De la Bretagne (et du Québec)

Jean Lecoulant et Ronan Calvez, En Bretagne ça se dit comme ça !, 2024, couverture

Plus tôt cette année, les éditions Le Robert lançaient, sous la direction de Médéric Gasquet-Cyrus, la collection «Ça se dit comme ça !» À ce jour, trois variétés du français hexagonal ont été abordées : à Marseille, dans le Nord et en Picardie, en Bretagne.

Allons voir du côté des Bretons.

Le livre est joli, sur du papier épais, avec de très nombreuses illustrations (dessins, cartes, photos). Les expressions propres à la Bretagne sont présentées de deux façons : par ordre alphabétique (de «ac’hi-ac’ha» [en bisbille] à «yec’hed mad» [bonne santé]») et par regroupements thématiques (oui, il y a deux pages sur les crêpes). S’ajoutent à cela un «Avant-propos» («Prêtons l’oreille à ce qui se dit et on aura du goût»), un index et une bibliographie. Les lecteurs sont interpelés à l’occasion.

Les auteurs, Jean Lecoulant et Ronan Calvez, sont constamment sensibles aux liens entre le «français standard», le breton et le gallo; c’est cela qui explique plusieurs particularités du «français régional» ou «local» de Bretagne. Ils donnent de nombreuses indications de prononciation et proposent des étymologies. Leur Bretagne n’est pas uniforme, mais plutôt faite de sous-régions.

Lu du Québec, l’ouvrage dépaysera souvent, mais pas toujours. Pour une oreille québécoise, en effet, quelques expressions ne posent aucun problème de compréhension : avoir de la misère (souffrir, avoir des difficultés, p. 14), chez nous (notre, p. 38), ramasser et serrer ses affaires (les ranger, p. 53), ce serait péché (ce serait dommage, p. 104), poquer (heurter, emboutir, p. 114), toujours (en tout cas, p. 128), trouver dur (avoir du mal, de la peine, p. 131), etc.

L’Oreille tendue a trouvé une expression qui la ravit en matière d’imbibition : «casser la soif» (p. 126). C’est adopté.

P.-S.—Déplorons une absence : l’entrée «menhir, dolmen» (p. 94-95) ne fait pas du tout allusion à Obélix.

 

[Complément du jour]

Au moment de mettre ceci en ligne, l’Oreille apprend la parution du quatrième volume de la collection… aujourd’hui : En Alsace ça se dit comme ça !

 

Références

Dawson, Alain et Liudmila Smirnova, Dans le Nord et la Picardie ça se dit comme ça !, Paris, Le Robert, coll. «Ça se dit comme ça !», 2024, 144 p. Ill.

Erhart, Pascale, En Alsace ça se dit comme ça !, Paris, Le Robert, coll. «Ça se dit comme ça !», », 2024, 144 p. Ill.

Gasquet-Cyrus, Médéric, À Marseille ça se dit comme ça !, Paris, Le Robert, coll. «Ça se dit comme ça !», », 2024, 144 p. Ill.

Lecoulant, Jean et Ronan Calvez, En Bretagne ça se dit comme ça !, Paris, Le Robert, coll. «Ça se dit comme ça !», », 2024, 143 p. Ill.

Tropes orphelins

Raymond Queneau, les Œuvres complètes de Sally Mara, éd. de 1979, couverture

L’Oreille tendue, depuis 2011, propose un «Dictionnaire personnel de rhétorique».

Il lui arrive de se retrouver avec des phrases dont elle ne sait que faire. Deux exemples.

«Elle avait une maison à tenir et très peu de temps pour la douceur et jamais le matin» (Arvida, p. 130).

«Il continuait à pleuvoir et le gardien à m’interroger» (Journal intime de Sally Mara).

Ce sera tout pour l’instant.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Queneau, Raymond, «Journal intime», dans les Œuvres complètes de Sally Mara, Paris, Gallimard, coll. «L’imaginaire», 48, 1979, 360 p., p. 11-190. Édition originale : 1962.

Le zeugme du dimanche matin et de Bertrand Leclair

Surveillances, recueil collectif, 2016, couverture

«Un spectre sans identité ? Le parfait inconnu, je suis bien placé pour savoir que ça n’existe pas, un parfait inconnu — mais c’est une autre histoire, ça, on verra plus tard si j’ai le courage et encore de la mine, je n’ai plus l’habitude aussi, je finis par avoir des crampes à l’index.»

Bertrand Leclair, «Dimenticator», dans Surveillances, publie.net, 1996, 166 p., p. 83-97, p. 89.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Maigret vu de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson

Georges Simenon, Maigret à New York, 1947, couverture

Il y a souvent, dans les romans de Georges Simenon, des allusions à la méthode bien peu orthodoxe de son personnage fétiche, le commissaire Jules Maigret.

Dans Maigret à New York, rédigé en 1946, Simenon ne se contente pas d’allusions; la méthode de Maigret est un des leitmotive du roman.

Désormais à la retraite, l’ex-commissaire s’est laissé embarquer dans une affaire familiale américano-française. Ne maîtrisant pas bien l’anglais, il a du mal à faire son travail, malgré l’aide de collègues états-uniens. Comment procède-t-il ?

Il n’a jamais d’idées (p. 37). Il flâne : «il avait toujours été un flâneur» (p. 67). Il ne sait pas «exactement» ce qu’il cherche (p. 87). Il ne s’intéresse pas particulièrement aux «faits» (p. 122) et aux «idées» précis (p. 143). Il se dit «pas intelligent» (p. 142) et il refuse de se «faire une idée sur une affaire avant qu’elle soit terminée» (p. 142). Il se laisse porter par ce qu’il voit, entend, ressent :

Je nage, lieutenant… Sans doute nageons-nous tous les deux. Seulement, vous, vous luttez contre le flot, vous prétendez aller dans une direction déterminée, alors que moi je me laisse aller avec le courant en me raccrochant par-ci par-là à une branche qui passe (p. 143).

Arrive pourtant un moment où les choses prennent forme dans son esprit : il entre alors «en transe» (p. 145), il se trouve «dans le bain» (p. 145).

Pendant des jours, parfois des semaines, il pataugeait dans une affaire, il faisait ce qu’il y avait à faire, sans plus, donnait des ordres, s’informait sur les uns et sur les autres, avec l’air de s’intéresser médiocrement à l’enquête et parfois de ne pas s’y intéresser du tout. […] Puis soudain, au moment où on s’y attendait le moins, où on pouvait le croire découragé par la complexité de sa tâche, le déclic se produisait. […] les personnages du drame venaient, pour lui, de cesser d’être des entités, ou des pions, ou des marionnettes, pour devenir des hommes. […] Tel individu, à un moment de sa vie, dans des circonstances déterminées, avait réagi, et il s’agissait, en somme, de faire jaillir du fond de soi-même, à force de se mettre à sa place, des réactions identiques (p. 145-147).

Rien de compliqué : «Il ne fallait pas courir après les vérités qu’on voulait découvrir, mais se laisser imprégner par la vérité pure et simple» (p. 149-150); «Se rendre compte, tout simplement» (p. 151); «Seulement, pour comprendre cette simplicité-là, il fallait aller tout au fond et non se contenter d’explorer la surface» (p. 152).

Ça ne marche pas trop mal.

P.-S.—Pourquoi Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson ? Le roman y a été rédigé.

 

Référence

Simenon, Georges, Maigret à New York, Paris, Presses de la Cité, coll. «Le livre de poche», 14242, 2019, 189 p. Édition originale : 1947.