Ponctuons, à table, avec Jean Echenoz

Jean Echenoz, le Méridien de Greenwich, 1979, couverture

Tous le savent : le 24 septembre est, aux États-Unis, le National Punctuation Day.

Célébrons avec le Jean Echenoz du Méridien de Greenwich (1979) :

Ils étaient face à face, coinçant entre eux une petite table carrée — impossible de fuir, pensait la table, ils me plaquent au sol avec leurs coudes. Ils parlaient. Leurs paroles se croisaient, leurs voix s’affrontaient, comme des gladiateurs, l’une armée d’un glaive et d’un casque, l’autre d’un bouclier et d’un filet. Principalement travaillaient leurs bouches et la plupart des muscles de leurs visages, les mains et avant-bras assurant la ponctuation, l’illustration, le commentaire. Le reste de leurs corps était au repos, à peu près immobile, s’ébrouant quelquefois comme un chien dans sa niche, croisant ou décroisant les jambes; quelques démangeaisons de part et d’autre, une érection du côté de Paul; sur la table, deux verres vides et deux verres pleins (p. 34-35).

 

Référence

Echenoz, Jean, le Méridien de Greenwich. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 255 p.

Les zeugmes du dimanche matin et de Kevin Lambert

Kevin Lambert, Querelle de Roberval, 2018, couverture

«Les couvreuses se lancent à la tête des jokes grasses et des débris à envoyer dans le container […]» (p. 93).

«Ils ont fait de l’argent et des dépressions, ont eu des promotions, dirigé de grandes entreprises, acheté des condos» (p. 116).

«un bel élan bien ample d’ancien batteur des Loups de Rosemont qui lui fait perdre connaissance et quelques dents» (p. 216).

«ils brûlent maintenant des mêmes flammes qui ont bouffé leurs demeures, des mêmes flammes qui ont engourdi leurs vies et leurs comptes bancaires» (p. 221)

«La bataille d’hier les a sonnés, ils ne savent plus s’ils ont toute leur tête, une grande soif de bière et de justice les assaille, pulse contre leur front, dans les interstices de leur crâne; certains sont soûls et il n’est pas midi» (p. 252).

Kevin Lambert, Querelle de Roberval. Fiction syndicale, Montréal, Héliotrope, 2018, 277 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Offre de service

Jean-Philippe Toussaint, la Clé USB, 2019, couverture

«Les gens s’en foutent, foncièrement,
de ce qui vous arrive.»

Vous voudriez pouvoir disparaître de la surface du globe pendant 48 heures, suspendre votre vie routinière, vivre «un blanc» (p. 9) ?

Vous cherchez un roman où l’on réfléchit aux interactions entre les langues dans le monde et, par voie de conséquence, à la prépondérance supposée de l’anglais ?

Vous vous demandez ce que pourrait être l’Europe et qui sont les eurocrates ?

Vous vous interrogez sur la nature du temps, particulièrement de l’avenir ?

Vous chérissez les romans où lire des phrases comme celle-ci : «Même si nous vivons en vase clos, nous sommes quand même moins consanguins qu’une famille royale ou qu’un orchestre philharmonique» (p. 14) ?

Vous appréciez le roman d’espionnage, même décalé ?

Vous n’appréciez pas certains échanges téléphoniques ?

Vous admirez les portraits bien torchés ?

Vous ne voyez pas d’un bon œil la mondialisation ?

Vous n’êtes pas allergique au hackeur, au blockchain, au bitcoin, au minage, au monitoring ?

Vous connaissez Bruxelles, Tokyo et Dalian (c’est en Chine) ?

Vous avez senti l’envie irrépressible de «voler [des] cintres antivols» dans une chambre d’hôtel (p. 136) ?

Vous êtes sensible aux pressentiments ?

Vous avez travaillé dans une salle de bain transformée en bureau ?

Vous acceptez les ruptures narratives radicales, les passages des luttes publiques aux déchirements intimes ?

Vous paniquez parfois ?

Vous avez déjà eu peur de vous retrouver devant une foule et d’être incapable de parler ?

Vous craignez la mort, la vôtre comme celle d’êtres chers ?

Vous aimez le roman ?

La Clé USB, de Jean-Philippe Toussaint, est pour vous.

 

Référence

Toussaint, Jean-Philippe, la Clé USB. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2019, 190 p.

Les zeugmes du dimanche matin et de Fanie Demeule

Fanie Demeule, Déterrer les os, 2016, couverture

«L’année de mes huit ans, le verglas s’empare de l’hiver et de la mort de mon grand-père. La première personne de mon entourage qui meurt. De ses funérailles, il ne me reste que la fraîcheur surréelle de sa joue, l’odeur accablante de l’encens et les pleurs de ma sœur à l’église, terrorisée par le son vertical de l’orgue.»

«Je vais retirer quarante dollars qui se transforment en six bouteilles. Je fulmine. Pas de pourboire ce soir. Pour faire passer la colère et les calories, je danse comme je n’ai jamais dansé, férocement.»

Fanie Demeule, Déterrer les os. Roman, Québec, Hamac, 2016. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… François Hébert

François Hébert, Miniatures indiennes, 2019, couverture

«Le drummer et poète Patrice Desbiens a le front plissé et l’œil malicieux de qui a survécu de peine et de misère à l’exploitation des mines de nickel de l’Ontario et aux émanations toxiques de l’anglais, à la tristesse des pauvres à Sudbury et à la mélancolie de la taverne Coulson.

Tendons l’oreille.»

François Hébert, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p., p. 136.