L’oreille non tendue de… Jean-Philippe Toussaint

Jean-Philippe Toussaint, les Émotions, 2020, couverture

«Nous partagions avec Pierre un certain nombre de références qui nous appartenaient en propre, une sorte de vocabulaire privé composé de mots et d’expressions idiomatiques qui nous étaient communs et qui établissaient un lien secret entre nous. La plus grande partie de ce répertoire devait laisser la plupart des gens indifférents mais revêtait pour nous une signification intime particulière qui nous faisait relever l’oreille quand un de ces termes surgissait au hasard dans la conversation.»

Jean-Philippe Toussaint, les Émotions. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2020, 237 p., p. 89.

L’oreille tendue de… Albert Camus

Albert Camus, l’Exil et le royaume, 1957, couverture

«Réveillée, elle se dressa dans son lit et tendit l’oreille à un appel qui lui sembla tout proche. Mais, des extrémités de la nuit, les voix exténuées et infatigables des chiens de l’oasis lui parvinrent seules. Un faible vent s’était levé dont elle entendait couler les eaux légères dans la palmeraie. Il venait du sud, là où le désert et la nuit se mêlaient maintenant sous le ciel à nouveau fixe, là où la vie s’arrêtait, où plus personne ne vieillissait ni ne mourait. Puis les eaux du vent tarirent et elle ne fut même plus sûre d’avoir rien entendu, sinon un appel muet qu’après tout elle pouvait à volonté faire taire ou percevoir, mais dont plus jamais elle ne connaîtrait le sens, si elle n’y répondait à l’instant.»

Albert Camus, «La femme adultère», dans l’Exil et le royaume. Nouvelles, Paris, Gallimard, 1957. Édition numérique de 2012.