Locomotion Québec 101

L’usage du genre féminin est parfois troublant au Québec. Pour des raisons que l’Oreille tendue s’explique mal, c’est particulièrement le cas pour les moyens de locomotion.

On entend (trop) souvent une ascenseur, une escalier roulante, une avion. On ne s’étonnera pas, dans la mesure où quelqu’un dit une autobus, de le savoir prendre la 165 ou la 801. (Alexis Lefrançois l’avait bien vu, en 1971, dans son recueil de poésie 36 petites choses pour la 51.)

Comme toute bonne règle, celle-ci souffre néanmoins une exception : un ambulance.

 

[Complément du 29 septembre 2020]

Ajoutons au dossier cette pièce, diffusée sur Twitter :

«Valideurs à l’essai sur la 139», Twitter, 29 septembre 2020

Du qui qui

Joseph Dumais, le Parler de chez nous. 1922, couverture

Quiconque prête l’oreille dans la Belle Province aura entendu des interrogations en double qui, en construction simple ou complexe. Exemple (classique) de construction simple : Les amis de la garderie, qui qui veut des beignes à matin ? Complexe : De qui qui a peur ?

On aurait tort de penser qu’il s’agit d’une tournure récente. On la trouvait déjà (au moins) au début du XXe siècle.

Soit une brochure de 1922 : le Parler de chez nous. Conférence donnée à l’Hôtel de ville de Québec, sous le patronage de la Société des arts, sciences et lettres, par M. Joseph Dumais. Professeur de diction française, directeur du Conservatoire de Québec, membre de la Société des auteurs canadiens et de la Société des arts, sciences et lettres. L’auteur y traite surtout de phonétique, à la fois française et canadienne (comme on disait à l’époque). Non sans humour, il transcrit des phrases, de France et du Québec, «en gardant l’orthographe qui correspond à la prononciation» (p. 29).

L’une de ces transcriptions est datée du 18 mai 1918. Elle rapporte le difficile parcours scolaire d’un garçon appelé Nicole. Le texte se termine par une interrogation de la mère du petit : «Pou’ez-vous m’dir’ de qui qui quien ?» (p. 31)

Pouvez-vous me dire de qui il tient ? n’aurait certes pas eu le même charme.

 

[Complément du 23 mars 2012]

Pour en savoir plus sur Dumais, on pourra lire le Diable en ville. Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec (2012, p. 203-215).

 

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français considérait «Qui qui parle ?» comme une «question fautive» (p. 16).

 

Références

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Dumais, Joseph, le Parler de chez nous. Conférence donnée à l’Hôtel de ville de Québec, sous le patronage de la Société des arts, sciences et lettres, par M. Joseph Dumais. Professeur de diction française, directeur du Conservatoire de Québec, membre de la Société des auteurs canadiens et de la Société des arts, sciences et lettres, Québec, Chez l’auteur, 1922, ii/41 p. Préface d’Alphonse Désilets, B.A., Homme de lettres, etc.

Lacasse, Germain, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, le Diable en ville. Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, 299 p. Ill.

Ordinaire, bis

L’Oreille tendue le signalait en juin dernier : au Québec, ordinaire, voire assez ordinaire, est un de ces euphémismes qui ont si fort le vent en poupe.

Autre occurrence aujourd’hui dans le Devoir :

Pauline Marois a manqué de «compassion», dimanche, estiment Jean Charest et le ministre libéral en convalescence Claude Béchard. Ils ont trouvé déplacé que la chef du PQ mentionne la maladie de M. Béchard parmi les facteurs qui permettraient à l’opposition de renverser le gouvernement. «J’ai trouvé ça assez ordinaire», a commenté M. Béchard, après une visite au caucus de son parti, hier midi» (p. A3).

Il faut le répéter : pas très — «assez».

Et encore une

Le magazine Lettres québécoises l’annonce en titre : «Québec, capitale des lettres et de l’édition» (numéro 137, printemps 2010, p. 14).  Qui oserait mettre cela en doute

Chronique faunique

Passage étonnant dans un texte du Devoir consacré à la pornographie numérique :

Couples hétérosexuels, homosexuels, transsexuels, jeunes collégiennes en chaleur, couguars, cuirette et compagnie, tout est là en provenance des productions d’aujourd’hui, comme des studios des années 70.

Faut-il entendre, couguars obligent, une allusion à la zoophilie ?

Que nenni : les couguars sont ces femmes, moins jeunes qu’elles ne l’ont déjà été, qui prennent des amants (beaucoup) moins âgés qu’elles.

La morale est sauve (en quelque sorte).

 

[Complément du 11 septembre 2012]

La couguar pourrait aussi se faire pygmalionne. Qu’on se le dise.

 

[Complément du 5 juin 2018]

Dans Gens du milieu, de Charles-Philippe Laperrière (2018), l’accord en genre, dans la phrase suivante, ne porte donc pas à confusion :

Héritier déserteur, fils de grande fortune magnétisé par son propre écrasement, ce Gaétan-là aurait trouvé tout de suite son content dans la fumée épaisse des Craven A, la bonne vieille bohème soûlographique, la fraternité de comptoir et, au fond de la nuit, la joie, futile et fugitive, en cette sorte d’affection froide qu’offrent les péripatéticiennes et les cougars blessées (p. 170-171).

Oui, on peut dire couguar ou cougar, selon le Petit Robert (édition numérique de 2014), qui propose la définition suivante : «Femme quadragénaire ou quinquagénaire qui recherche et séduit des hommes beaucoup plus jeunes qu’elle.»

 

Références

Guglielminetti, Bruno, «Technologie. L’industrie de la pornographie en ligne se sent menacée par le piratage», le Devoir, 10 mai 2010, p. B7.

Laperrière, Charles-Philippe, Gens du milieu. Légendes vivantes, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 121, 2018, 178 p.