De P en P

On connaissait les PPP, ces partenariats public-privé qui plaisent tant aux entrepreneurs néolibéraux. On leur a même créé une agence gouvernementale, aujourd’hui — provisoirement ? — en dormance, l’APPPQ.

Comme il en était question à tout moment pendant quelques années, on s’est mis à utiliser l’expression à plusieurs sauces.

Il y eut un «parti pris pour les pauvres», le PPPP (le Devoir, 7 octobre 2004).

Puis un PPPS, le partenariat public-privé-syndicat (la Presse, 27 mars 2006).

Le Devoir des 30 et 31 janvier va une lettre plus loin, sur le plan alimentaire : pâtes, pizzas, patates, poulet et poutine sont des aliments qui ont actuellement mauvaise presse chez certains. Voici donc les PPPPP.

On n’arrête pas le progrès.

Les gardiens

Yves Pagès, Petites natures mortes au travail, 2000, couverture

Correcteur, lecteur-correcteur, réviseur, correcteur linguistique, réviseur de manuscrits, quand ce n’est pas père-la-virgule : les étiquettes changent, mais le travail reste le même, donner à un texte la plus grande correction possible, notamment sur le plan de la langue, auprès des maisons d’édition, dans la presse et sur Internet.

Le quotidien Libération rend hommage à ceux qui pratiquent ce travail dans son édition du 6 janvier 2010 et, surtout, rappelle leur très grande précarité.

On entend généralement peu parler (de) ces artisans de l’ombre. Deux exceptions. L’une numérique : le blogue des correcteurs du Monde.fr, «Langue sauce piquante». L’autre dans le recueil de courts récits d’Yves Pagès, Petites natures mortes au travail (2000) : voir, par exemple, le personnage de Léopold, correcteur scientifique, puis journalistique, dans «Le syndrome delphinien». Extrait :

Léopold s’était mis dans la peau du contremaître surveillant une chaîne de montage industrielle. En chaque mot, il voyait une pièce détachée qui devait répondre aux normes. En chaque phrase, il assurait la comptabilité du kit des modules grammaticaux. Sa cadence de relecture ne lui laissait pas le choix, il contrôlait le défilement de cette prose spécialisée à flux tendus. D’où sa rage de petit chef contre la mauvaise ouvrage d’auteurs soit désinvoltes soit dyslexiques soit les deux; et son mépris pour la clientèle estudiantine de ces monographies animalières qui ignorait tout de son labeur invisible (p. 70).

Ça se terminera mal.

Au Québec, la revue Liberté, en 1985, avait publié, en deux articles, sous le titre «Les taupes de l’édition», une défense et illustration de ce métier par Suzanne Robert et Jean-Pierre Leroux. Plus récemment, Nadine Bismuth lui a consacré un roman caustique, Scrapbook (2004).

C’est sûrement incomplet, mais c’est peu.

 

[Complément du 15 février 2014]

Les plus célèbres correcteurs d’épreuves du Québec sont André et Nicole Ferron, dans l’Hiver de force (1973) de Réjean Ducharme :

On lui aurait dit comment on a vu pulluler les fautes et les coquilles, et on lui aurait rappelé qu’on est des correcteurs d’épreuves à la pige. C’est vrai. Le peu de vie que nous gagnons, c’est comme correcteurs d’épreuves. Les éditeurs et les imprimeurs de Montréal ont tous notre numéro de téléphone. Il n’y en a pas des tas qui nous appellent, certes, il n’y en a même qu’un ou deux, mais ça ne prouve pas que nous ne soyons pas compétents. Nous connaissons par cœur la grammaire Grevisse (Le bon usage, Duculot, Gembloux, 1955) (p. 50).

 

Références

Bismuth, Nadine, Scrapbook. Roman, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 176, 2006, 393 p. Édition originale : 2004.

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Leroux, Jean-Pierre, «Exercices de révision», Liberté, 162 (27, 6), décembre 1985, p. 10-16. https://id.erudit.org/iderudit/31304ac

Pagès, Yves, Petites natures mortes au travail. Récits, Paris, Verticales et Seuil, 2000, 122 p.

Robert, Suzanne, «Prête-moi ta plume… et ton cerveau», Liberté, 162 (27, 6), décembre 1985, p. 3-10. https://id.erudit.org/iderudit/31303ac

Citation inimitable du jour

Plume Latraverse, Plume pou digne, 1974, pochette

Lue il y a longtemps, et jamais oubliée, cette phrase, sur la pochette de l’album Plume pou digne de Plume Latraverse (1974) : «Il mangeait peu, mais mal» (P. Landry).

 

[Complément du 30 mai 2018]

Dans le même ordre d’idées, citons cette phrase de Jean Echenoz, dans Cherokee (1983) : «Georges ne disposant pas encore d’un bureau pour lui seul, Bock lui avait cédé une parcelle du sien pour qu’il examine à son aise le dossier Ferro, composé de documents dépareillés quoique redondants, pauvres en informations, qu’on suspectait parfois d’avoir été mis là dans le seul but de faire épais» (p. 58). «Dépareillés quoique redondants» : cela réjouit.

 

[Complément du 31 mai 2018]

L’ami Jean-François Nadeau ajoute son grain de sel à cette série en rappelant à l’Oreille tendue la scène d’ouverture du film Annie Hall de Woody Allen (1977) :

There’s an old joke. Two elderly women are at a Catskill mountain resort, and one of them says, «Boy, the food at this place is really terrible.» The other one says, «Yeah I know. And such small portions.» Well, that’s essentially how I feel about life. Full of loneliness, and misery, and suffering, and unhappiness — and it’s all over much too quickly.

De la mauvaise nourriture, en trop petite quantité. Elles mangeaient peu, mais mal.

 

[Complément du 2 janvier 2024]

Comme il se doit, la phrase de P. Landry se trouve dans l’album collectif Plume. Chansons par toutes sortes de monde : «Son père, au poilu caractère, était un homme qui mangeait peu, mais mal» (p. 13).

 

Références

Echenoz, Jean, Cherokee. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1983, 247 p.

Plume. Chansons par toutes sortes de monde, Moult éditions, 2023, 189 p. Ill.

Citation géographique du jour

Jean Echenoz, Je m'en vais, 1999, couverture

«Vous allez sur Toulouse ? lui demande Baumgartner.

La jeune femme ne répond pas tout de suite, son visage n’est pas bien distinct dans la pénombre. Puis elle articule d’une voix monocorde et récitative, un peu mécanique et vaguement inquiétante, qu’elle ne va pas sur Toulouse mais à Toulouse, qu’il est regrettable et curieux que l’on confonde ces prépositions de plus en plus souvent, que rien ne justifie cela qui s’inscrit en tout cas dans un mouvement général de maltraitance de la langue contre lequel on ne peut que s’insurger, qu’elle en tout cas s’insurge vivement contre, puis elle tourne ses cheveux trempés sur le repose-tête du siège et s’endort aussitôt. Elle a l’air complètement cinglée.»

Jean Echenoz, Je m’en vais. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1999, 252 p., p. 194.

 

[Complément du 29 mars 2018]

Lecture du jour : «Ce site web prend la forme d’archives ouvertes traitant des sciences de l’ingénieur et regroupant divers articles, chapitres d’ouvrages, comptes-rendus [sic] de conférences ainsi que des sujets de thèse traités dans ce domaine sur Toulouse» (source).