Mot indispensable du jour

Parmi les québécismes, une place spéciale devrait être faite au mot cute, à prononcer à l’anglaise, comme chez Achdé, dans le deuxième volume de la série les Canayens de Monroyal, en 2010 (p. 23) :

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 2. Hockey corral, p. 23, case

Léandre Bergeron, en 1980, propose la définition suivante : «Cute (pron. kioute) adj. — Mignon. Gentil. Ex. : I est-i pas cute, c’t’enfant-là» (p. 163).

En revanche, ni Marie-Pierre Gazaille et Marie-Lou Guévin (2009), ni Ephrem Desjadins (2002) ne retiennent le mot. Mea maxima culpa : cute n’est pas non plus dans le Dictionnaire québécois instantané (2004).

Cute pourrait pourtant être emblématique du français parlé au Québec : emprunté à l’anglais, courant à l’oral et plus rare à l’écrit, désignant du moyen, mais sans plus (le cute n’est pas le beau). Le portrait paraît assez juste.

 

Références

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 2. Hockey corral, Boomerang éditeur jeunesse, 2010, 46 p. Couleur : Mel.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Gazaille, Marie-Pierre et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xiv/221 p. Préface de Yannick Resch.

Melançon, Benoît, avec la collaboration de Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Les experts

Qu’ont en commun Benoît Brunet, Mario Tremblay et Joël Bouchard ? Ce sont d’anciens joueurs de hockey reconvertis dans le commentaire sportif.

Au Québec, on dit parfois que ce sont des joueurnalistes. En France, on les appelle consultants. Ce n’est guère mieux dans un cas que dans l’autre.

Les joueurnalistes ne sont pas journalistes (ils ne font aucun travail journalistique) et tous ceux qu’on nomme joueurnalistes ne sont pas d’anciens joueurs (pensons aux ex-entraîneurs Michel Bergeron et Jacques Demers ou à l’ex-arbitre Ron Fournier).

Les consultants, eux, ont mauvaise réputation partout dans le monde. On les considère assez généralement comme des créatures improductives.

On devrait pouvoir trouver mieux.

 

[Complément du 15 février 2017]

Dans la Presse+ du jour, le journaliste Patrick Lagacé, à la suite du congédiement de Michel Therrien par les Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, propose un terme spécifique pour les entraîneurs recyclés : «À moins qu’il ne redevienne coachnaliste à RDS, comme il l’était avant de revenir diriger le CH.» C’est noté.

 

[Complément du 19 décembre 2017]

L’Oreille tendue ne connaissait que la graphie joueurnaliste. En lisant «2018 avant 2018» de Jean-Philippe Martel dans la plus récente livraison du magazine Lettres québécoises (168, hiver 2017), elle découvre que l’ancien joueur de foot Patrick Leduc serait joueurnalyste (p. 70). Une recherche rapide sur Google semble indiquer que Leduc, qui se définit lui-même par ce terme, est (presque) le seul à ainsi faire entrer l’analyste dans le joueur.

 

[Complément du 1er novembre 2020]

Exemple romanesque, chez Hugo Beauchemin-Lachapelle (2020) : «Et soudain, une phrase tombe de la bouche d’un des joueurnalistes. Elle est aussitôt retransmise à plus d’un million de téléspectateurs» (p. 32).

 

Référence

Beauchemin-Lachapelle, Hugo, la Surface de jeu. Roman, Montréal, La Mèche, 2020, 276 p.

Croisements sélectifs

L’«alternance codique» (le code-switching), une fois encore, dans un album de bande dessinée portant, en partie, sur le hockey (p. 40).

Duchateau et Denayer, les Casseurs. Match-poursuite. Une histoire du journal Tintin, p. 40, case

De l’inopportunité de la rencontre entre, d’une part, «tabarnak» et «étriver» (agacer, embêter) et, d’autre part, «mettre une de ces culottes» (pas employé au Québec) et «nabot» (là où on attendrait «nain»).

 

Référence

Duchateau, André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs. Match-poursuite. Une histoire du journal Tintin, Bruxelles et Paris, Éditions du Lombard, coll. «Les casseurs», 15, 1988, 48 p. Repris dans Denayer & Dûchateau, les Casseurs. L’intégrale, Bruxelles, Le Lombard, 2010, vol. 5.

Subtil distinguo

Soit la phrase suivante : «Arrêtez de […] dire [aux garçons] qu’ils sont moins bons que les filles, et donnez-leur une bine affectueuse de ma part si vous en voyez un passer» (la Presse, 13 décembre 2010, p. A5).

Qu’est-ce que cette bine ?

Il ne s’agit pas de la fève des fèves au lard, ou beans, d’où bines. Pourquoi donnerait-on à qui que ce soit une fève, fût-elle aux lards, «affectueuse» ? (On sert les fèves au lard, comme il se doit, dans une binerie, même si ce n’est pas la seule chose qu’on y sert.)

Il ne s’agit pas non plus de l’abus d’alcool, celui qui rend rond comme une bine, même s’il est vrai que ledit abus peut rendre affectueux. (Ici, la bine est synonyme de Polonais.)

Il ne s’agit toujours pas de la bine qui marine dans son jus. Qui a les yeux dans la graisse de bines ne les a pas en face des trous. Cela peut être causé par la consommation d’alcool, mais pas seulement.

Il ne s’agit enfin pas du visage : cette bine-là est fille de binette.

La bine dont parle le journal est plutôt un coup de poing donné avec le majeur replié et placé en éperon, souvent sur l’épaule. Elle peut faire très mal, sauf, bien sûr, si elle est «affectueuse».

On ne confondra pas ces variétés de bines.

N.B.—On voit aussi binne(s).

 

[Complément du 17 septembre 2014]

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) connaît les verbes débiner («Décrier, dénigrer») et se débiner («Se sauver, s’enfuir, partir»; quitter, diraient certains). Il ne connaît cependant pas être débiné. Son sens ? Ne pas bien aller, être triste, pâtir, avoir le moral dans les talons. (Merci à @bibliomancienne pour le rappel à l’ordre.)

 

[Complément du 18 décembre 2020]

Exemple romanesque : «Fontaine envoya une bine à Drouin» (Esprit de corps, p. 189).

 

Référence

Vaillancourt, Jean-François, Esprit de corps. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 149, 2020, 302 p.

Paroles mêlées

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de parler du code-switching, cette présence, chez la même personne, dans la même phrase, de plusieurs langues.

Cela peut être volontaire; c’est le cas chez François Blais dans Vie d’Anne-Sophie Bonenfant ou dans la publicité du réseau des écoles publiques anglophones du Québec.

Dans le texte ci-dessous, tiré de l’album de bande dessinée les Canayens de Monroyal. Saison 2. Hockey corral, c’est moins sûr.

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 2. Hockey corral, page 32, case

 

Il est difficile d’imaginer quelqu’un mêlant, d’un côté, «sacrer son camp» (partir) et «moé» (moi) avec, de l’autre, «tambouille pour marin». On ne voit pas bien, par ailleurs, d’où sortiraient cet «pittbulls d’opérette» (notons que lesdits chiens ont un t en trop).

Pour l’effet de réel — la scène se déroule dans une indistincte campagne québécoise —, on repassera.

 

[Complément du 15 décembre 2010]

Précision : dans ce cas, il s’agit de variations régionales d’une même langue.

 

Références

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 2. Hockey corral, Boomerang éditeur jeunesse, 2010, 46 p. Couleur : Mel.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.