Divergences transatlantiques 007

Quoi qu’en disent nombre de philosophes contemporains, la pensée binaire a du bon.

Ainsi, chacun sait que l’humanité, en toutes choses, se répartit en deux catégories : les uns vénèrent la Bible, les autres, le Coran; il y a les lecteurs de Diderot et les disciples de Rousseau; certains humains sont dionysiaques, leurs voisins, apolliniens; les universalistes moquent les régionalistes; les visuels n’écoutent pas les auditifs, et les olfactifs ne peuvent pas sentir les tactiles; on est bordeaux ou bourgogne; il y a ceux qui aiment le baseball et ceux qui ont tort de ne pas l’aimer.

On pourrait se livrer à la même partition en matière de langue : un vidéo, une job, une trampoline, la porno — ici; une vidéo, un job, un trampoline, le porno — là.

Ne reste qu’à croiser : Boire du bourgogne, c’est toute une job ! ou Le Coran ne recommande pas nécessairement le porno, par exemple.

Regret sportif

Victoire des Canadiens hier soir. En troisième période, sauf erreur de la part de l’Oreille tendue, l’entraîneur de l’équipe, Jacques Martin, n’a pas fait jouer du tout Marc-André Bergeron et Sergei Kostitsyn, et presque pas Benoît Pouliot et Glen Metropolit. En termes de hockey, cela s’appelle couper son banc (ne pas se servir de tous les joueurs qui se trouvent sur icelui). Or aucun commentateur, à la télévision, n’a employé l’expression.

Les traditions se perdent.

 

[Complément du 26 avril 2010]

Claude Quenneville, à la radio de Radio-Canada, racontait tout à l’heure que Scotty Bowman, l’ex-entraîneur des Canadiens de Montréal, avait un jour demandé à un employé du Forum, là où jouait l’équipe, de raccourcir (à la scie) le banc de l’équipe adverse, les Bruins de Boston, histoire de les embêter pendant un match. Couper son banc, mais au sens littéral.

Acclimater la Bible

Un petit livre vient de paraître sur la censure au Québec. L’auteur y évoque l’épisode biblique durant lequel la femme de Loth est transformée en colonne de sel (Gn 19:26). Comment la désigne-t-il ? «L’épouse de Loth» (p. 6). L’adaptation est bien québécoise.

Cassures

Stéphanie Kaufmann, Ici et là. Récits, 2009, couverture

 

Stéphanie Kaufmann, l’auteure d’Ici et là (2009), aime les maisons. Certaines expressions doivent la heurter, dont celle-ci : «Ils voulaient casser maison — enfin, ils y songeaient» (p. 30).

Casser maison ? Qu’on se rassure : il ne s’agit pas de vandalisme, du moins pas au sens strict. Mais alors ?

Qui casse maison abandonne un type de vie pour un autre. Cette personne met fin à une forme d’expérience domestique, elle se défait de (presque) tout. Cela se dit surtout de ceux qui quittent la vie active pour la (maison de) retraite.

La perte n’est pas moins grande.

 

Référence

Kaufmann, Stéphanie, Ici et là. Récits, Québec, L’instant même, 2009, 110 p.