuse. Elle en a par exemple parlé à la radio de Radio-Canada en 2013.

 

Références

Foran, Charles, Maurice Richard, Toronto, Penguin Canada, coll. «Extraordinary Canadians», 2011, xiii/166 p. Introduction de John Ralston Saul.

Wœssner, Géraldine, Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, Paris, Éditions du moment, 2010, 295 p.

Les zeugmes du dimanche matin et de Sébastien Bailly

Sébastien Bailly, les Zeugmes au play, 2011, couverture

Sébastien Bailly n’est pas seulement l’auteur des Zeugmes au plat (commentés ici par l’Oreille tendue) et l’animateur du groupe les Zeugmes au plat sur Facebook. Il zeugme aussi sur Twitter (@sbailly). Quatre exemples ci-dessous.

«Il avait envie de mettre les points sur les i une bonne fois pour toute, et dans sa gueule» (19 janvier 2016).

«Quand on pense que certains ont vécu sous l’empire d’un état alcoolique et de Napoléon III…» (17 mars 2016)

«il finit remorqué, en partie sous l’eau… et les applaudissements» (1er mai 2016).

«Un barbier trop timide et barbant passait ses dimanches à entretenir ses terres. Il rasait les murs, sa femme et ses forêts» (13 juin 2016).

 

Référence

Bailly, Sébastien, les Zeugmes au plat. Éloge d’une tournure humoristique, Paris, Mille et une nuits, coll. «Mille et une nuits», 585, 2011, 107 p. Avant-propos de Hervé Le Tellier.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 62

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Compte rendu du livre d’Hélène Merlin-Kajman Lire dans la gueule du loup. Essai sur une zone à défendre, la littérature (Paris, Gallimard, coll. «nrf essais», 2016, 336 p.), par Florent Coste, sur le site la Vie des idées.

Le livre d’Hélène Merlin-Kajman repose sur un constat aussi difficile à démentir qu’à établir, tant il va à l’encontre de l’habitus du professionnel de la littérature. Notre rapport à la littérature s’est petit à petit déréalisé sous l’effet d’une vulgate formaliste, qui conçoit la lecture comme une désillusion — prorogeant la suspicion platonicienne envers la mimesis. L’enseignement de la littérature s’est habitué à s’arracher à l’illusion référentielle, à dénicher à travers le tamis de la stylistique, de la rhétorique ou de l’intertextualité des effets de langage, à déjouer les tours que nous jouent des écrivains fondamentalement manipulateurs, à déniaiser les lectures naïves qui s’agrippent au référent des textes et qui croient sur parole des «êtres de papier». Forte de toutes ces théories du déniaisement, la lecture littéraire savante s’est piquée de ne pas tomber dans la lecture au premier degré, sans plus se préoccuper de ce qu’une œuvre nous fait. Une littérature à l’artificielle fraîcheur se voyait emballée dans une sorte de cellophane méthodologique.

Grégoire, Mélissa, l’Amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, 245 p.

Aucun cours n’était aussi brillant, substantiel, provocant que celui de Julien Élie, aucun professeur ne lui arrivait à la cheville, sauf un peut-être qui semblait se passionner pour l’histoire littéraire mais dont l’enseignement, donné dans un grand amphithéâtre, avait quelque chose d’impersonnel (p. 102).