Incendie mortel

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de dire tout le mal qu’elle pense de l’euphémisation lexicale de la mort : décéder, (nous) quitter, disparaître, s’éteindre, partir, être emporté.

Boucar Diouf, entendu hier soir au gala d’ouverture du congrès annuel de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), apporte de l’eau à son moulin. Si Monsieur Tartempion s’éteint, pourquoi dit-on feu Monsieur Tartempion ?

Divergences transatlantiques 009

Serge Bouchard et Bernard Arcand, Du pipi, du gaspillage et sept autres lieux communs, 2001, couverture

Soit le passage suivant, du 9 mai, du blogue d’Éric Chevillard :

Moi, oui, favorable au Grand Soir, que tout valse et se renverse cul-par-dessus-tête, l’ordre économique du monde et tous les systèmes en vigueur — de l’air ! Et cependant, rétif à tout changement, amoureux de la compagne fidèle, de l’île protégée, de la douce habitude, du chaque-chose-à-sa-place (dans ce tiroir, le scotch, la ficelle, les ciseaux; là, les lunettes de soleil; là, les gants), je souhaiterais si possible que le souffle de la bombe n’éparpille pas trop mes petites affaires.

Réflexe : «Tiens ! Il garde de l’alcool dans son tiroir, à côté de la ficelle et des ciseaux.»

Correction : «Il ne s’agit pas d’alcool — de whisky, aurait-on dit en France —, mais de papier collant, pour ne pas dire de scotch tape

Angoisse : «Est-ce par déformation gustative, pour ne pas dire pire, que j’ai vu de l’alcool là où il n’y avait que des fournitures de bureau ?»

P.-S. — Le lecteur porté sur le scotch-qui-colle devrait lire, si ce n’est déjà fait, le texte que lui consacrent Bernard Arcand et Serge Bouchard dans Du pipi, du gaspillage et sept autres lieux communs. Extrait : «C’est une maison heureuse que celle où le scotch tape se trouve toujours sous la main» (p. 141).

 

Référence

Bouchard, Serge et Bernard Arcand, Du pipi, du gaspillage et sept autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2001, 225 p.

Citation ornithologique du jour, bis

Les Canadiens de Montréal affrontent les Penguins de Pittsburgh dans les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey.

Description du match par Jean Dion dans les pages du Devoir : «Cette séquence semble, par un paradoxe zoologique assez sérieux, donner des ailes aux Penguins […]» (7 mai 2010, p. A10).

Divergences transatlantiques 008

Soit le tweet suivant de François Bon (@fbon), le 25 avril :

@mdumais & Co ça vous fait pareil, le coup de la pub iPad, ou bien c’est parce que je suis géo-localisé Boston (Boston en québécois) ?

Qu’est-ce que ces deux Boston, puisque l’un existerait «en québécois» ? Pour une même graphie, il y a le Bostonne (comme cretonne) des francophones européens (pour faire bref) et le Boston (comme cretons) des Québécois. De la même façon, il y a Géorgie, l’État de naissance de Ty Cobb, avec l’accent, et Georgie, sans.

Jusque-là, la situation n’est pas très complexe : deux lieux, des prononciations différentes.

Mais, étonnamment, il y a Ouashingtonne, la ville des Nationals, et Ouashingtonne (on ne dit pas Ouashington) — bref, une sonorité identique d’un côté comme de l’autre du français, même s’il s’agit avec Washington, comme avec celle où est né A. Bartlett Giamatti, d’une ville états-unienne dont le nom se termine en –ton.

La vie de la langue est faite de mystères insondables.

 

[Complément du 23 décembre 2021]

Pandémie oblige, on parle beaucoup, ces jours-ci, du variant Omicron.

Le premier ministre du Québec, François Legault, fait rimer omicron avec contagion. Il rejoint en cela le dictionnaire numérique Usito.

Le premier ministre de la France, Jean Castex, préfère omicrone.

Le toujours excellent Nicolas Guay a écrit un poème de circonstance sur ce sujet, qui n’est pas sans évoquer une des deux villes américaines évoquées ci-dessus. Conclusion de son texte, à la Fred Astaire :

[omikron]
[omikrone]
Let’s call the whole thing off

 

[Complément du 23 juin 2024]

Au dossier de Boston contre Bostonne, versons cette assonance dans la chanson «Le but» de Loco Locass (2009) :

Là c’est baston et rififi
Boston Philadelphie

Les mécontents urbains

Les membres du Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal ne sont pas contents. Ils considèrent que la fusion municipale imposée par le gouvernement du Québec il y a une dizaine d’années n’a pas donné les fruits escomptés à Montréal : à cause du trop grand nombre de «structures municipales» (20 !), d’«administrations municipales» (20 !) et de maires (20 !), la zizanie règne(rait). Résultat : une campagne publicitaire, celle-ci.

L’Oreille tendue se régale.

Les membres du SFMM apostrophent leur ville à la deuxième personne du singulier : «Montréal, fais une ville de toi !» C’est bien leur ville; ils en sont proches.

Ils utilisent une tournure ambiguë. Qui dit Fais un homme de toi valorise un type de comportement supposé (Impose-toi). En revanche, qui dit Fais un fou de toi est plus critique (Couvre-toi de ridicule). Les fonctionnaires municipaux, on l’espère, sont du côté de la valorisation.

Ils demandent à Montréal de se comporter comme une ville. Que pourrait-on lui souhaiter d’autre ? Montréal, fais un village de toi ! ? Montréal, fais un arrondissement de toi ! ? Montréal, fais une région de toi ! ? Montréal, fais une capitale de toi ! ?

Ils ont été prudents : deux hommes, une femme; deux Blancs, un Noir.

Ils ont recours, dans deux cas sur trois, à la phonétique. Quesséçâ ? pour Qu’est-ce que c’est que ça ? Çapâdallure pour Ça n’a pas d’allure (Ça n’a pas de sens). Au passage, on soulignera l’accent circonflexe dans les deux cas : un fonctionnaire municipal, ça cause grave — ou ça s’inspire (vaguement) de Titeuf.

Le troisième cas est plus intéressant : brochafoin. De quoi s’agit-il ? Dans le Dictionnaire québécois instantané, en 2004, nous proposions la définition suivante de broche à foin : «Très déficient, faible.» Nous offrions un exemple : «Il aime Montréal […]. Il aime son caractère broche à foin, mal foutu, parfois quétaine et déglingué» (la Presse, 8 février 2002, p. E1). Le sociologue Alain Médam — c’est de lui qu’il s’agit — a manifestement une tolérance plus élevée au brochafoin que les syndiqués montréalais.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture