Âme nordique

C’est affaire de latitude : les Québécois seraient proches des Scandinaves. Cela explique peut-être pourquoi ils aiment tant les sagas.

Une fois de plus, celle des wagons de métro de Montréal retient l’attention. Dans deux journaux, le même texte, une lettre d’opinion, sous des titres différents : «Pourquoi cette saga ?» (la Presse, 14 juillet 2010, p. A14); «La saga des voitures de métro» (le Devoir, 14 juillet 2010, p. A7). À la radio de Radio-Canada, le même jour : «cette saga-».

On a les grands récits qu’on mérite.

Leçons d’anatomie

«Putamen», par Woutergroen

L’Oreille tendue a un peu de mal.

Selon son Petit Robert, le cerveau est la «Masse nerveuse contenue dans le crâne de l’homme, comprenant le  cerveau […], le cervelet, le bulbe et les pédoncules cérébraux» ou la «Partie antérieure et supérieure de l’encéphale des vertébrés formée de deux hémisphères cérébraux et de leurs annexes (méninges).» Il ne paraît donc pas être un muscle, cette «Structure organique contractile qui assure les mouvements.» Si tant est qu’une crampe soit bel et bien une «Contraction douloureuse, involontaire et passagère d’un muscle ou d’un groupe de muscles», on ne devrait donc pas avoir de crampe au cerveau.

Ce n’est pas l’avis du journal la Presse : «La crampe au cerveau [du Brésilien] Felipe Melo, dont l’expulsion pour avoir cramponné Arjen Robben a forcé les Auriverdes à finir le match à 10, a certes aidé les Néerlandais» (cahier Sports, 10 juillet 2010, p. 3).

Mais il y a plus délicat.

Les définitions du cerveau qu’on vient de lire sont classées sous la rubrique «Concret». Il y a aussi une rubrique «Abstrait», dans laquelle on trouve la définition suivante : «Le siège de la vie psychique et des facultés intellectuelles», laquelle est suivie des synonymes esprit, tête, cervelle.

Peut-on imaginer une crampe de l’esprit ? Oui, si l’on en croit Tanguy Viel, dans Insoupçonnable (p. 81).

Le cerveau de l’Oreille tendue, lui, n’arrive pas à tout bien suivre.

 

[Complément du 2 juillet 2014]

«Crampe au cerveau» est une chanson de Serge Fiori sur l’album qui porte son nom (étiquette Gsi musique, 2014), chanson peu amène envers le ROC (Rest of Canada).

 

[Complément du 7 mai 2015]

Hier soir, les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — ont perdu leur match contre le Lightning de Tampa Bay. Andreï Markov, le défenseur de Montréal, lui pourtant si fiable depuis des années, a joué un mauvais match (ce n’est pas son premier des présentes séries éliminatoires). Cela a entraîné le commentaire suivant, sur Twitter, d’@ArponBasu : «If there was a brain farts/60 stat, I think Markov would be leading the playoffs.» Selon lui, si une statistique du nombre de «brain farts» par 60 minutes de jeu (la durée d’un match de hockey) existait, Markov y dépasserait tout le monde.

Mais que sont ces flatuosités du cerveau ou de l’espritbrain farts») ? Parmi les 30 définitions que donne le Urban Dictionary de ce mot («brain fart» ou «brainfart»), beaucoup étant liées au défaut de mémoire, une retient particulièrement l’attention de l’Oreille : «An involuntary release of stupidity. Usually at the least opportune time» (Quelque chose d’involontairement stupide, au moment le moins opportun). N’est-ce pas aussi cela la crampe au cerveau ?

 

[Complément du 22 mars 2017]

Dans la Presse+ du jour, le journaliste Patrick Lagacé traduit «ce que les Anglais appellent joliment un brain fart» par pet de / du cerveau.

 

[Complément du 10 décembre 2020]

La crampe au cerveau ne serait pas qu’individuelle si l’on en croit le quotidien le Devoir : «Même en retenant l’hypothèse d’une crampe au cerveau collective, l’Assemblée nationale a eu de multiples occasions de s’amender» (8 décembre 2020, p. A4).

 

[Complément du 24 mai 2023]

Ni crampe ni pet, la bulle : «Après avoir donné une mise en échec à Mark Stone, le capitaine des Stars [Jamie Benn] a eu ce qui s’apparente à une bulle au cerveau : il a asséné un inutile et brutal double échec au visage de son adversaire déjà étendu à ses pieds» (la Presse+, 24 mai 2023).

 

Illustration : partie externe du noyau lentiforme du cerveau, image déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

Viel, Tanguy, Insoupçonnable, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 59, 2009, 138 p. Édition originale : 2006.

Dehors !

Michael Connelly, The Scarecrow, 2009, couverture

En français, les façons de parler de congédiement (au Québec) ou de licenciement (outre-Atlantique) ne manquent pas.

On peut mettre quelqu’un à pied ou à la porte, le virer, le renvoyer, le remercier (parfois de ses services), le jeter dans la prochaine charrette de congédiements, s’en séparer, se priver de lui et de ses services, supprimer son poste (et lui avec). Les employeurs peuvent rationaliser, restructurer, sous-traiter, délocaliser ou couper dans le gras. Au Québec, on entendra aussi donner son 4 % à quelqu’un. (Cette allusion à une prime de séparation peut même être employée en contexte amoureux : Céline a donné son 4 % à René.)

L’anglais n’est pas moins riche. Uniquement dans un récent roman de Michael Connelly, on trouve Reduction in Force (RIF), involuntary separation, downsized, pink-slipped, involuntary reduction in force.

Partout, l’euphémisme délicat règne.

 

[Complément du 14 décembre 2021]

Dans la Presse+ du jour : libérer.

«Libérer» des employés, la Presse+, 14 décembre 2021

 

[Complément du 16 janvier 2024]

Dans la Presse+ du jour : «rajuster l’effectif»; «rajustement de [sa] structure de coûts».

 

Référence

Connelly, Michael, The Scarecrow, New York , Little, Brown and Company, 2009. Édition numérique.

Crise d’identité(s)

Il y eut les Canadiens, qui devinrent des Canadiens français, puis des Québécois; ce sont les francophones.

De l’autre côté de la frontière linguistique, il y a des Anglais, des Canadians, des Canadiens anglais; ce sont les anglophones.

Quand ils habitent au Québec, ces derniers sont des Anglo-Québécois; ils sont minoritaires. En revanche, ils constituent la majorité canadienne, celle du ROC, le Rest of Canada.

Les uns et les autres, géographie continentale oblige, sont américains. Ils ont tous un passeport canadien. On ne doit pas les confondre avec leurs voisins du Sud, les États-Uniens.

Le Thomas Bernhard du Naufragé vient compliquer les choses. Qui est le pianiste Glenn Gould ? Un «cyclone canadien américain» (p. 120), un «Canadien-Américain» (p. 174) qui ne cache pas la vérité, d’où sa «franchise typiquement canadienne-américaine» (p. 163), sa «manière canadienne-américaine, rude et franche et cependant salutaire» (p. 163) et sa «manière bien canadienne-américaine» (p. 170).

On comprend qu’on puisse s’y perdre.

 

Référence

Bernhard, Thomas, le Naufragé, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 2445, 1993, 187 p. Traduction de Bernard Kreiss. Édition originale : 1983.

Blanc

Cas général : au Québec est dit Blanc tout non-autochtone. Les Québécois de souche à la peau pâle sont des Blancs, comme le sont les Québécois d’adoption, africains, haïtiens, asiatiques, etc. Exemple : «La députée fédérale de Châteauguay–Saint-Constant, Carole Freeman, veut sceller la réconciliation entre les Blancs de sa circonscription et les Mohawks de Kahnawake» (le Devoir, 7 juillet 2010, p. A3).

Cas spécifique : le Blanc serait surtout francophone. Exemple : «La société québécoise est extrêmement tournée sur elle-même, dit [Jacob] Tierney. Notre art et notre culture ne présentent que des Blancs francophones. Les anglophones et les immigrants sont ignorés. Ils n’ont aucune place dans le rêve québécois. C’est honteux» (la Presse, 6 juillet 2010, cahier Arts et spectacles, p. 7).

«Des goûts et des couleurs, il ne faut pas disputer», dit le proverbe. Heureusement.

 

[Complément du 2 juillet 2022]

Peut-on trouver un mot plus juste que blanc ? Le dictionnaire numérique Usito propose allochtone : «Non autochtone.» Merci.