L’arroseur arrosé ?

Citation bien vilaine dans le Devoir des 22-23 décembre 2012 : «L’introduction au numéro parle […] de “chercheur.es” et aussi de “professeur.es” et d’“étudiant.es”, dans une pure novlangue uqamiennne, pour inclure dans la même faute le masculin et le féminin» (p. E2).

Étrange arithmétique du même journal une dizaine de jours plus tôt au sujet de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue : «Les efforts ont néanmoins porté leurs fruits. Le taux de diplomation universitaire s’est amélioré. Fait à noter : les trois quarts des étudiantes sont des femmes» (p. A2). Commentaire de @MADandurand (merci pour la citation) : «L’autre 1/4 des étudiantes est de quel sexe ?».

La novlangue serait-elle partagée ?

Sexisme ordinaire ?

«Ta race est d’une stupidité rare
et d’un sexisme affligeant,
Nikopol.»
Enki Bilal, la Foire aux immortels

Hélène Desmarais a récemment été nommée à l’Académie des grands Montréalais. Comment le Devoir la présente-t-elle ? «“Une grande dame de Montréal.” Hélène Desmarais fréquente les conseils» (17 novembre 2010, p. C3).

Faut-il comprendre que l’«épouse de Paul Desmarais» fréquente «les conseils» — entendre : «les conseils d’administration» — comme d’autres «fréquentent» les salons de thé ou les ventes de garage ? Non : elle préside, par exemple, les conseils d’administration de HEC Montréal, de la Société de développement économique Ville-Marie, de la Société d’investissement Jeunesse et de l’Institut économique de Montréal. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

De Liège à Ajaccio

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de citer ce souvenir de Christian Vandendorpe :

L’orateur s’éclaircit la gorge et commença : «Les Québécois et les Québécoises, les Français et les Françaises, les Suisses et les Suissesses ainsi que les Belges ont en commun une langue…». Ma voisine gloussa : «Qu’est-ce que c’est que ce peuple qui n’est même pas fichu d’avoir les deux genres ?» (1995, p. 143)

Découvrant les exquises Notules dominicales de culture domestique de Philippe Didion, elle tombe sur ceci, où l’auteur parle d’une soirée électorale hexagonale à la radio et à la télévision :

j’aime les camemberts et les fourchettes, les estimations, les projections et les simulations, j’aime l’application politiquement correcte, c’est le cas de le dire, avec laquelle les candidats adressent leurs remerciements aux électrices et aux électeurs, aux Françaises et aux Français, aux Lorraines et aux Lorrains, aux Rhône-alpines et aux Rhône-alpins, aux Corses et aux Corses (2008, p. 106).

Belges et Belges, Corses et Corses, unissez-vous !

 

[Complément du 16 mai 2015]

C’est maintenant au tour des élèves et des élèves, chez Patrick Nicol, dans son Album qui vient de paraître, la Nageuse au milieu du lac :

L’objet de la réunion m’est enfin révélé : les personnes réunies ici, qui forment des techniciens et des techniciennes en inhalothérapie, tiennent à appuyer leurs étudiantes et leurs étudiants dans l’apprentissage ardu des matières de la formation générale dont elles reconnaissent par ailleurs la valeur et la nécessité, mais qui les laissent parfois, avouons-le, démunies devant leurs élèves et élèves […] (2015, p. 102).

 

Références

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.

Vandendorpe, Christian, «Du fondamentalisme linguistique ou de la tentation de rectifier la pensée par le langage», Discours social / Social Discourse, vol. 7, no 1-2, hiver-printemps 1995, p. 135-152.

Patrick Nicol, la Nageuse au milieu du lac. Album, 2015, couverture

L’art d’être grand-père

Les photos ont fait le tour du monde : une jeune Brésilienne participe au sommet du G8 en Italie.

Le Devoir d’aujourd’hui commente, mais sur deux registres, un par photo.

En première page, pour la photo de Reuters, on joue sur le fripon, sous le titre «Accord franco-américain» : «La marche est haute vers le sommet du monde et le chemin, semé d’embûches de toutes sortes. C’est sous l’œil torve et l’attention enjouée de deux très importants présidents, l’un français, l’autre américain, que la jeune déléguée brésilienne du Sommet junior a rejoint celui de son pays, le président Lula da Silva, sur le podium […]» (p. A1).

En dernière page du premier cahier, pour la photo de l’Agence France-Presse, on fait dans le familial : «Comme un grand-père bienveillant, le président du Brésil, Lula da Silva, entraîne de sa main protectrice une des jeunes déléguées de son pays au Sommet junior 8» (p. A10).

Ils ont «l’œil torve»; il a la «main protectrice». Une photo ne vaut pas toujours mille mots.