Le zeugme du dimanche matin et d’Éric Chevillard

Éric Chevillard, Défense de Prosper Brouillon, 2017, couverture

«Les mots qu’il utilise nous sont si familiers qu’ils n’ont pas leur place dans le dictionnaire où sont imprimés ceux que l’on ne connaît pas et qui ne servent à rien, sinon à enténébrer les livres de ces auteurs hypocrites qui se font de leur insuccès une gloire (et un ulcère).»

Éric Chevillard, Défense de Prosper Brouillon, Paris, Éditions Noir sur blanc, coll. «Notabilia», 2017, 101 p., p. 17. Illustrations de Jean-François Martin.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 31 janvier 2018.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le zeugme du dimanche matin et d’Alice Zeniter

Alice Zeniter, l’Art de perdre, 2017, couverture

«Hamid ne saisit pas ce que veut son interlocuteur. Son père travaille à l’usine, comme la plupart des voisins, et dans leur discours il semble n’en exister qu’une. C’est l’Usine. Celle qui fait qu’on les a emmenés là. Il n’a jamais pensé qu’elle produisait quoi que ce soit puisque Ali n’en n’est jamais revenu les mains chargées. Dans sa tête, l’Usine fabrique surtout de la fumée, des blessures, des crampes et une odeur de cramé que son père traîne d’une pièce à l’autre de l’appartement malgré les douches.»

Alice Zeniter, l’Art de perdre. Roman, Paris, Flammarion, 2017, 507 p., p. 224.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Autopromotion 348

Cabinet de traduction, Bangkok, 1er juin 1999

Un segment de l’émission Plus on est de fous, plus on lit !, qu’anime Marie-Louise Arsenault à la radio de Radio-Canada, est consacré à la définition de mots beaucoup présents dans l’espace public.

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion d’y réfléchir à débat, à expert, à authenticité, à porte-parole, à transparence et à mononcle.

Cet après-midi, entre 14 h et 15 h, elle abordera le mot touriste.

Elle se servira notamment d’un texte publié ici le 21 octobre 2011.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

 

[Complément du 6 février 2018]

L’Oreille doit s’excuser auprès des auditeurs de Radio-Canada. En ondes, elle a parlé de la Semaine anglaise de Jean-Jacques Rutlidge. Elle aurait dû dire, bien sûr, la Quinzaine anglaise. Elle est toute confuse.

 

Référence

La Quinzaine angloise à Paris, ou l’art de s’y ruiner en peu de temps. Ouvrage posthume du Docteur Stearne, traduit de l’Anglois par un Observateur, Londres, 1776, xvi/287 p.; Londres, 1777. Réédition augmentée : Premier et second voyages de Mylord de *** à Paris, Contenant la Quinzaine anglaise; & le retour de Mylord dans cette Capitale après sa majorité. Par le ch. R***, Yverdon, De l’Imprimerie de la Société Litt. & Typ., 1777, 3 vol.; Yverdon, 1779, 3 vol.; Londres, 1782, 3 vol.; Londres, 1786, 3 vol. Édition moderne : la Quinzaine anglaise à Paris, ou l’Art de s’y ruiner en peu de temps, Paris, Honoré Champion, coll. «L’âge des Lumières», série 1, 36, 2007, 208 p. Édition critique par Roland Mortier.

Le zeugme du dimanche matin et d’Éric Vuillard

Éric Vuillard, Congo, 2012, couverture

«Et à quoi cela sert ? À nous rassasier de chagrin et fureur. Nous sommes à la conférence de Berlin, en 1884, on se partage l’Afrique et les diplomates nous prêtent pour quelques heures leurs beaux costumes et les inflexions de leur voix.»

Éric Vuillard, Congo. Récit, Arles, Actes Sud, coll. «Un endroit où aller», 2012, 112 p., p. 9.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Éric Chevillard ne pense qu’à ça

 

Éric Chevillard, Défense de Prosper Brouillon, 2017, couverture

 

«Pitoyable humanité à jamais perdue pour l’amour !»

Éric Chevillard fut jadis folliculaire au quotidien le Monde, ce qui lui a donné la possibilité de lire et d’apprécier, ou pas, quelques fleurons de la littérature nationale. Prenant prétexte de la parution des Gondoliers, le onzième best-seller d’un de nos plus grands auteurs, Prosper Brouillon, il vient de publier un hommage dont on ne retiendra qu’une chose, et encore : sa posture libidinale.

Dès le premier paragraphe de Défense de Prosper Brouillon (2017), des lecteurs s’«accouple[nt] dans la nuit» (p. 7). Ce «modeste essai» (p. 18, p. 75) — ailleurs, il sera question de «dissertation» (p. 64) et de «gloses» (p. 89) — a plus à voir avec le traité d’anatomie qu’avec Montaigne. On y croise des «culs […] pincés» (p. 20), des lèvres (p. 20, p. 21, p. 59, p. 70), dont certaines sont «roses» (p. 12), des «seins» (p. 35), des clitoris (p. 47) et une «oreille clitoridienne» (p. 50), des «fesses» (p. 63, p. 89), un «petit orifice» (p. 63), des «toisons pubiennes» (p. 81), des — qu’on nous pardonne ces mots — «queues» (p. 12, p. 45, p. 64, p. 89), une «bite» (p. 62), la «moule» (p. 81), du «foutre» (p. 90), voire des «gosses» (p. 12). Le milieu littéraire germanopratin serait «consanguin» (p. 7), et sa critique «incestueuse» (p. 18). Un «érotisme de la mimique» (p. 18) y ferait sentir ses parfums délétères. Imaginez ce que l’on pratique avec sa langue en ces pages débauchées (p. 20, p. 42, p. 59, p. 62) et ce qu’on y persiffle du désir des jeunes filles (p. 25). Le «souffle» n’y peut être que «rauque» (p. 60). Les hommes y sont des «mâles», et les femmes des «femelles» (p. 63). L’«étreinte amoureuse» (p. 74) souille chaque page.

Le premier tirage des livres de Brouillon s’écoule-t-il rapidement, ce dont on devrait se réjouir ? C’est «aussi vivement que la semence de l’adolescent qui entrevoit un sein par une échancrure» (p. 10). Où ses lectrices déposent-elles ses livres ? Leur «mont de Vénus» leur fait «un doux reposoir» (p. 12). Comment décrire la littérature ? «[B]onne fille, elle suce sans mordre» (p. 17) — qu’on nous pardonne, encore, ce mot. À qui comparer le romancier ? À Sade (p. 26). Que dire des écrivains en général ? Ce sont des «pervers polymorphes» (p. 60).

L’illustrateur n’est pas en reste. Bas résilles (p. 15), soutien-gorge (p. 37), nuisette (p. 96) : ne commentons pas cet imaginaire.

Disons-le tout net : pour les lecteurs «fidèles et obstinés» (p. 18) de Prosper Brouillon dont nous sommes, c’est dégoûtant.

 

Référence

Chevillard, Éric, Défense de Prosper Brouillon, Paris, Éditions Noir sur blanc, coll. «Notabilia», 2017, 101 p. Illustrations de Jean-François Martin.