Chronique de saison

Il commence à faire frisquet de ce côté de l’Atlantique. La preuve ? Le tweet suivant, de Mahigan Lepage, le 16 septembre : «allumer le calorifère (oui, le calorifère) pour la 1ère fois de la saison, entendre crépiter la poussière, sentir griller les mouches mortes».

«Calorifère», donc. En l’occurrence : au Québec, un radiateur, qu’il soit électrique ou à eau chaude. Selon le Petit Robert (édition numérique de 2010), le mot est «vieux» pour désigner un «Appareil de chauffage». On ne dit rien de son usage régional.

On ne dit rien non plus de son usage chez Simenon dans l’Affaire Saint-Fiacre : «Il ne gaspillait pas les bûches, mais se contentait d’un réchaud à pétrole, qu’il plaçait tout près de lui, pour suppléer au calorifère… disait Maurice de Saint-Fiacre» (p. 103-104).

Le mot est utilisé depuis longtemps en Amérique septentrionale. Deux exemples des années 1920.

Le premier vient des 2000 mots bilingues par l’image de notre ami l’abbé Blanchard. La légende de l’illustration numéro 13 de la page 23 est la suivante : «Calorifère, serpentin. Coil, radiator

 

Abbé Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l’image, éd. de 1920, p. 23, «Serrurerie, quincaillerie, etc.»

Le second est tiré de la Beauté du verbe (Entretiens sur la langue française au Canada) d’Alfred DeCelles fils. Il s’agit alors d’expliquer une apocope mâtinée de prononciation anglaise : «Caille ou coil (calorifère). Souventes fois on intercale ce mot dans des phrases de ce genre : “Faut qu’j’aille voir à ma caille, voir si ya d’lair dedans !”» (p. 31). Le mot serait féminin; l’Oreille tendue s’étonne un brin, qui ne connaît «caille» et «calorifère» qu’au masculin.

C’est ça ou une petite laine.

P.-S. — On trouve aussi le mot dans Filles du calvaire (2011) d’Annie Rioux : «Ça fait trop longtemps, c’était à la période glaciaire où on apprenait encore à nous réchauffer les mains sur les calorifères de nos rêves.»

 

[Complément du 22 mars 2012]

En janvier 1938, rapporte l’ouvrage le Diable en ville (2012, p. 105 n. 70), le Monument-National de Montréal présente un spectacle signé Henry Deyglun. Son titre ? Il fait froid, Qu’alors y faire !

 

[Complément du 27 juin 2014]

Le Devoir du jour offre un rare exemple d’emploi adjectival : «calorifère titre de l’album du groupe ad hoc Black Dub» (p. B4).

 

[Complément du 6 août 2018]

Fidèle à ses habitudes, Jules Verne voir plus grand que tout le monde : «Ce Gulf-Stream est un vaste calorifère qui permet aux côtes d’Europe de se parer d’une éternelle verdure» (Vingt mille lieues sous les mers, p. 399).

 

[Complément du 3 février 2021]

Selon un outil très précieux (À la recherche du temps perdu – Texte intégral), Marcel Proust utilise sept fois calorifère dans la Recherche, trois fois sous la forme calorifère à eau.

 

[Complément du 15 mai 2022]

Nouvel exemple adjectival, mais romanesque celui-là, chez Alex Viens : «L’enfant rejoint prudemment son père. Il écrase sa cigarette avant de cueillir sa fille avec ses mains calorifères» (les Pénitences, p. 127).

 

Références

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, L’Imprimerie des marchands limitée, 1920, 112 p. Ill.

DeCelles fils, Alfred, la Beauté du verbe (Entretiens sur la langue française au Canada), Ottawa, Imprimerie Beauregard, 1927, 58 p.

Lacasse, Germain, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, le Diable en ville. Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, 299 p. Ill.

Rioux, Annie, Filles du calvaire, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Décentrements», 2011. Édition numérique.

Simenon, Georges, l’Affaire Saint-Fiacre, Paris, Librairie générale française, coll. «Le Livre de poche», 14293, 2003, 186 p. Édition originale : 1932.

Verne, Jules, Vingt mille lieues sous les mers, Paris, J. Hetzel et cie, 1871, 436 p. Illustré de 111 dessins par de Neuville.

Viens, Alex, les Pénitences. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2022, 128 p.

Neuvième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Pléonasme

Définition

«Répétition non nécessaire d’un élément de sens déjà contenu dans les mots précédents, soit intentionnellement, pour renforcer l’expression (“Je l’ai vu, de mes yeux vu !”), soit par inadvertance ou ignorance. Dans le second cas, le pléonasme est considéré comme une faute à proscrire; la tradition classique française lui a d’ailleurs fait une chasse parfois forcenée» (Dictionnaire des termes littéraires, p. 369).

Exemples

Presse. «Télérama signale cette semaine l’édition d’un Micro-guide, document édité par Radio France à l’usage de ses journalistes et destiné à signaler les “euphémismes, approximations, lieux communs, fautes de français, mauvaises liaisons, pléonasmes, facilités de langage” dont ils émaillent leurs interventions. Les quatre auteurs, nous dit-on, “ont fait du tri sélectif dans le grand flux de l’expression orale”. Apparemment, Télérama, pour sa part, ne traque pas encore le pléonasme» (Notules, n° 294, 11 février 2007).

Radio. «Thúy, Janovjak et leur correspondance épistolaire» (site de Radio-Canada, 7 septembre 2011).

«Thúy, Janovjak et leur correspondance épistolaire», site de Radio-Canada, 7 septembre 2011

 

Risques liés à son utilisation

«J’ai vu que l’orateur allait être froid et ennuyeux, qu’il parlerait par catachrèse, sans métaphore et avec pléonasme, que son texte était mal pris et son épigraphe impropre, que chaque membre serait uniforme, sans grâce et dénué de ce sel et de ces nuances si nécessaires à l’âme du discours et si recommandées par Cicéron; que d’ailleurs la matière, assez sèche par elle-même, était totalement étrangère à mon existence et au genre d’art que je cultive. Moyennant quoi, j’ai congédié l’orateur» (Sade, lettre à sa femme, 17 septembre 1780, p. 176).

 

[Complément du 19 décembre 2015]

L’adjectif construit à partir de pléonasme est pléonastique. Exemple, chez Jean-Philippe Toussaint, dans Football (2015) : «J’ai connu des stades combles et des cafés déserts. J’ai vu des matchs dans des bouis-bouis à nouilles aux murs décorés de photos pléonastiques des plats qu’on mange […]» (p. 65).

 

[Complément du 17 novembre 2018]

Description d’une bagarre de rue dans Tout savoir sur Juliette (2018), le roman que vient de publier Érik Vigneault : «deux habitués de la rixe (j’ai d’abord écrit rixe publique avant de constater après avoir vérifié qu’il se fût agi d’un pléonasme, les pléonasmes sont partout, ils se reproduisent comme des lapins comme les clichés)» (p. 131-132). Sous rixe, le Petit Robert (édition numérique de 2014) corrobore : «Querelle violente accompagnée de coups, parfois avec des armes blanches, dans un lieu public.»

 

[Complément du 15 décembre 2020]

Soit la phrase suivante, tirée d’un quotidien montréalais : «Et Malka a poursuivi dans une défense passionnée de “ces fameuses valeurs républicaines ébranlées” (ses mots), au premier rang desquelles figure la liberté d’expression.»

Les guillemets servant à indiquer que l’on rapporte des paroles, pourquoi indiquer qu’il s’agit de «ses mots» ? Cela est clair. Faudrait-il parler de pléonasme typographique ?

 

Références

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Sade, Lettres à sa femme, Arles, Actes Sud, coll. «Babel», série «Les épistolaires», 249, 1997, 459 p. Choix, préface et notes de Marc Buffat.

Toussaint, Jean-Philippe, Football, Paris, Éditions de Minuit, 2015, 122 p.

Van Gorp, Hendrik, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, coll. «Dictionnaires & références», 6, 2001, 533 p.

Vigneault, Érik, Tout savoir sur Juliette. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2018, 177 p.

Divergences transatlantiques 017

Vous en avez trop, et assez. Vous ramassez tout et vous foutez ça sur le trottoir : c’est à vendre.

D’un côté de l’Atlantique, vous organisez un vide-grenier.

François Bon : «On aime déambuler dans les brocantes ou les vide-greniers parce que ce sont de telles réminiscences qui reviennent aux choses d’hier, mais si usées par d’autres elles vous restent indifférentes, on ne dépenserait pas un centime pour se les approprier» («autobiographie des objets | 40, un Popeye en bouchon»).

Philippe Didion : «Tendance. Caroline et Lucie se rendent au marché de Noël du quartier. La prolifération de ces rassemblements va bientôt atteindre celle des vide-greniers. Elle est là la France coupée en deux : six mois de marché de Noël, six mois de vide-grenier» (Notules, no 90, 22 décembre 2002).

De l’autre, une vente de garage ou une vente (de) débarras. (En anglais : garage sale, yard sale.)

Bilinguisme québécois oblige, comme le faisait remarquer AH, on se retrouve parfois devant de troublantes affichettes (la première des deux ci-dessous).

Annonces de ventes de garage, Montréal, 2011

Qu’on se rassure : ni la vente ni le garage ne sont sales. (Mais l’habitude d’ainsi fondre les langues — vente de garage + garage sale = vente de garage sale —, si.)

P.-S. — Tendance nouvelle, du moins aux yeux de l’Oreille tendue, dans le quartier montréalais où elle habite : organiser une vente de garage au profit d’une bonne œuvre. Achetez un truc inutile que vous revendrez à votre prochaine vente de garage; double bénéfice, et renouvelable, pour la bonne œuvre.

 

[Complément du 26 septembre 2014]

Plus radical : «Vente DU garage.»

Vente «du» garage, Montréal, 2014, affiche

 

 

[Complément du 28 août 2016]

S’il faut en croire le narrateur de la nouvelle «Je t’aime, Cowboy» (1984) de T.F. Rigelhof, la vente de garage aurait une forte spécificité ethnoculturelle :

Even though Perrault speaks serviceable English, the term Garage Sale confuses him. These two words put together in this way suggest to him that it is le garage itself that is for sale. But this is only a momentary thing, good for a quick laugh at his own expense. There is another, deeper confusion that registers within him when he sees these words, the confusion of a man suddenly caught out of his depth. Garage Sales are an anglais thing. People in his own parish of St. Henri never sell the things they no longer use. What they don’t need, they give away. If one does not have a poor relation or neighbour, there is always the parish church with its clothing and furniture collections for fire victims. The only things that aren’t needed are the things nobody could ever use — stoves stripped of fittings, refrigerators stripped of motors and autos stripped of every possible part that are as burnt-out and skeletal as the gutted houses in whose yards they squat. And so Perrault always accelerates when he passes a Garage Sale : they are foreign, incomprehensible. More, they are somewhat indecent (éd. 1989, p. 237-238).

À chaque solitude son rapport à ses vieilleries ?

 

[Complément du 17 novembre 2019]

Éva Caradec, la narratrice du récent Propriété privée (2019) de Julia Deck, est claire : «J’abhorrais spécialement les vide-greniers. Depuis toujours, je me tenais éloignée de ces déballages d’objets inutiles, dont les propriétaires monopolisent le trottoir avec une jovialité indécente, comme s’il n’existait pas de plus grand bonheur sur terre que de se soûler tout un dimanche en exhibant ses rebuts» (p. 70-71).

 

[Complément du 19 octobre 2021]

Le garage sale n’est plus, commercialement, ce qu’il était : on y accepte maintenant les cartes.

Annonce de vente de garage, Westmount, 9 octobre 2021

 

Références

Deck, Julia, Propriété privée. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2019, 173 p.

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Rigelhof, T.F., «Je t’aime, Cowboy», Matrix, 1984, reproduit dans Michael Benazon (édit.), Montreal mon amour. Short Stories from Montreal, Toronto, Deneau, 1989, xix/290 p., p. 237-242.

Huitième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Oxymore, oxymoron

Définition

«Figure qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires pour leur donner plus de force expressive (ex. Une douce violence; hâte-toi lentement)» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Exemples

«Presse. Le Monde publie un billet nécrologique consacré à “Sir Brooks Richards, célèbre agent secret britannique”, ce qui constitue, si je ne m’abuse, un bel oxymore» (Notules, no 79, 6 octobre 2002).

Au Québec : Révolution tranquille.

 

[Complément du 26 octobre 2015]

Quand une université montréalaise crée une bourse «Lambda pour l’excellence», c’est un oxymore ou une contradiction dans les termes ? (Lambda : «Moyen, quelconque», dit le Petit Robert, édition numérique de 2014.)

 

[Complément du 19 décembre 2015]

Autre exemple, chez Jean-Philippe Toussaint, dans Football (2015) : «Le football permet d’être, non pas nationaliste, il y aurait là une connotation politique détestable qui ne m’effleure même pas, et pas même patriote, mais chauvin, j’entends par là un nationalisme pas dupe, au deuxième degré, un nationalisme ironique, l’oxymore est parfait, il n’y a pas de termes plus antinomiques, la séduction de l’adjectif semble contredire ce que le mot peut avoir de déplaisant, ou, pour tout dire, un nationalisme enfantin, de l’ordre d’une vantardise primaire, une fanfaronnade euphorique et gamine : Vive la Belgique !» (p. 27-28)

 

[Complément du 11 novembre 2018]

Allons faire un tour au musée.

Muséologie et oxymores

 

Références

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Toussaint, Jean-Philippe, Football, Paris, Éditions de Minuit, 2015, 122 p.