Que dire ?

Roy MacGregor, Épreuve de force à Washington, 2011, couverture

L’Oreille tendue ne s’en cache pas : sa façon de répondre au téléphone peut laisser perplexes quelques-uns de ses interlocuteurs.

Il y a pourtant des façons de faire plus troublantes encore quand «grelotte» le téléphone (le Ravissement de Britney Spears, p. 118).

Prenez Harry Hole, le héros du Sauveur de Jo Nesbø, qui multiplie les ordres :

Videz votre sac (p. 297).

Parlez. Pas trop fort (p. 299).

Ou bien Philippe Didion, le Notulographe :

Le deuxième épisode [de la série The Shield] se termine sur un rebondissement en forme de véritable coup de poing à l’estomac pour le téléspectateur. Mais ce n’est pas ce qui me préoccupe au sujet de cette série. Depuis un moment j’essaie d’imiter le cri, la vocifération, l’espèce d’aboiement jaculatoire que pousse Vick Mackey quand il décroche son téléphone de poche. Ce n’est pas «Yes», trop doux, c’est à mi-chemin entre le Yeah et le Yep avec un iiiiiii très long, un glissando vers une deuxième syllabe très courte qui s’interrompt comme si elle s’écrasait contre un mur. C’est propre à dissuader quiconque d’essayer de l’appeler à nouveau et à le faire regretter de l’avoir fait en cette occasion. Je me promets de tester ce cri au prochain appel que je reçois sur mon téléphone de poche. Je n’ai pas droit à l’erreur : je reçois environ trois appels par an (Notules dominicales de culture domestique, numéro 145, 1er février 2004).

Ou enfin Roy MacGregor :

Lars dégagea l’appareil et répondit.

— Johanssen.

Stéphane secoua la tête. Il n’avait jamais entendu personne d’autre répondre ainsi au téléphone. Lars disait que c’était ce qui se faisait en Suède et qu’il ne comprenait pas comment les gens, en Amérique du Nord, pouvaient se contenter de répondre «Allô». Et il refusait de changer sa façon de faire (Épreuve de force à Washington, p. 100).

En regard de ces réponses, le «oui» usuel de l’Oreille est bien timide.

 

Références

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

MacGregor, Roy, Épreuve de force à Washington, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 15, 2011, 178 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2001.

Nesbø, Jo, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2005.

Rolin, Jean, le Ravissement de Britney Spears. Roman, Paris, P.O.L, 2011, 284 p.

Cachez cet adverbe que je ne saurais voir

C’est vous le blogueur ? — Effectivement.

«Acheter au Canada ? Absolument !» (la Presse, 1er novembre 2012 , p. A16, publicité)

Dans 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Jean-Loup Chiflet parle-t-il de l’adverbe d’affirmation ? — Tout à fait (p. 115).

René a envoyé promener Céline ? — J’espère !

Au retour du lock-out, les joueurs donneront-ils leur 110 % ? — Définitivement.

T’es sûr ? — Certain.

Tu penses qu’il y a des collusionnaires à Montréal ? — Mets-en.

En forme ? — Le faut.

«Tout le goût du Coca-Cola, zéro calorie.» — «Sérieux».

Il a déjà quitté ? — Exact.

«Si c’est bon de gagner de cette façon ? Yessssss ! Yessssss !» (la Presse, 3 juillet 2001)

Bref, toujours dire non à oui.

 

[Complément du 27 mars 2015]

Bel exemple de l’utilisation de certain par la traductrice des Retrouvailles des Carcajous (2015) :

— Alors tu m’appelles si tu changes d’idée ?
— Certain (p. 67).

 

[Complément du 24 juin 2015]

Deux autres cas, tirés de la pièce J’ai perdu mon mari de Catherine Léger (2015).

«[Mélissa] J’ai-tu le droit ? [William] Complètement» (p. 57).

«[Le pusher] On vit pas assez, man. [Évelyne] C’est clair» (p. 71).

 

Références

Chiflet, Jean-Loup, 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Paris, Seuil, coll. «Points. Le goût des mots», Hors série, inédit, P 2268, 2009, 122 p. Dessins de Pascal Le Brun.

Léger, Catherine, J’ai perdu mon mari, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 04, 2015, 101 p. Ill.

MacGregor, Roy, les Retrouvailles des Carcajous, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 19, 2015, 174 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2004.

Néologisme numérique du jour

Dan Cohen est un des humanistes numériques que l’Oreille tendue suit avec le plus de plaisir, soit en lisant son blogue, soit en écoutant la baladodiffusion dont il est un des créateurs, Digital Campus, soit en consultant son compte Twitter, @dancohen.

Le 24 mai, sur son blogue, il s’interrogeait sur une nouvelle forme d’écriture sur le Web, qu’il proposait d’appeler blessay. (En fait, le mot avait déjà été proposé par Stephen Fry.) Blessay étant un mot-valise né de blog et de essay, son équivalent français pourrait être blessai (blogue + essai).

De quoi s’agit-il ? Pour Cohen, le blessai est une des formes de la convergence numérique du journalisme et de la recherche.

Ses caractéristiques ? (La traduction-adaptation est de l’Oreille.)

1. Le blessai est plus long qu’un billet de blogue, mais plus court qu’un article savant. Il ferait entre 1000 et 3000 mots.

2. Il est nourri par la recherche et l’analyse, mais il ne le claironne pas («doesn’t rub your nose in it»).

3. Il repose plus sur les ressources du Web que sur celles de la revue savante; par exemple, on y préfère les liens aux notes. Son auteur n’hésite pas à recourir à l’image, à l’audio ou à la vidéo.

4. S’y marient l’expertise et la curiosité. Il est aussi important d’y conclure que d’y suggérer des ouvertures («Conclusive but also suggestive»).

5. Le blessai est destiné à la fois aux spécialistes et au public cultivé («intelligent general audience»). On s’y méfie du jargon, non par populisme mais par souci du bien-écrire.

6. Son lecteur voudra conserver un blessai grâce à Instapaper ou Readability.

7. Son auteur évitera les formules simplistes inspirées de la recherche, par exemple en histoire («Puritains et Wikipédiens, même combat»).

Les commentaires qui suivent ce texte méritent qu’on s’y attache, tant pour les exemples et les modèles évoqués (Montaigne, les Lumières, Hazlitt) que pour la discussion sur le choix du terme pour désigner cette forme (blessay, donc, mais aussi piece, thought piece, intellectual journalism, digital essay, writing ou… essay).

Le zeugme du dimanche matin de Kiki de Montparnasse, et une annonce

Kiki de Montparnasse, Kiki : souvenirs, 1999, couverture

Le zeugme

«On l’avait obligé à quitter ma mère, après avoir vécu six ans avec elle, pour épouser une femme qui avait mille francs et un cochon» (p. 66).

Kiki de Montparnasse, Kiki : souvenirs, Paris, Hazan, 1999, 270 p. Introductions d’Ernest Hemingway et de Foujita. Avant-propos et notes de Billy Klüver et Julie Martin. Traductions de Dominique Lablanche.

L’annonce

@zeugme est désormais sur Twitter. Qui l’aime le suive.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)