Le guide alimentaire canadien, bis

En première page du journal la Presse les 6-7 novembre : «Quand les restaurants mangent leurs bas.» Voilà qui devrait étonner.

S’il est vrai que l’on nous recommande souvent de manger régulièrement des fibres, ce titre peut paraître aller un tantinet trop loin. N’est-ce pas exagérer le souci de son transit intestinal ? Est-ce pour cela que le magazine Québec science a déjà parlé du Québécois comme d’un «mangeur distinct» (été 2009) ?

On aurait tort de le penser : au Québec, manger ses bas n’a rien à voir avec l’alimentation. L’expression désigne plutôt un échec complet, ou du moins un échec appréhendé : voilà ce qu’il nous reste quand tout a échoué. Celui qui mange ses bas doit ravaler son honneur. Désespéré, il est à la dernière extrémité.

L’Oreille tendue se demande — mais sans impatience excessive — d’où pareille expression peut bien venir.

P.-S. — Manger ses bas peut aussi signifier être nerveux. «J’ai pensé à Denys Arcand, qui devait être en train de manger ses bas […]» (la Presse, 26 mai 2003). Ce n’est pas l’usage le plus courant.

Une tabarnac de maestria

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de causer jurons, notamment ici, et d’avouer sa longue relation affectueuse avec le mot tabarnac. Elle ne peut donc que s’incliner devant la maestria dont fait preuve Julien Poulin, l’interprète du personne d’Elvis Gratton, quand il se plie aux demandes du réalisateur Pierre Falardeau.

Cela, en effet, mérite applaudissements.

 

[Complément du 27 janvier 2019]

En version hexagonale, avec putain, cela donnerait ceci :

Clémentine Latron, blogue Dessine-moi un expat, Courrier international, 12 octobre 2018Source : Clémentine Latron, blogue Dessine-moi un expat, Courrier international, 12 octobre 2018

Une maille à l’endroit, une maille à l’envers

Au Québec, ce qui est tricoté serré est sans faille.

Il peut s’agir d’une société : «Et puis, c’est qu’on nous la sert monolithique et tricotée serrée, cette société québécoise. Tous blancs, mignons, sortis de la souche de nos aïeux défricheurs, les lofteurs. À d’autres, le fameux vote ethnique. Mais passons…» (le Devoir, 11-12 octobre 2003). Il peut aussi s’agir d’une de ses parties — «L’Asie métissée serrée à Montréal» (le Devoir, 10 août 2010, p. A2) — ou d’une de ses villes — «[La] Vieille Capitale — surtout au niveau des cercles dirigeants — est un petit milieu tricoté serré» (la Presse, 11 janvier 2001).

Laine oblige, l’expression s’appliquerait à l’équipe de hockey dite nationale, les Canadiens de Montréal : «Preuve que la Flanelle est encore tricotée serré dans le cœur des Québécois» (la Presse, 15 janvier 2004, p. S4).

Comme il arrive souvent dès qu’une expression devient populaire, celle-ci connaît de nouveaux emplois.

Soit on l’utilise dans des contextes étonnants, par exemple pour désigner un ensemble de voitures : «Multisegments. Une catégorie métissée serré» (la Presse, 22 avril 2008, cahier Auto, p. 4).

Soit on la modifie juste assez légèrement pour qu’elle reste repérable : on montre par là qu’on sait distinguer les clichés sans y sombrer. Dans Peaux de chagrins, Diane Vincent dit de sa masseuse et de son policier qu’ils sont «crochetés serré» (p. 25). Renald Bérubé évoque, lui, dans les Caprices du sport, des «obligations nombreuses et tressées bien serré» (p. 137). Dans un des quotidiens de l’Oreille tendue hier : «C’est de l’entre nous twitté serré» (le Devoir, 1er novembre 2010, p. B9).

Puis arrive le moment où on lit ceci, dans la Respiration du monde de Marie-Pascale Huglo : «Elle en connaissait un rayon, côté marine, son père était capitaine, elle savait distinguer les authentiques (tricotés serré) des copies et ne plaisantait pas là-dessus : Miss O’Hara ne plaisantait jamais sur la marchandise» (p. 8). Pour une fois que l’expression tricoté serré est utilisée pour désigner proprement des travaux d’aiguille, en l’occurrence un bonnet de marin, c’est à peine si on la reconnaît.

 

[Complément du 26 juillet 2014]

Dans la Presse+ du jour, rubrique cinéma, ceci :

«Famille métissée serrée», la Presse+, 26 juillet 2014

 

 

[Complément du 12 mai 2015]

Existe également en version «Tressé serré» (la Presse, 9 mai 2015, cahier Arts, p. 16).

 

[Complément du 19 septembre 2018]

Lundi soir, à Montréal, un débat télévisé réunissait les aspirants premiers ministres du Québec; c’était une première. Certains se sont opposés à la tenue de ce débat, mais pas Francine Pelletier. Dans le Devoir du jour, elle parle des «Anglos tricotés serrés» qui ont pu s’y reconnaître (p. A11).

 

[Complément du 26 mars 2020]

La publicité aussi, bien sûr.

«Tissés serrés», publicité, mars 2020

 

[Complément du 16 septembre 2021]

En version techno :

«Connectés serrés», publicité de Vidéotron, septembre 2021

 

[Complément du 29 avril 2023]

En version pour bricoleurs.

«Nos clients et nous, on est vissés serrés», publicité, Simplex, 29 avril 2023

 

Références

Bérubé, Renald, les Caprices du sport. Roman fragmenté, Montréal, Lévesque éditeur, coll. «Réverbération», 2010, 159 p.

Huglo, Marie-Pascale, la Respiration du monde. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 165 p.

Vincent, Diane, Peaux de chagrins, Montréal, Triptyque, coll. «L’épaulard», 2009, 236 p.

Un rendez-vous svp

L’Oreille tendue apprend que le Canada a un «agenda», ce «Carnet sur lequel on inscrit jour par jour ce qu’on doit faire, ses rendez-vous, ses dépenses, etc.» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Publicité pour une conférence de Peter Van Loan

Elle imagine qu’il doit être volumineux.

 

[Complément du 20 juin 2024]

Cet emploi, directement emprunté à l’anglais, n’est pas propre au Québec. On le trouve, par exemple, dans la traduction hexagonale d’un roman norvégien : «À l’homme qui suit toujours son propre nez, son propre agenda […]» (le Sauveur, p. 73).

 

Référence

Nesbø, Jo, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2005.

Postnéoyo ?

L’Oreille tendue a deux fils. Le premier l’avait introduite au yo. Le second vient de s’y mettre à son tour.

Le mot peut être une interjection, soit de salutation — «Yo ! Je m’appelle Stéphanie et je suis une ado pas mal colorée» (le Devoir, 4 août 2000) — soit de mise en garde — Yo ! Fais attention.

Substantif, il peut désigner celui qui l’emploie : «Elle a ressenti le climat particulièrement tendu de l’après-consultation, s’est fait suivre par “des jeunes yo !” munis de barres de fer qui voulaient lui faire un mauvais parti» (le Devoir, 5 août 2000).

Si l’on en croit certaines sources familiales, yo connaît maintenant un usage adjectival : T’es yo ! (Traduction approximative : T’es cool !)

Il y a plus fort encore. Selon le Devoir du 15 octobre, il existerait dorénavant un «style néo-Yo» (p. B10).

À quand le postyo, voire le postnéoyo ?