Curiosité voltairienne (et jazzée)

Mauricio Segura, Oscar, 2016, couverture

«Les habitants du quartier étaient condamnés à se livrer au jeu des suppositions, puisqu’à cause de ses incessants voyages presque plus personne ne le fréquentait. Assurément, la blessure était toujours béante, voire infectée, mais apparemment il faisait de grands efforts pour feindre que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes : il louait volontiers en entrevue la qualité de la musique d’Art T. pour aussitôt faire dévier la conversation sur son univers musical à lui, ses propres ambitions.»

Mauricio Segura, Oscar. Roman, Montréal, Boréal, 2016, 231 p., p. 125.

 

Au cinquième chapitre de Candide (1759), le conte de Voltaire, on lit : «Je demande très humblement pardon à Votre Excellence, répondit Pangloss encore plus poliment, car la chute de l’homme et la malédiction entraient nécessairement dans le meilleur des mondes possibles.»

 

Voltaire est toujours bien vivant.

L’oreille tendue de… Jean-Christophe Réhel

Jean-Christophe Réhel, «Les ciseaux près des yeux», 2025, illustration

«Depuis, je vis à la goutte près. J’ai développé une oreille fine : je reconnais le son d’un robinet mal fermé à travers deux murs et une porte. Je tends l’oreille avant de me coucher, juste pour être certain qu’aucune fuite ne siffle quelque part dans la tuyauterie. Je rêve parfois que je marche dans un désert de porcelaine, entouré de lavabos vides et de douches desséchées. Je me réveille la gorge sèche, et je me verse un fond d’eau tiède, comme un alcoolique qui rationne son dernier verre. Prendre une douche pendant que quelqu’un rince une assiette, c’est devenu de la pure folie. Je chronomètre mes douches : trois minutes trente, pas plus. Les cheveux restent parfois pleins de savon, mais au moins, la pompe ne rugit plus. J’ai appris à aimer le bruit du silence. Le bruit de ne pas manquer d’eau.»

Jean-Christophe Réhel, «Les ciseaux près des yeux», le Devoir, le D magazine, «Le feuilleton de Jean-Christophe», 22-23 novembre 2025, p. 29.

Accouplements 270

Jean-François Chassay, la Forme d’une ville, le cœur d’une littérature, 2025, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Gendreau, Vickie, Testament. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 60, 2012, 156 p.

«Dans la marée étudiante en révolte, il n’y a pas de pancartes avec des fautes» (p. 32).

Biz, la Chaleur des mammifères, Montréal, Leméac, 2017, 160 p.

«C’est vrai qu’ils écrivent bien. Y a même pas de fautes sur leurs pancartes» (p. 132).

 

P.-S.—L’Oreille tendue emprunte cet accouplement au plus récent livre de son ami Jean-François Chassay, la Forme d’une ville, le cœur d’une littérature (2025, p. 97 et p. 101-102).

P.-P.-S.—Les pancartes dont il est question sont celles des manifestations étudiantes de 2012. L’Oreille en a rassemblé quelques exemples ici et elle en a causé .

 

Référence

Chassay, Jean-François, la Forme d’une ville, le cœur d’une littérature, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Champ libre», 2025, 219 p.

L’oreille tendue de… Mauricio Segura

Maurice Segura, les Amandiers en fleurs, 2025, couverture

«À voix basse, ce qui m’oblige à tendre l’oreille, elle me raconte que pendant la dictature, au deuxième étage de ce lieu, à l’insu même des commerçants autour, des militaires torturaient à leur guise, de jour comme de nuit, sans que personne en sache rien, et qu’aujourd’hui encore aucune plaque n’en fait mention.»

Maurice Segura, les Amandiers en fleurs. Roman, Montréal, Boréal, 2025, 193 p., p. 38-39.