L’être, ne pas en avoir l’air ni le faire

Soit les possibilités suivantes.

Être smatte : être aimable, attentionné, gentil.

Avoir l’air smatte : faire bonne impression.

Exemple : Ta nouvelle dulcinée a l’air smatte; Justin Trudeau n’a pas l’air smatte.

Avoir l’air smatte : se retrouver dans une position désavantageuse, souvent par sa propre faute.

Exemple : «Moi qui ne sais même pas réparer une crevaison. J’ai l’air smatte. #velomtl #smatte #flat http://t.co/IyesdYW0PG» (@LucieBourassa).

Faire son smatte : rouler les mécaniques.

«Au Québec, désigne quelqu’un qui se considère très supérieur et qui ne se gêne pas pour le faire savoir» (Un Québec si lointain, p. 211).

On ne les confondra pas.

Remarques grammatico-orthographiques

On peut employer le mot smatte comme nom ou comme épithète.

«@PimpetteDunoyer Que dire des smattes qui sortent déjà, à 8 degrés, en short (version cuissarde ou standarde) et en camisole ? #VeloMtl» (@LucieBourassa).

Le mot vient de l’anglais smart (intelligent, malin, futé, astucieux, habile, etc.).

À côté de smatte, on trouve donc, à l’occasion, la graphie smarte.

Albert Chartier et Claude-Henri Grignon mêlent les deux («smarte», p. 171; «smatte», p. 207).

Albert Chartier, Séraphin

Albert Chartier, Séraphin

 

[Complément du 29 avril 2013]

Daniel Lavoie a interprété une «Danse du smatte».

 

Références

Dubois, Richard, Un Québec si lointain. Histoire d’un désamour, Montréal, Fides, 2009, 213 p.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

42

Brian Helgeland, 42 (2013)

Le 15 avril de chaque année, on célèbre le «Jackie Robinson Day», histoire d’honorer la mémoire du premier joueur noir du baseball «moderne».

Cette année, pour l’occasion, l’organisation des ligues majeures de baseball (Major League Baseball) a fait paraître le livre numérique «augmenté» ou «enrichi» — texte, photos, vidéos, liens — de Lyle Spencer, Fortitude. The Exemplary Life of Jackie Robinson (2013), conçu spécifiquement pour le iPad. (L’Oreille tendue a en rendu compte ici.)

Au même moment était lancé le film biographique 42 de Brian Helgeland.

Presque tout ce qui fait un film à thèse y est. Les personnages parlent par maximes et phrases ronflantes. Dès qu’ils ont quelque chose de grave à dire, la musique devient sirupeuse. Le jeu des acteurs est digne d’un téléfilm : aucune mimique lourdement expressive n’est épargnée. Il y a des ralentis pour marquer les temps forts. Tout concorde à livrer une morale claire : Jackie Robinson a changé la culture du baseball et, dans le même temps, la société états-unienne. Il ne manque que la guérison miraculeuse d’un jeune handicapé dans le vestiaire de l’équipe dirigée par son père pour que tout y soit.

Qu’on ne s’y trompe cependant pas : ce film, dès qu’on a mis de côté toute considération esthétique, est d’une efficacité redoutable. L’Oreille ne cachera pas avoir eu le motton à répétition en le regardant. Il est vrai que Jackie Robinson est son héros.

Avant d’être le numéro 42 des Dodgers de Brooklyn, Robinson a passé la saison 1946 dans l’uniforme des Royaux de Montréal. Comme un autre sportif célèbre de son époque, Maurice Richard, il portait alors le numéro 9. Comment la ville apparaît-elle dans le film ?

Son nom est prononcé à quelques reprises par Branch Rickey, l’homme qui a recruté Robinson. On voit celui-ci dans l’uniforme des Royaux en Floride (pendant le camp d’entraînement de l’équipe) et à Jersey City (pour sa première présence au bâton durant son premier match). C’est à peu près tout.

Est-ce trop peu, comme certains l’ont écrit ? Dans une perspective strictement biographique, oui : l’année passé par Robinson à Montréal a permis aux Dodgers de Brooklyn de préparer son passage vers le baseball majeur, et de le préparer, lui. Dans une perspective dramatique, non : Robinson et sa femme, Rachel, ont toujours vanté la tolérance des Montréalais à leur égard; dans un film qui veut dénoncer le racisme aux États-Unis dans la première moitié du XXe siècle, ce serait rappeler que certaines sociétés, à la même l’époque, l’étaient moins.

Les habitants de Montréal aiment se souvenir du passage de Robinson à Montréal. Une plaque officielle a été fixée à la maison qu’il a habitée en 1946, au 8232, avenue De Gaspé. Une statue à son effigie a d’abord été installée angle Ontario et de Lorimier, là où jouaient les Royaux; on y trouve toujours une plaque, mais la statue a été déménagée au stade du Parc olympique. Les romanciers Morley Callaghan (The Loved and the Lost, 1951), Mordecai Richler (St. Urbain’s Horseman, 1966), Jean-François Chassay (Laisse, 2007) et Renald Bérubé (les Caprices du sport, 2010) évoquent le souvenir de Robinson. Jack Jedwab a même consacré un court ouvrage à sa saison de 1946, dans les deux langues officielles : Jackie Robinson’s Unforgettable Season of Baseball in Montreal (1996); Jackie Robinson : une inoubliable saison de baseball à Montréal (1997).

On peut comprendre cette fierté rétrospective, mais, de toute évidence, ce n’est pas aux Montréalais que le film 42 est destiné. D’ailleurs, aucune version française n’en est encore disponible.

P.-S.—42 n’est pas le premier film sur Jackie Robinson. Dès 1950, alors qu’il était encore joueur actif, on le voit jouer son propre rôle dans The Jackie Robinson Story (le film est visible en ligne). Richard Brody, dans le magazine The New Yorker, propose une comparaison très fine des films de Brian Helgeland et d’Alfred E. Green.

P.-P.-S.—Avec Montréal, Robinson aurait aussi porté les numéros 4 et 11.

 

Références

Bérubé, Renald, les Caprices du sport. Roman fragmenté, Montréal, Lévesque éditeur, coll. «Réverbération», 2010, 159 p.

Callaghan, Morley, The Loved and the Lost, Toronto, Macmillan of Canada, coll. «Laurentian Library», 9, 1977, 257 p. Édition originale : 1951.

Chassay, Jean-François, Laisse. Une fantaisie pleine de chiens, de bruits et de fureurs. Roman, Montréal, Boréal, 2007, 187 p.

Jedwab, Jack, Jackie Robinson’s Unforgettable Season of Baseball in Montreal, Montréal, Images, 1996, 56 p. Ill.

Jedwab, Jack, Jackie Robinson : une inoubliable saison de baseball à Montréal, Montréal, Images, 1997, 64 p. Ill.

Richler, Mordecai, St. Urbain’s Horseman, New York, Alfred A. Knopf, Inc. / A Bantam Book, 1972, 436 p. Ill. Édition originale : 1966.

Spencer, Lyle, Fortitude. The Exemplary Life of Jackie Robinson, New York, MLB.com Play Ball Books, et Ecco. An Imprint of HarperCollins Publishers, 2013. Préface de Kareem Abdul-Jabbar. Deuxième édition. Édition pour iPad.

Jackie Robinson, Royaux de Montréal, 1946

La beauté est (aussi) dans les détails

Sophie Létourneau, Chanson française, 2013

Ceci, tiré de Chanson française (2013) de Sophie Létourneau : «Maité aimait la fête et le vin bu» (p. 21). Pas «le vin» : «le vin bu». Deux lettres de plus, un tout autre sens, avec sa projection dans l’après.

P.-S. — Dans Polaroïds, de la même auteure, l’Oreille tendue avait trouvé une phrase parfaite. Elle est ici.

 

Références

Létourneau, Sophie, Chanson française. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 70, 2013, 178 p.

Létourneau, Sophie, Polaroïds. Récits, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2006, 166 p.

Variation sur l’écœurement

L’Oreille tendue l’a souligné : au Québec, ce qui est écœurant est très très bien — ou pas du tout. Un gâteau écœurant est excellent — ou infect. Tout est affaire de contexte. Voir les entrées du 9 septembre 2011 et du 11 mai 2012.

Exemples (pour rappel)

«Une paire de patins était réellement écœurante […]» (Hockey de rue, p. 20).

«La rondelle a heurté le poteau. Le bruit le plus écœurant du monde ! C’est parfois plus amusant de frapper le poteau que de marquer un but» (Hockey de rue, p. 27).

En revanche, qui souffre d’écœurantite n’apprécie pas sa situation. Cet écœurant-là n’est jamais mélioratif.

Exemples

«Il y a l’écœurantite aiguë face à ce gouvernement qui n’est pas en mesure de mettre fin à cette crise sociale» (Léa Clermont-Dion, Je me souviendrai, p. 122).

«C’est tout le monde qui sort désormais pour crier son écœurantite» (Antoine Corriveau, Je me souviendrai, p. 147).

«il n’y a pas d’écœurantite aiguë comme à la fin de l’ère Dutoit» (le Devoir, 13-14 avril 2013, p. E9).

Synonymes

Souffrir de découragement. En avoir marre. Être tanné.

Remarque

On l’aura remarqué : il y a des degrés dans l’écœurantite, puisqu’elle peut être aiguë.

 

 

[Complément du 20 août 2018]

Lisant la Bête creuse (2017), de Christian Bernard, l’Oreille tendue découvre un autre synonyme : «Elle était revenue derrière son comptoir, l’œil biffé, subitement affligée d’une écœurite aiguë» (p. 86).

 

[Complément du 1er novembre 2020]

Exemple romanesque, tiré de Bermudes (2020), de Claire Legendre : «On avait vraiment une écœurantite aiguë du système» (p. 188).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Collectif, Je me souviendrai. 2012. Mouvement social au Québec, Antony, La boîte à bulles, coll. «Contrecœur», 2012, 246 p. Ill.

Legendre, Claire, Bermudes. Roman, Montréal, Leméac, 2020, 214 p.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

Le courant continue à (ne pas) passer

Daniel Sylvestre, le Compteur intelligent, 2013, couverture

Le mot n’est pas nouveau.

Il est chez Jean-François Vilar en 1988, dans Djemila : des personnages «disjonctent».

Le Petit Robert (édition numérique de 2010) date de 1981 le sens que Vilar donne au verbe : «Perdre le contact avec la réalité.»

On le trouve aussi, en 2013, chez Daniel Sylvestre, dans le Compteur intelligent :

Ruby est une disjonctée sympathique du voisinage, mais je la trouve à son top, aujourd’hui (p. 42).

Son mari Manuel disjoncte, il refuse la moindre parcelle d’alu (p. 66).

Dans cette «chronique psychotronique» (dixit l’éditeur) où il est sans cesse question d’électricité, ce ne devrait pas être une surprise.

P.-S. — On rattachera sans peine disjoncter à l’hydrovocabulaire cher aux Québécois.

 

Références

Sylvestre, Daniel, le Compteur intelligent. Carnets libres, volume II, Montréal, La mèche, coll. «Les doigts ont soif», 2013, 92 p. Ill.

Vilar, Jean-François, Djemila. Roman, Paris, Calmann-Lévy, 1988, 166 p.