Les treize néologismes du jeudi matin

Martin Winckler, Petit éloge des séries télé, 2012, couverture

Les gens s’intéressent vraiment à toutes sortes de choses. Ces choses, arrive un moment où il faut les (re)nommer.

Vous voulez «participer à la création d’une base de données scientifique à partir des millions de photos des plantes de l’herbier de Paris» ? Vous ferez partie des herbonautes.

Des gens de bon sens ont démontré depuis plusieurs années l’existence du sous-financement dans les universités québécoises, mais vous refusez de les croire ? «Pour les recteurs, il faut parler de sous-financement. Pour les étudiants, de “malfinancement”» (le Devoir, 17 janvier 2013, p. A8).

Vous pensez que l’opinion «littéraire» de Gildor Roy est de bien peu de poids ? Vous en aurez probablement contre la «gildorisation de la critique littéraire».

Vous trouvez que l’expression «Il n’y a pas de problème» est trop banale ? Préférez-lui «Ça n’existe même pas». Cela viendra de l’anglais : «OH [overheard] at Starbucks, new (to me) expression : “not even a thing” to mean “no problem”» (@foundhistory).

Vous aimez les séries télévisées et vous souhaitez bien les distinguer les unes des autres ? «Les épisodes de dramas durent en général une heure (publicité incluse); ceux des comedies, trente minutes. Le mot dramedy désigne les fictions hybrides, flirtant avec les deux genres. Ally McBeal (FOX, 1997-2002) et Sex and the City (HBO, 1998-2004) furent les premières associées à ce mot-valise que l’expression française “comédie dramatique”, une fois n’est pas coutume, traduit parfaitement» (Petit éloge des séries télé, p. 87).

Vous trouvez votre téléphone (phone) trop petit, mais votre tablette (tablet) trop grosse ? Optez pour la phablet.

Vous êtes un col bleu de la bonne ville de Québec et vous vous faites porter pâle au travail ? Attention ! Votre maire, Régis Labeaume, pourra se moquer de votre arénalose comme de votre zambonellose (le Devoir, 6 novembre 2012). La première maladie se terre dans les arénas; la seconde frapperait, du moins on peut le croire, les conducteurs de surfaceuses (Zamboni).

Vous regarderez le Super Bowl du 3 février, qui mettra un terme à la saison 2012-2013 de football américain ? Les frères Jim et John Harbaugh s’y affronteront. Ce sera donc le Super Baugh. (On voit aussi Har Bowl et Super Bro.)

Vous appelez l’être cher sweetheart ? Sur Twitter, pourquoi ne pas parler de tweetheart ? Cela fera plaisir à Oprah.

Amateur de Twitter, vous préférez ne plus parler de hashtag ? La Commission générale de terminologie et de néologie du gouvernement français vous propose (Journal officiel du 23 janvier 2013) de mettre mot-dièse à la place. (Au Québec, on a plutôt, et plus tôt, choisi mot-clic.) Si l’Oreille tendue se fie à ses abonnés sur Twitter, hashtag a encore de belles années devant lui.

 

Référence

Winckler, Martin, Petit éloge des séries télé, Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», 5471, 2012, 116 p.

Que dire ?

Roy MacGregor, Épreuve de force à Washington, 2011, couverture

L’Oreille tendue ne s’en cache pas : sa façon de répondre au téléphone peut laisser perplexes quelques-uns de ses interlocuteurs.

Il y a pourtant des façons de faire plus troublantes encore quand «grelotte» le téléphone (le Ravissement de Britney Spears, p. 118).

Prenez Harry Hole, le héros du Sauveur de Jo Nesbø, qui multiplie les ordres :

Videz votre sac (p. 297).

Parlez. Pas trop fort (p. 299).

Ou bien Philippe Didion, le Notulographe :

Le deuxième épisode [de la série The Shield] se termine sur un rebondissement en forme de véritable coup de poing à l’estomac pour le téléspectateur. Mais ce n’est pas ce qui me préoccupe au sujet de cette série. Depuis un moment j’essaie d’imiter le cri, la vocifération, l’espèce d’aboiement jaculatoire que pousse Vick Mackey quand il décroche son téléphone de poche. Ce n’est pas «Yes», trop doux, c’est à mi-chemin entre le Yeah et le Yep avec un iiiiiii très long, un glissando vers une deuxième syllabe très courte qui s’interrompt comme si elle s’écrasait contre un mur. C’est propre à dissuader quiconque d’essayer de l’appeler à nouveau et à le faire regretter de l’avoir fait en cette occasion. Je me promets de tester ce cri au prochain appel que je reçois sur mon téléphone de poche. Je n’ai pas droit à l’erreur : je reçois environ trois appels par an (Notules dominicales de culture domestique, numéro 145, 1er février 2004).

Ou enfin Roy MacGregor :

Lars dégagea l’appareil et répondit.

— Johanssen.

Stéphane secoua la tête. Il n’avait jamais entendu personne d’autre répondre ainsi au téléphone. Lars disait que c’était ce qui se faisait en Suède et qu’il ne comprenait pas comment les gens, en Amérique du Nord, pouvaient se contenter de répondre «Allô». Et il refusait de changer sa façon de faire (Épreuve de force à Washington, p. 100).

En regard de ces réponses, le «oui» usuel de l’Oreille est bien timide.

 

Références

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

MacGregor, Roy, Épreuve de force à Washington, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 15, 2011, 178 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2001.

Nesbø, Jo, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2005.

Rolin, Jean, le Ravissement de Britney Spears. Roman, Paris, P.O.L, 2011, 284 p.

Cachez cet adverbe que je ne saurais voir

C’est vous le blogueur ? — Effectivement.

«Acheter au Canada ? Absolument !» (la Presse, 1er novembre 2012 , p. A16, publicité)

Dans 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Jean-Loup Chiflet parle-t-il de l’adverbe d’affirmation ? — Tout à fait (p. 115).

René a envoyé promener Céline ? — J’espère !

Au retour du lock-out, les joueurs donneront-ils leur 110 % ? — Définitivement.

T’es sûr ? — Certain.

Tu penses qu’il y a des collusionnaires à Montréal ? — Mets-en.

En forme ? — Le faut.

«Tout le goût du Coca-Cola, zéro calorie.» — «Sérieux».

Il a déjà quitté ? — Exact.

«Si c’est bon de gagner de cette façon ? Yessssss ! Yessssss !» (la Presse, 3 juillet 2001)

Bref, toujours dire non à oui.

 

[Complément du 27 mars 2015]

Bel exemple de l’utilisation de certain par la traductrice des Retrouvailles des Carcajous (2015) :

— Alors tu m’appelles si tu changes d’idée ?
— Certain (p. 67).

 

[Complément du 24 juin 2015]

Deux autres cas, tirés de la pièce J’ai perdu mon mari de Catherine Léger (2015).

«[Mélissa] J’ai-tu le droit ? [William] Complètement» (p. 57).

«[Le pusher] On vit pas assez, man. [Évelyne] C’est clair» (p. 71).

 

Références

Chiflet, Jean-Loup, 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Paris, Seuil, coll. «Points. Le goût des mots», Hors série, inédit, P 2268, 2009, 122 p. Dessins de Pascal Le Brun.

Léger, Catherine, J’ai perdu mon mari, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 04, 2015, 101 p. Ill.

MacGregor, Roy, les Retrouvailles des Carcajous, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 19, 2015, 174 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2004.

Le zeugme du dimanche matin de Kiki de Montparnasse, et une annonce

Kiki de Montparnasse, Kiki : souvenirs, 1999, couverture

Le zeugme

«On l’avait obligé à quitter ma mère, après avoir vécu six ans avec elle, pour épouser une femme qui avait mille francs et un cochon» (p. 66).

Kiki de Montparnasse, Kiki : souvenirs, Paris, Hazan, 1999, 270 p. Introductions d’Ernest Hemingway et de Foujita. Avant-propos et notes de Billy Klüver et Julie Martin. Traductions de Dominique Lablanche.

L’annonce

@zeugme est désormais sur Twitter. Qui l’aime le suive.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)