Accouplements 243

François Blais, la Classe de madame Valérie, 2013, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pierssens, Michel, «La Nuit transfigurée», Liberté, 169 (29 : 1), février 1987, p. 82-84. https://id.erudit.org/iderudit/31116ac

«André [Belleau] redoutait tout ce qui pouvait isoler les intellectuels et les écrivains d’ici des intellectuels et des écrivains d’ailleurs — obstacles souvent minimes mais qu’il percevait comme des butées incontournables de l’histoire dont il faisait partie. C’est ainsi qu’il pouvait, après telle conversation sur les pouvoirs de notre langue, s’interrompre pour me dire avec tristesse qu’un Français ne comprendrait jamais le plaisir et l’étonnement qu’il avait à employer parfois un imparfait du subjonctif» (p. 83).

Blais, François, la Classe de madame Valérie. Roman, Québec, L’instant même, 2013, 400 p. Édition numérique.

«La température avait chuté sensiblement depuis la mi-octobre, il avait même neigé la semaine dernière. D’ici quelques jours, il serait obligé de remiser son BMX pour l’hiver, et il n’aurait alors plus d’alibi pour traîner près de la clôture en sortant de l’école. Il préférait ne pas y penser pour le moment. Comme d’habitude, il fut tenté de la suivre, mais comme d’habitude il se retint. Il eût suffi qu’elle se retournât et qu’elle le vît, roulant lentement à vingt mètres derrière elle, pour tout comprendre. Il eût suffi que leurs regards se croisassent, même de loin, pour qu’elle devinât ses sentiments, et il eût alors été impossible pour Philippe de se présenter à l’école le lendemain. Allez expliquer cela à vos parents. “Papa, maman, je dois changer d’école (à la rigueur ne plus y aller du tout), car la fille que j’aime sait que je l’aime.”»

Glace conversationnelle

Éric Forbes, le Fugitif, le flic et Bill Ballantine, 2024, couverture

Soit l’extrait suivant du roman policier québécois le Fugitif, le flic et Bill Ballantine (2024) :

«Elle sourit.
—Ah, ça… De l’imagination, il en a pour dix, ce môme !
—Ça fait longtemps qu’il… euh… t’aide à… (Il toussote dans sa main.) Que tu l’utilises pour… euh…
Chénier patine, mal à l’aise. Il ne veut surtout pas qu’elle croie qu’il la juge.
—Que je l’utilise pour mes casses ?» (p. 172-173)

Que vient faire le patinage dans cette affaire ? Réponse du Petit Robert (édition numérique de 2018), sous patiner : «Fig. Région. (Canada). Éluder une question, éviter d’y répondre.»

À votre service.

P.-S.—En effet : il est question de patin par là.

 

Référence

Forbes, Éric, le Fugitif, le flic et Bill Ballantine, Montréal, Héliotrope, coll. «Noir», 2024, 274 p.

L’oreille tendue de… Gabrielle Roy

Gabrielle Roy, la Montagne secrète, éd. de 1978, couverture

«Pierre courut au dehors, tendit l’oreille, repéra la direction d’où venait le chant fluide.»

Gabrielle Roy, la Montagne secrète, Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «Québec 10/10», 1978, 222 p., p. 67. Édition originale : 1961.

Le zeugme du dimanche matin et de Michel Jean

Michel Jean, Qimmik, 2023, couverture

«C’est un de ces matins pluvieux où les rues du Vieux-Montréal luisent sous une lumière terne. Je suis partie en coup de vent en oubliant mon parapluie. Nadège m’attend au café. Son sourire amadoue ma colère. Je commande un latté au comptoir et m’assois en face d’elle. Le liquide chaud chasse l’humidité et ses frissons.»

Michel Jean, Qimmik, Montréal, Libre expression, 2023, 224 p. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Tropes orphelins

Raymond Queneau, les Œuvres complètes de Sally Mara, éd. de 1979, couverture

L’Oreille tendue, depuis 2011, propose un «Dictionnaire personnel de rhétorique».

Il lui arrive de se retrouver avec des phrases dont elle ne sait que faire. Deux exemples.

«Elle avait une maison à tenir et très peu de temps pour la douceur et jamais le matin» (Arvida, p. 130).

«Il continuait à pleuvoir et le gardien à m’interroger» (Journal intime de Sally Mara).

Ce sera tout pour l’instant.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Queneau, Raymond, «Journal intime», dans les Œuvres complètes de Sally Mara, Paris, Gallimard, coll. «L’imaginaire», 48, 1979, 360 p., p. 11-190. Édition originale : 1962.