Sans issue

«Sa majesté la langue française», Refrancisons-nous, 1951, 2e éd.

Soit la phrase suivante, dans la Presse+ du 13 septembre 2024 : «Les trois Québécois arrêtés de façon spectaculaire, au Pérou, en février 2023, ont été piégés de tous bords tous côtés, révèlent des documents judiciaires récemment rendus publics et obtenus par La Presse.»

«De tous bords tous côtés», donc. Explication du Wiktionnaire : «Dans toutes les directions, ou de partout.»

Synonyme, en quelque approximative sorte : tout partout.

À votre service.

 

Illustration : F. J.-F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 143 p., p. 14. Deuxième édition.

La musique, c’est parfois de l’argent

Flûtes

Soit la phrase suivante, tirée de la Presse+ du 15 septembre 2024 :

«Ce n’est d’ailleurs pas une légende : les éboueurs peuvent confortablement gagner leur vie s’ils gèrent bien leurs flûtes.»

Puis celles-ci, du même quotidien, le 12 octobre 2021 :

«Partagez-vous cette perception ? Si c’est le cas, il faut rajuster vos flûtes, les amis […].»

Que sont ces «flûtes» que les éboueurs devraient savoir «gérer» et que les lecteurs du journal devraient «rajuster» ?

Dans le français populaire du Québec, elles désignent, dans le premier cas, des affaires (personnelles, professionnelles), dans le second, des perceptions.

Pierre DesRuisseaux connaît aussi se mêler dans ses flûtes : «Se tromper, se fourvoyer» (p. 152).

À votre service.

 

Illustration : «Fluiers», 2006, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Le jack, en ses deux espèces

Hector Berthelot, les Mystères de Montréal, éd. de 2013, couverture

Le jack québécois connaît principalement deux incarnations.

La première est liée à la taille : «Ce grand Jack de Cléophas est dans les secrets du monsieur qui est mort à Ste. Thérèse» (les Mystères de Montréal, p. 200).

La seconde, à la bonté, à la gentillesse : «Quand tu vois son apparence, quand tu l’entends parler, puis quand tu vois les sujets qu’il aborde, tout s’aligne avec l’image d’un bon jack québécois» (la Presse+, 9 septembre 2024).

L’une n’empêche pas l’autre.

 

Référence

Berthelot, Hector, les Mystères de Montréal par M. Ladébauche. Roman de mœurs, Québec, Nota bene, coll. «Poche», 34, 2013, 292 p. Ill. Texte établi et annoté par Micheline Cambron. Préface de Gilles Marcotte.

Ne pas visualiser svp, bis

François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, 2009, couverture

Un chroniqueur politique québécois au style bigarré écrivait cette semaine cette phrase :

Moi, je crois à ça, et ça me semble tellement plus durable que l’entreprise étrangère subventionnée qui nous fait souvent dans les mains en se maudissant des impacts pour notre monde.

Faire dans les mains, donc. Nous avons croisé cette expression il y a plusieurs lustres; voir ici.

François Blais n’a pas de ces délicatesses, qui écrit, dans Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, «chier dans les mains» (p. 229).

Voilà qui est plus clair.

P.-S.—Pourquoi «Ne pas visualiser svp, bis» ? Parce que.

 

Référence

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

S & S

Boîte de Spic and Span

Pas plus tard qu’hier, l’Oreille tendue s’est surprise à utiliser une expression venue de son lointain passé linguistique : fallait-il ou pas laisser les lieux «spic and span» ? Cette expression, dans le français populaire du Québec, renvoie à la forme ultime de la propreté : il n’y a rien au-delà.

Le produit nettoyant qui porte ce nom existe toujours, mais l’Oreille n’y avait pas pensé depuis des décennies.

Ça ne la rajeunit pas.

 

[Complément du jour]

L’étymologie de spic(k) and span ? Par ici.

Des exemples romanesques ? À votre service, avec deux graphies.

«Et ma maison a beau être spick and span, l’odeur du corps qui pourrit dans le garde-robe risquerait d’alerter les visiteurs» (Autour d’elle, p. 33).

«Dans son abasourdissement, il avait, savon de graisse et brosse à crin, lavé tout ce qu’il y avait de fenêtres dans la maison, les carreaux des lucarnes, l’œil-de-bœuf, jusqu’à ce que tout fût spic and span» (la Bête creuse, p. 537).

 

[Complément du 9 décembre 2024]

Parmi les figures québécoises associées à la propreté, outre le spic and span, il y a Mme Blancheville, comme chez Chloë Rolland :

La poussière s’accumulait, des cernes de vin s’incrustait dans les meubles, la fumée imprégnait les rideaux. Mat, qui avait toujours été plutôt Blancheville, commençait à négliger la pharmacie, le hall, dont il était responsable depuis toujours. Il avait abandonné sa routine (p. 72).

Ça ne rajeunit pas l’Oreille non plus.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

Rolland, Chloë, C’est ton carnage, Simone. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 181 p.