Contextes

Pierre Michon, les Onze, 2009, couverture

Il est jadis arrivé à un étudiant de l’Oreille tendue, au moment de soutenir sa thèse de doctorat, de se faire reprocher d’avoir utilisé — en toute connaissance de cause, pourtant — l’expression «“has been” de la sociabilité». Il n’aurait pas fallu parler ainsi de la décadence de Paris.

Cet étudiant, qui n’en est plus un, se consolera peut-être en lisant ceci, sous la plume du Pierre Michon des Onze : au moment de la Révolution française, le peintre David, «s’il avait évincé, emprisonné et exilé tous ses rivaux directs, ceux de sa génération, les quarantenaires, il avait gardé les vieilles mains des hasbeens, Fragonard, Greuze, Corentin» (p. 88).

Il faut croire que le contexte fait tout.

 

[Complément du 24 octobre 2010]

Lise Bissonnette, ex-directrice du Devoir et ex-présidente-directrice générale de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, a récemment prononcé un discours sur l’utilisation journalistique des réseaux sociaux. Elle a fait des vagues. Comment l’a-t-on appelée ? «Has been Lise.» Voir le récit d’Antoine Robitaille (le Devoir, 24-25 avril 2010, p. C2).

 

Référence

Michon, Pierre, les Onze, Lagrasse, Verdier, 2009, 136 p.

Divergences transatlantiques 005

Jean-Philippe Toussaint, la Télévision, 1997, couverture

Un lecteur hexagonal ne tiquera pas en lisant la phrase suivante, tirée de la Télévision (1997) de l’excellent Jean-Philippe Toussaint : «Il n’y avait qu’un employé sur le quai absolument désert, qui regagna lentement sa cabine, son drapeau rouge et son talkie-walkie à la main» (p. 193).

L’Oreille tendue, elle, en bonne oreille québécoise nourrie d’anglais, s’étonne : elle aurait écrit walkie-talkie. (Aucun des dictionnaires anglo-saxons consultés ne connaît le talkie-walkie; ils ne connaissent que l’autre forme.)

Le passage d’un univers linguistique à l’autre est parfois renversant.

 

Référence

Toussaint, Jean-Philippe, la Télévision. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1997, 269 p.

L’art du portrait, ter

Jean-Philippe Toussaint, Faire l’amour, 2009, couverture

«Non, elle allait à la pêche aux udons, plutôt, et faisait peine à voir (ou plaisir, c’était selon), qui touillait mollement sa soupe une baguette dans chaque main, à la manière d’un chef d’orchestre accablé, dyslexique et ambidextre.»

Jean-Philippe Toussaint, Faire l’amour suivi de «Faire l’amour à la croisée des chemins» par Laurent Demoulin, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 2009, 159 p., p. 55. Édition originale : 2002.

L’art du portrait, bis

Éric Chevillard, Oreille rouge, 2007, couverture

«On attire Oreille rouge sur la piste de danse. Il imite les pas à contretemps, gauchement, tous ses gestes trop près du corps : décidément, il ressemble à son couteau suisse — fines lames repliées entre les oreilles rouges.»

Éric Chevillard, Oreille rouge, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 2007, 158 p., p. 49. Édition originale : 2005.

Divergences transatlantiques 003

Vous roulez trop vite ? Divers types de ralentisseurs sont là pour vous en empêcher.

Dans l’Hexagone, cette entrave est dite gendarme couché. Exemple : «Gendarmes couchés et ralentisseurs s’efforcent de lui compliquer la tâche» (Oreille rouge, éd. de 2005, p. 38).

Dans la Belle Province, on voit parfois policier dormant. Exemple : «Malgré la présence de policiers dormants, les bandits manchots continuent à sévir» (source inconnue).

Couchées ou endormies, les forces de l’ordre veillent. Qu’on se le dise.

 

[Complément du 23 octobre 2018]

À ralentisseur, gendarme couché et policier dormant, on peut préférer, plus simplement, dos d’âne : «Gonflement transversal de la chaussée» (Multidictionnaire de la langue française, cinquième édition, 2009). À Montréal, présence de l’anglais oblige, le dos d’âne devient parfois un doe down. (Merci à Les Perreaux pour la photo.)

 

Référence

Chevillard, Éric, Oreille rouge, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 2007, 158 p. Édition originale : 2005.